Lechat, Ηenri: La sculpture attique avant Phidias. In-8, viii-510 p., avec 48 figures dans le texte.
(Paris, Fontemoing 1904)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 6 (4e série), 1905-2, p. 180-183
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Henri Lechat. La sculpture attique avant Phidias. Paris, Fontemoing, 1904. In-8, viii-510 p., avec 48 figures dans le texte.


          M. Lechat s’est fait une enviable spécialité de l’étude de l’art attique avant Phidias. Après avoir consacré aux monuments de cet art une longue série de mémoires remarquables, dans le Bulletin de correspondance hellénique, dans la Revue archéologique, dans la Gazette des Beaux-Arts et ailleurs, il a publié en 1902 son excellent livre Au musée de l’Acropole d’Athènes et il le complète aujourd’hui par le fort volume que nous annonçons. Le présent ouvrage, comme celui qui l’a précédé, fait honneur à l’érudition française et à l’École d’Athènes d’où il est sorti.

          Le dessein de l’auteur a été de montrer « qu’il a existé une école attique, suivant le sens strict que les historiens de l’art donnent au mot école ; que cette école a eu de bonne heure sa physionomie distincte, sa personnalité définie ; qu’elle a progressé d’une marche continue, non pas rigide et rectiligne, passablement souple au contraire, élargissant son domaine sans en compromettre l’unité ; et que le génie individuel des plus grands artistes a eu peut-être une moindre action dans le magnifique épanouissement de l’époque de Périclès que n’en eut secrètement ce qu’on pourrait appeler le génie collectif de l’école. »

          La première période s’étend de 650 à 550 environ. C’est d’abord la sculpture en bois primitive, dont Dédale est le héros. Le fait d’importation en Attique de statues faites à l’étranger est peu vraisemblable ; celui d’influences orientales l’est encore moins. M. Lechat n’admet pas non plus, avec feu Chr. Belger, des survivances ou plutôt une continuation directe de l’art mycénien sur le sol de l’Attique ; le « moyen âge hellénique » a bien marqué une solution de continuité (j’en doute, car cela n’est pas vrai du moyen âge chrétien) (1) et la sculpture attique, prise à ses débuts, paraît autochthone (p. 20).

          « Les découvertes qui ont été faites sur l’Acropole de 1882 à 1890 ont eu, entre autres résultats, celui de nous restituer une période, jusque-là ignorée, de l’histoire de la sculpture attique. » C’est la période où le calcaire commun a été employé entre le bois et le marbre. Cette phase de transition a permis aux artistes « d’aller du plus facile au plus difficile. » La technique du bois a naturellement laissé sa marque dans les sculptures en pierre tendre ; mais, à cet égard, il y a un progrès sensible dans le travail qui, joint à d’autres indices, permet une classification chronologique des monuments ; le fronton de l’hydre, le fronton rouge (petit groupe d’Héraklès et Triton) — qui n’appartiennent pas au même édifice — les deux frontons de l’Hécatompédon (fronton occidental ou de Typhon Barbe Bleue, fronton oriental ou des deux serpents). Viennent ensuite le fronton d’Iris (introduisant Héraklès dans l’Olympe ?) et le fronton de l’Olivier, trop mutilé pour être classé avec certitude. Ces six frontons, avec la statuette dite l’Hydrophore, comprennent à peu près toutes les représentations de figures humaines en pierre tendre qui ont été retrouvées sur l’Acropole. M. Lechat étudie ensuite les groupes d’animaux, lions, taureaux, etc., et aborde deux questions d’ordre général, celle de la polychromie de ces sculptures et celle « des origines du genre même dont elles sont issues. »

          En ce qui touche la polychromie, M. Léchat en fait ressortir le caractère conventionnel et même enfantin ; c’est un « naïf et bruyant badigeonnage ». Quant aux origines du genre, « on aurait également tort de croire que la statue est sortie du bas-relief, n’est qu’un bas-relief peu à peu arrondi et dégagé de son fond, au lieu que le bas-relief n’est qu’une statue rentrée aux trois quarts dans la muraille. Il n’y a aucun moyen de les confondre ; la statue a été produite par un progressif anthropomorphisme de la pierre brute, du bétyle primitif, de la poutre de bois à peine équarrie ; et le relief est issu d’un renouvellement des principes de l’art décoratif monumental, consistant à faire participer à la décoration la muraille même et à donner pour soutien à la peinture, au lieu d’une paroi lisse, des formes en saillie calquées sur les formes peintes. » Dans l’art des frontons, une évolution se poursuit depuis le relief très plat jusqu’au relief prononcé, avec de nombreuses parties en ronde bosse. « Rien de plus naturel, de plus logique, que ce lent surgissement hors du tympan, que ce développement quasi-organique de la pierre sculptée. »

