Queyrel, François : L’Autel de Pergame. Images et pouvoir en Grèce d’Asie
(Picard, Paris 2005)
Compte rendu par Michel Feugère, Instrumentum, 2006, p. 20
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François Queyrel : L’Autel de Pergame. Images et pouvoir en Grèce d’Asie (Coll. Antiqua, 9) Éd. Picard, Paris 2005, 207 p., 159 ill., XXI coul., 55 €


Cédé aux archéologues allemands dans le cadre d’un accord signé par l’administration ottomane en 1878-1880, entièrement démonté et en partie reconstruit à Berlin dès 1879, l’Autel de Pergame nous parle-t-il davantage de l’époque hellénistique ou des relations entre l’Occident et la Sublime Porte à la fin du XIXe s. ? De toute évidence, c’est un témoin central, à la fois de la religion, l’art et la pensée grecques, et de l’histoire contemporaine. Compte tenu de la dimension du monument, l’aborder de façon complète en 200 pages tenait de la gageure ; disons tout de suite que le pari est gagné, et avec brio.

 

Le monument est tout d’abord présenté dans le contexte de l’acropole, dominant l’agora supérieure, entouré de monuments publics et de palais. On s’aperçoit vite qu’il est fait pour être vu de l’ouest, à quelque distance de la ville. L’étude monographique n’étant toujours pas achevée, les propositions de reconstitution effectuées par divers architectes depuis la fin du XIXe s. soulèvent pour la plupart des questions non résolues. Déterminer la signification du monument exige l’examen approfondi de son décor.

 

La Gigantomachie, qui déroule ses 113 m sur la frise principale de l’Autel, est un thème récurrent de l’art grec depuis l’époque archaïque, notamment pour le caractère pittoresque de ses protagonistes. Le choix de ce motif, à Pergame, lui donne une ampleur nouvelle et témoigne, en outre, “d’une rare érudition mythologique”. Les sculpteurs ont-ils mis en images un texte pergaménien ? C’est possible ; on voit bien que les textes d’Apollodore et d’Aratos, utilisés pour reconstituer les noms des géants et des astres, ne correspondent pas exactement à la sculpture. Le choix de la légende de Télèphe, autre grand thème abordé sur l’Autel (petite frise), s’explique facilement, à la fois par son caractère panhellénique et sa qualité de fondateur de la cité. Ce thème permettait aussi de rappeler des liens très anciens avec le Péloponnèse. Les sculpteurs enfin, dont les noms apparaissent sur les signatures conservées, sont tous inconnus par ailleurs, de même que le maître-d’œuvre qui a dû coordonner l’ensemble.

 

Mais à quoi servait ce monument que nous appelons un autel, à la suite d’auteurs antiques comme L. Ampelius ? A-t-il été construit sur le site d’un sanctuaire préhistorique, d’un tombeau, d’un heroôn de Télèphe … ? Aucun élément matériel disponible à ce jour ne permet de trancher la question. L’hypothèse d’un culte d’Eumène II divinisé, associé aux Douze Dieux et dont l’Autel serait le monument central, est exposée par l’auteur et étayée de manière très convaincante. Cette proposition fournit également une clé de lecture du décor sculpté, Héraklès, ancêtre mythique des rois de Pergame, faisant alors le lien entre la grande frise des Géants et le cycle de Télèphe. Construit à la suite de la victoire sur les Galates en 166, l’Autel serait resté en chantier après la guerre contre Prusias de Bithynie (156-154), peut-être jusqu’à la mort d’Attale III en 133.

 

Depuis sa découverte jusqu’à nos jours, l’Autel de Pergame est d’abord la révélation, à travers un monument somptueux, d’une époque jusque-là inconnue, que l’on a appelée hellénistique pour la distinguer de l’archaïsme et du classicisme antérieurs. Cette découverte a entièrement renouvelé notre perception esthétique, mais aussi philosophique, de l’art et de la culture grecques. On ne saurait mieux aborder l’art hellénistique qu’à travers cet ouvrage qui, mieux que des réponses toutes faites, indique les portes à emprunter pour en découvrir la richesse.