Azan, Paul: Annibal dans les Alpes. In-8, 234 p., avec 17 cartes et 6 photographies.
(Paris, Picard 1902)
Recensione di Adolphe-Joseph Reinach, Revue Archéologique t. 1 (4e série), 1903-1, p. 300-302
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Paul Azan, lieutenant au 2e zouaves. Annibal dans les Alpes. Paris, Picard, 1902. In-8, 234 p., avec 17 cartes et 6 photographies.


          L’ouvrage de M. Azan (c’est une thèse pour le doctorat ès-lettres) repose sur une étude approfondie des textes, éclairés par la connaissance précise et personnelle des lieux. On y voit même percer l’intention de réagir contre la méthode a priori du colonel Hennebert, qui abusait des arguments stratégiques et des considérations de métier. Avec des divisions et subdivisions bien marquées, la thèse de M. A. se développe clairement en trois parties. La première (chap. i-x) contient ; 1° les textes anciens ; 2° l’exposé sommaire des diverses solutions (Grand et Petit Saint-Bernard, Mont Cenis, Genèvre, Viso, Largentière) et la critique des systèmes proposés ; 3° une réfutation détaillée des itinéraires reconstitués par le colonel Hennebert et par M. Chappuis.

          Dans la seconde partie (chap. x-xv), M. A. passe à l’examen d’un autre système, développé, dès 1887, par le colonel Perrin. Après avoir préalablement établi le point de départ et le point d’arrivée, l’époque et la chronologie du passage, il expose en détail la théorie du Clapier, avec les modifications qu’il fait subir à la théorie primitive. L’itinéraire adopté fait passer le Rhône à Annibal vis-à-vis d’Orange, lui fait gagner par les vallées du Rhône, de l’Isère et de l’Arc, le col du Clapier, au pied duquel il campe le 26 octobre au soir, et le fait déboucher, le 5 novembre, sur la Doire Ripaire, non loin de Suse et d’Avigliana. Après avoir démontré à nouveau par « identification des distances, des repères et des temps », que « tout cadre bien », l’auteur reconnaît que son système prête le flanc à une objection grave. C’est à l’examen de cette difficulté qu’est consacrée la 3e partie (chap. xv et suiv.). Pour expliquer, selon les besoins de sa thèse, le παρὰ τὸν ποταμόν répété de Polybe, qui désigne incontestablement le Rhône, alors qu’il est indispensable d’y reconnaître l’Isère actuelle, M. A. développe longuement toutes les considérations géologiques qui ont fait admettre une déviation du cours du Rhône. Ce fleuve, avant l’époque où il franchit le Jura à Pierre-Châtel, devait passer par la faille où subsistent aujourd’hui, derniers vestiges, le lac du Bourget et ses affluents, et par la vallée actuelle du Graisivaudan. Cela posé, le Rhône de Polybe devient notre Isère et toutes les données concordent. 

          L’identification du Rhône supérieur de Polybe à notre Isère est un point généralement concédé ; mais ce qui est autrement important, dans l’espèce, ce serait de déterminer l’époque où le Rhône a forcé les défilés du Jura et pris son cours actuel. Comme cette détermination ne semble guère possible, pourquoi ne pas admettre l’hypothèse plus simple (que M. A. indique, d’ailleurs, en passant), à savoir que Polybe a considéré l’Isère comme le cours principal et qu’il a regardé la branche venant du Nord comme l’affluent ? Cette erreur a été partagée par quelques écrivains postérieurs ; le débit autrefois plus considérable de l’Isère a pu s’ajouter, dans l’antiquité, aux motifs qui portèrent à cette confusion.

          On se demande pourquoi l’auteur n’a pas insisté davantage sur une objection qui semble tout aussi grave que le παρὰ| ποταμόν [sic] de Polybe ; c’est l’ab Druentia d’où Tite-Live fait commencer la partie accidentée du parcours d’Annibal. Cette rivière ne saurait être la Durance, mais le Drac. D’autres questions ont été traitées un peu longuement. Peu importe, en effet, qu’Annibal soit entré ou non dans l’île, qu’il ait coupé ou non par le Bréda et le haut Gelon pour gagner l’Arc. On peut contester l’intérêt de la minutieuse reconstitution de la bataille livrée au Grand Caucheron, lorsque l’auteur n’a donné aucune raison décisive pour faire passer Annibal par la Maurienne et non par la Tarentaise (Petit Saint-Bernard ou col de la Galise). Le passage par la Maurienne admis, M. A. n’indique pas ce qui eût empêché Annibal de remonter l’Arc jusqu’au col Girard, ou ce qui l’eût forcé à l’abandonner à Bromans et non pas plus haut, vers le Cenis ou l’Autaret, n’était l’idée préconçue de le faire passer à tout prix par le Clapier. Les raisons pour lesquelles l’auteur adopte le Clapier sont d’ailleurs insuffisamment justifiées ; c’est surtout la présence, au voisinage, d’un plateau de pierre blanche (λευκόπετρον) et la vue de la plaine padane dont on jouit du Clapier. Selon le fameux récit de Tite-Live, Annibal aurait montré cette plaine à ses troupes ; mais la plaine padane se voit également du haut de bien d’autres cols voisins et les roches blanches sont abondantes dans la région. Ce sont donc là des arguments topographiques insuffisants. 

          Les critiques qui précèdent laissent intacte la valeur de ce travail consciencieux et clair. Si la démonstration des hypothèses nouvelles de M. Azan n’est pas complète, il a du moins rendu très vraisemblables celles qui, précédemment émises, sont en accord avec les textes et le terrain. Aussi peut-on considérer comme définitivement acquises à l’histoire, les grandes lignes de l’itinéraire d’Annibal ; après avoir passé le Rhône entre l’Aygues et la Durance, il a longé ce fleuve jusqu’à son confluent avec l’Isère, alors beaucoup plus abondante qu’aujourd’hui ; il a remonté la vallée du Graisivaudan jusqu’à son extrémité supérieure et, peut-être, par les hautes vallées du Bréda et du Gélon, a passé dans la Maurienne ; il y a suivi l’Arc jusqu’à un endroit qui reste encore à déterminer (col Girard, col de l’Autaret, Grand ou Petit Cenis, col d’Ambin, col de Fréjus, col de la Roue, ou encore le Clapier que préconise M. A.). Là, il a traversé la chaîne culminante, pour descendre en Italie sur la Doire Ripaire ou sur la Stura, au seuil de la plaine de Turin.

                                        A[dolphe]-J[oseph] R[einach]