Médard, Fabienne: L’art du tissage au Néolithique (IVe-IIIe millénaire av. J.-C. en Suisse).
(CRA Valbonne 2010)
Recensione di Michel Feugère, Instrumentum, 2010-32, p. 4
Site officiel de la revue Instrumentum
 
Numero di parole 632 parole
 
Citazione della versione on line : Les comptes rendus HISTARA.
Link: http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=1658
 
 

Fabienne Médard. L’art du tissage au Néolithique (IVe-IIIe millénaire av. J.-C. en Suisse) (C.R.A., Monogr. 30), Paris 2010


 

Alors que les matériaux organiques, dont les textiles et travaux de sparterie, se dégradent avec le temps jusqu’à disparaître, dans des conditions atmosphériques courantes, plusieurs contextes exceptionnels ont permis à des tissus, des fils de laine ou de matériau végétal, et même à quelques vêtements, de parvenir jusqu’à nous dans un état de conservation souvent très satisfaisant. C’est ce qui permet à F. Médard, experte reconnue des textiles préhistoriques, de présenter cette synthèse sur l’art du tissage au Néolithique en Suisse, le pays qui a sans doute livré le plus grand nombre de contextes utiles pour une telle recherche en Occident. Le texte s’accompagne de 79 fiches d’analyse présentant une sélection des vestiges textiles étudiés dans le cadre de cette recherche.

 

L’auteure s’était intéressée il y a quelques années au filage dans la même région (Les activités de filage au Néolithique sur le Plateau Suisse. Monogr. C.R.A., Paris 2006) : avec ce volume, elle ne s’intéresse plus seulement au matériau et sa production, mais à sa mise en œuvre dans l’élaboration du produit fini : la pièce tissée, ou plutôt le vêtement, car jusqu’à l’Antiquité romaine on tisse moins du tissu que du vêtement. Avant la découverte d’Ötzi, le 19 septembre 1991, les fragments de vêtements recueillis sur les sites néolithiques étaient de taille si réduite qu’il était difficile, pour ne pas dire périlleux, d’étudier leur forme, leur fonction et leur arrangement sur les individus. Les choses ont changé avec la découverte de la momie préhistorique sur la frontière austro-italienne, et le vêtement néolithique y a acquis une réalité tangible.

 

Les pesons de métiers à tisser, en argile, fournissent pour l’activité de tissage un indice indirect, mais plus fiable que les textiles eux-mêmes, car ils se conservent plus facilement, bien que la cuisson semble irrégulière et souvent accidentelle, au moins au début. Ils apparaissent au Néolithique moyen, au début du Cortaillod (39e s.), mais ne se généralisent qu’à partir du 36e s. juste avant le début de la Culture de Pfyn. Leur fonction, cependant, n’est nullement univoque et demande à être subtilement appréciée : ils n’apparaissent pas nécessairement avec le tissage proprement dit (c’est-à-dire l’armure tissée) et ont pu être utilisés pour produire des armures cordées, c’est-à-dire des tissus qui peuvent également être produits sans système contraignant, métier ou même simple cadre à trois montants. L’histoire du tissage ne se superpose donc pas nécessairement à celle du tissu.

 

Alors que les textiles cordés utilisent surtout du liber, les textiles en armure tissée (chap. 4) consistent principalement en lin, filé au fuseau. Les bandes de tissu obtenues de cette manière étaient des possessions précieuses, le lin donnant une toile fine et souple, avec de nombreuses possibilités décoratives. Les rares rouleaux de tissu retrouvés sur les habitats néolithiques témoignent du soin avec lequel on conservait ces ouvrages : ils représentaient un lourd investissement de travail, et ne semblent pas avoir été des objets d’usage courant : au contraire, leur possession peut avoir été à l’époque considérée comme prestigieuse.

 

L’ethnologie et l’expérimentation sont constamment convoquées par F. Médard pour comprendre les vestiges archéologiques et leur signification. Les pratiques des cultures amérindiennes, notamment, fournissent des éléments très utiles à la compréhension du tissage dans des sociétés vivant sous des climats comparables aux Néolithiques européens. Ne disposant que d’un mobilier fragmentaire, dont la conservation très sélective gêne l’analyse quantitative, F. Médard a su interroger les techniques de fabrication et replacer le mobilier qu’elle étudie dans une perspective plus large. L’évolution du tissage tout au long du Néolithique permet à la fin de la période d’obtenir des tissus plus serrés. Ainsi, l’évolution du textile accompagne un contexte économique, démographique et culturel au cours duquel les échanges se multiplient, les sociétés deviennent plus dynamiques. à lire ce livre, on comprend que la production du tissu s’insère dans une histoire plus large, qu’elle reflète et finalement accompagne.