Guigne, M.-C.: De l’origine de la signature et de son emploi au moyen âge, principalement dans les pays de droit écrit, avec quarante-huit planches, in-8°
(Paris, Dumoulin 1863)
Recensione di R. B., Revue Archéologique 9, 1864-5, 2e série, p. 306-307
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De l’origine de la signature et de son emploi au moyen âge, principalement dans les pays de droit écrit, avec quarante-huit planches, par M. C. Guigne, ancien élève de l’Ecole des chartes. Paris, Dumoulin, 1863, in-8.


Des traités généraux, la paléographie est passée aux études spéciales. Aux grands ouvrages de diplomatique, comme ceux de Mabillon et de Wailly, ont succédé les résumés pratiques et portatifs, comme ceux de M. Chassant. Puis aujourd’hui la science se divise : on étudie, dans des travaux séparés, les marques du papier, les sceaux; les monogrammes, etc. Voici qu’un ancien élève de l’École des chartes, défrichant un seul sillon, prend pour texte l’histoire de la signature. Et pour restreindre encore son terrain, il n’envisage ce sujet qu’au moyen âge et dans les pays de droit écrit. Malgré l’étroitesse de son cadre, M. Guigne a cependant rempli un volume de singularités curieuses. La thèse de l’auteur est celle·-ci : la signature a été inventée par ceux qui ne savaient pas écrire. Et pour démontrer que cette thèse n’est point paradoxale, il fait remarquer que le signum gravé sur le chaton d’un anneau porté au doigt tient lieu de signature chez presque tous les peuples anciens ; qu’au moyen âge le seing manuel sert à donner l’authenticité aux actes. Ces seings manuels représentant des croix, des armoiries, des monogrammes, des ornements et des objets divers faisant allusion au nom ou au métier du signataire, précédèrent l’emploi du seing du nom ou petit seing formé simplement des lettres du nom écrites rapidement et accompagnés de quelques traits plus aisés à tracer que les figures des seings précédents. Ce seing, par le nom ou signature proprement dite, ne devint d’un usage obligatoire qu’au XVIe siècle.

Dans une série de sept chapitres, M. Guigne traite donc successivement des anneaux à signer et de la souscription romaine, des monogrammes, des seings des chanceliers et des notaires, des croix, des seings muets, armoiriés, parlants, etc. Mais la partie principale de son ouvrage, ce sont les quarante-huit planches qui lui donnent la consistance d’un volume. La plupart des signatures qui y sont représentées ont été dessinées d’après les originaux conservés aux archives générales de la France (séries J, K, L, P) et à la bibliothèque de la rue Richelieu. – On y trouve notamment la suite des croix, monogrammes et signatures proprement dites des sou­verains français, et l’auteur, en réunissant le premier cette intéressante série, n’y a compris que des seings admis comme authentiques par la cri­tique moderne. Nous remarquons dans ces planches curieuses les signa­tures en forme de ruche des diplômes du Xe siècle, les monogrammes bene valete des anciens papes ; les seings patiemment dessinés des notaires apostoliques, les marques naïvement bizarres d’une foule d’artisans, qui signent en esquissant une clef, une truelle, un fer à cheval, une navette, une hache, un marteau, u·n bonnet, un violon, ou un autre instrument de leurs divers métiers.

J’ajouterai ici que l’usage de ces représentations grossièrement tracées existait aussi bien dans nos pays coutumiers que dans les pays de droit écrit, et que l’emploi de ces marques a été conservé par les artisans illettrés après la fin du·moyen âge. J’ai compulsé des minutes de tabellions normands de l’époque de Louis XIV, et j’y ai trouvé en grand nombre ces marques d’artisans, qui, incapables d’écrire, dessinaient souvent avec une certaine vérité les outils de leur profession. Ce n’est que dans le courant du XVIIIe siècle que les signatures des contrats commencent à perdre leur amusante variété. Sous Louis XIV, on aperçoit encore, à première vue, au milieu d’un pêle-mêle de signatures, la condition des signataires. L’artisan figure un outil, le paysan trace d’une main tremblante une croix irrégu­lière et informe, le petit bourgeois écrit vaille que vaille son nom, le notaire et l’homme de loi enveloppent leur signature cursive dans les replis de paraphes compliqués. Mais toutes ces souscriptions n’émanent que de gens obscurs et dont le chercheur préoccupé de renseignements historiques ne tient pas état. L’œil reconnaît aisément les signatures des per­sonnages plus distingués aux indices suivants : les gens d’église écrivent lisiblement leur nom en petits caractères correctement et fermement tracés (l’humilité monastique des bénédictins n’emploie que des pieds de mouche hauts d’une ligne ou deux), tandis que les gentilshommes affectent la mode hautaine de signer en lettres grosses, parfois d’un demi-pouce.

A ce propos, j’oubliais de dire que M. Guigne aborde incidemment la question souvent agitée de savoir si, il y a trois siècles, les gentilshommes étaient hors d’état de signer leur nom. Il a recueilli aux archives un cer­tain nombre de souscriptions de testaments, où, tandis que les clercs écrivent cette mention : Propria manu subscripsi et signavi, des seigneurs, et notamment Guy, comte de Forez, testateur, font signer de la main d’un clerc, en ajoutant : Cum nescirem scribere ou Quia scribere nesciebam. M. Guigne se croit donc autorisé à conclure que jusqu’au milieu du XIVe siècle il n’y eut qu’un très-petit nombre de nobles lettrés. Il convient cependant que, malgré ses recherches, il a à peine découvert une dizaine de mentions de ce genre. J’avouerai que ces textes sont trop rares pour me sembler suffisamment décisifs, bien que j’admette parfaitement qu’en ces temps héroïques, « le savoir-écrire n’était point la marque essentielle d’une éducation d’élite, » comme l’a très-bien dit M. Louis Paris, dans l’un des derniers numéros de son Cabinet historique. R. B.