          « Enfin le marbre vint... Sa venue marque un nouveau progrès de la plastique ; progrès capital, car désormais la matière définitive était acquise. » Toutefois, «il y a quelque chose qu’on ne quitte pas aussi aisément que l’on quitte un outil ; ce sont les habitudes de la main et de l’œil... Ce n’est qu’en pratiquant le marbre que les artistes devaient apprendre à le connaître et être conduits peu à peu à le travailler d’une manière plus conforme à sa vertu propre. » Le Moschophore est l’œuvre type de cette période de transition, où les souvenirs de l’ancienne technique du bois s’allient aux premiers résultats de la technique nouvelle, conséquence de l’emploi du marbre » (p. 109). Comme le Moschophore, à en juger par les caractères de l’inscription, est sûrement antérieur à 550, la série entière des premiers marbres peut être placée avant cette date, et les sculptures en calcaire doivent être rejetées entre 600 et 550. L’Hécatompédon est probablement une fondation de Solon. M. Lechat contredit ainsi les conclusions de M. Wiegand, suivant lequel l’Hécatompédon serait plus ancien que les autres édifices en pierre tendre de l’Acropole.

          A l’époque qui vit exécuter ces sculptures, l’art attique a déjà une physionomie distincte, comme, d’autre part, l’art dorien et l’art ionien ; M. Lechat croit devoir maintenir ces distinctions, qui ont été contestées à tort ; la sculpture attique se tient à égale distance des deux écoles d’Occident et d’Orient, avec une certaine tendance vers l’art dorien. « La rondeur et la mollesse qui gâtent si souvent les productions des Ioniens sont étrangères aux Attiques. » Et cependant, leurs œuvres « n’ont pas la raideur tendue, la fixe et anguleuse armature des œuvres ioniennes... La structure de la tête mérite d’être considérée ; on n’y trouve pas la forme de crâne large et aplatie qui, dans l’art dorien, se perpétuera jusqu’aux types de Polyclète ; on n’y trouve pas non plus le front fuyant, le sinciput remontant, très convexe et prolongé en arrière, qui sont de règle dans les têtes ioniennes » (p. 155). Mais, peu après 550, l’enchaînement des œuvres attiques semble s’interrompre ; on commence à trouver des statues en marbre des îles (et non de l’Attique), où la technique, les types représentés, le costume, le coloris devenu discret diffèrent de ce que l’on a vu précédemment. C’est qu’alors est intervenue l’école ionienne de Chios, la famille d’Archermos, chez qui les qualités d’élégance et de finesse l’emportèrent sur la lourdeur et le lâché qui caractérisent d’autres ateliers ioniens. Déjà, dans la Niké de Délos, l’expression n’est plus « une sorte d’épanouissement naturel de la vie et de la santé », comme dans le Typhon et le Moschophore, mais « le sourire coquet d’une femme qui se plaît à elle-même et qui veut plaire aux autres ». L’influence de l’art ionien de Chios se fit d’abord sentir en Asie (Éphèse), à Delphes (Trésor des Cnidiens) et à Athènes. L’écueil de cette école, c’était le goût du compliqué et du précieux, une recherche minutieuse et un peu puérile de l’élégance ; ces caractères firent d’elle la contre-partie de l’école dorienne et finirent par rendre inévitable, avec les progrès du goût, le triomphe des principes dont s’inspiraient les sculpteurs doriens.

          Point n’est besoin de faire intervenir l’influence de Pisistrate pour expliquer celle de la sculpture de Chios sur l’école attique. Il existe des œuvres de transition qui montrent que la pénétration des nouveaux modèles a été graduelle. M. Lechat classe, parmi ces dernières, la tête Rampin, œuvre d’un artiste attique qui a voulu rivaliser avec les jolies frisures ioniennes. L’apogée de l’influence ionienne se place de 540 à 510, époque de la domination politique des Pisistratides ; à cette époque appartiennent la presque totalité des korés et le grand fronton en marbre de la Gigantomachie, provenant de l’Hécatompédon remanié et décoré à nouveau (p. 206.) Parmi les artistes auxquels nous devons ces œuvres, plusieurs étaient des Ioniens de naissance, attirés vers Athènes par sa prospérité et sa richesse ou chassés de la côte d’Asie par la menace de l’invasion perse. Nous ne pouvons suivre ici M. Lechat dans l’étude minutieuse qu’il a faite des statues et des reliefs de cette époque, celle de l’atticisme ionien ou de l’ionisme atticisant. L’ionisme est moins apparent dans les statues d’hommes et dans les reliefs que dans les statues de femmes ; mais, là même, il est comme tempéré par une survivance des traditions de l’art indigène, avec les fortes qualités qui lui étaient propres. Toutefois, ces qualités ne suffiront pas pour donner naissance à l’art de Phidias ; il faudra, pour cela, l’intervention et l’influence d’un autre élément plus vigoureux, celui de la sculpture dorienne. La sculpture attico-dorienne ne succéda pas à la sculpture attico-ionienne, mais se fit une place à côté de celle-ci dès le début du Ve siècle. Dès lors, on peut dire (comme l’avait déjà vu Rayet) que les deux écoles coexistèrent. M. Lechat admet, avec moi, qu’une statue comme l’Aphrodite dite Genetrix se rattache, au même titre que les korai de l’Erechthéion, à l’art attico-ionien. Il a même fait, à ce sujet, une observation bien curieuse ; la draperie d’une de ces korai offre, par derrière, le même arrangement que celle des korai pisistratiques. La survivance de l’ancien style, dans la pleine gloire de l’école de Phidias, ne pouvait être plus sûrement attestée (p. 495, fig. 48).

          L’opinion qui voit dans l’art de Phidias comme une synthèse de l’art ionien et de l’art dorien, guidée par la sûreté de goût et le sentiment de la mesure qui, dès le VIe siècle, caractérisaient l’art attique, cette opinion est loin d’être nouvelle ; je l’ai exprimée, pour ma part, il y a vingt-cinq ans, et elle n’était certes pas nouvelle alors. Mais M. Lechat l’a fondée sur des arguments si nombreux et si probants qu’on peut dire qu’il l’a rendue évidente et qu’il l’a même, en quelque manière, renouvelée. Il n’y a pas une seule période de l’art avant la Renaissance que nous connaissions aujourd’hui avec autant de précision que l’école attique de 650 à 450, où nous puissions retracer avec autant de vraisemblance l’évolution et l’entrecroisement des styles. Nous devons cela surtout à M. Lechat, grâce auquel les fouilles profondes pratiquées sur l’Acropole n’ont pas seulement rempli un Musée, mais constitué un chapitre d’histoire. En présence de ce grand service rendu à nos études, il y aurait mauvaise grâce à se plaindre de certaines longueurs, de certaines redites, à signaler çà et là un peu de gongorisme et de tarabiscotage ; après tout, si M. Lechat a si bien compris les korai, c’est peut-être parce qu’il a lui-même quelques défauts aimables de l’art ionien (1).

                                                             S[alomon] R[einach]

(1) M. Lechat a d’ailleurs atténué son opinion dans une certaine mesure (p. 140).

(2) L’ouvrage que nous venons d’analyser est la première thèse de doctorat de M. Lechat. Dans la seconde (Pythagoras de Rhégion, Lyon et Paris, 1905, in-8, 131 p., avec 18 fig.), l’auteur donne des raisons très dignes d’attention pour voir dans le torse Valentini le fragment d’une copie du Philoctète blessé de Pythagoras (restitution de la statue, p. 83). Je note aussi que M. Lechat (p. 101) incline à attribuer l’Aurige de Delphes à un sculpteur d’Egine, Glaukias ou Onatas. Il y a bien d’autres détails intéressants dans cet opuscule, qu’on doit lire à côté de son grand jumeau.