Halléguen, E.: L’Armorique bretonne, celtique, romaine et chrétienne, ou les origines armorico-bretonnes, ouvrage accompagné d’une préface et de documents rares ou inédits, et honoré du suffrage de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Tome Ier, Armorique romaine et religieuse.
Un volume in-8° de CVI-478 pages. – Plus deux chansons historiques formant 8 pages.
(Paris, Durand 1864)
Rezension von C. E. R., Revue Archéologique 11, 1865-6, S. 78-80
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L’Armorique bretonne, celtique, romaine et chrétienne, ou les Origines armorico-chrétiennes, ouvrage accompagné d’une préface et de documents rares ou inédits, et honoré du suffrage de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, par le docteur E. Halléguen (dédié à S. G. Mgr Sergent, évêque de Quimper et de Léon). Tome Ier, Armorique romaine et chrétienne. Paris, Durand, rue des Grès, 7. 1865. Un volume in-8° de CVI-478 pages. – Plus deux chansons historiques formant 8 pages.


 Le livre de M. Halléguen ne peut manquer de faire sensation dans le public de la Bretagne et même jusqu’à un certain point dans celui du reste de la France qui s’intéresse à la grande et capitale question de nos origines nationales ; et nous ne serions pas étonné de voir les antiquaires d’outre Manche prendre part au débat qu’il semble provoquer parmi nous. Mais le meilleur moyen d’en faire connaître la portée, le caractère et les conclusions, c’est de comparer celles-ci avec l’étal actuel de la science historique en ce qui touche les annales primitives de la province armoricaine (1).

La doctrine la plus accréditée aujourd’hui en matière d’origines bretonnes, repose sur trois points principaux que M. Halléguen prétend battre en brèche et renverser radicalement. 1° L’arrivée, soit au IVe siècle de notre ère, soit au Ve, d’une colonie de Bretons insulaires expulsés de leur île par suite des invasions saxonnes ou autres, et son établissement dans la basse Armorique à peine habitée, encore barbare et restée payenne.

2° La civilisation, la colonisation et la conversion au christianisme des Armoricains envahis, par les Bretons envahisseurs. 3° Enfin l’existence, depuis le Ve siècle, d’un royaume armorico-breton, fondé par Conan selon les uns, par Gradlon ou Grallon selon les autres.

Cette doctrine est sortie de documents·historiques, hagiologiques et légendaires, dont le plus ancien remonte à l’an 823 ; nous citerons entre autres l’Histoire, écrite en latin, de Nennius, le Brut y Brenninet, texte breton-gallois, l’histoire des rois bretons de Geoffroi de Montmouth, Guillaume de Malmesbury, les romans de la Table·Ronde, et certain passage important du cartulaire de Landévennec, cartulaire inédit dont M. Halléguen nous promet une prochaine publication accompagnée d’une traduction et d’un commentaire.

L’opinion de M. le dr Halléguen est tout opposée. Suivant lui, 1° une faible portion des Bretons insulaires, contraints d’échapper par la fuite aux violences des envahisseurs, demandèrent asile, vers le milieu du Ve siècle, aux Armoricains gallo·romains qui habitaient et cultivaient paisiblement les côtes et mêmes les régions plus avancées sur le continent. Ceux-ci les accueillirent avec tous les égards dus par une population humaine et civilisée à de malheureux émigrants d’origine gauloise comme eux. 2° Les Bretons trouvèrent le christianisme en pleine vigueur parmi eux, et leur donnèrent plusieurs évêques. 3° Quant au roi Grallon, il ne faut voir dans ce personnage qu’un des principaux donateurs de l’abbaye de Landévennec, dont le cartulaire a fait un Grallon le Grand pour le distinguer de plusieurs autres comtes de même nom.

Les autorités de M. Halléguen sont toutes empruntées à des textes contemporains. Procope, Zosime, Grégoire de Tours, la Notice des provinces, le Concile de Vannes et enfin le cartulaire de Landévennec dont tout le contenu, excepté le passage mentionné plus haut, tend, selon l’auteur, à confirmer ses assertions.

L’espace nous manque pour rapporter les arguments de M. Halléguen. Son livre est, dans le fond, une œuvre destinée sinon à convaincre du moins à faire réfléchir tous les esprits exempts d’une prévention systématique. Malheureusement la forme n’en est pour ainsi dire pas arrêtée définitivement. Avec ou sans intention, les redites y abondent. On voit que l’auteur, impatient de révéler ce qu’il croit la vérité, n’a pas pris le temps de refondre en un corps réellement organisé les notices qu’il avait publiées antérieurement, notamment dans cette Revue même (1), et les chapitres inédits encore de son vaste travail. Peut-être aussi M. Halléguen, qui est un savant doublé d’un philosophe et qui connaît l’esprit humain, a-t-il compté sur l’efficacité de ce procédé pour faire pénétrer plus avant sa pensée dans nos esprits si peu préparés à la recevoir... Mais son excuse est dans les circonstances. Il combattait une série d’opinions qui règnent sans partage depuis deux siècles et demi, et que protégeaient comme un rempart inexpugnable l’autorité des plus savants bénédictins au XVIIe et au XVIIIe siècles, et, dans le nôtre, celle que se sont acquise MM. de Courson, Hersart de la Villemarqué, A. de la Borderie, G. de Bourgogne et A. de Barthélemy. L’an dernier encore, l’Institut de France paraissait vouloir mettre le sceau à ces mêmes opinions en décernant le prix Gobert à l’ouvrage qui les a rajeunies, le cartulaire de Redon.

Le livre de M. Halléguen, dont le tome Ier sera suivi de deux autres volumes, a sensiblement ébranlé la Commission des antiquités nationales qui siége à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Son jugement, auquel nous nous rallions sans hésiter après avoir lu attentivement l’Armorique bretonne, a été prononcé dans les termes suivants :

« La Commission aurait voulu aussi, a dit M. Hauréau, pouvoir accorder une de ses récompenses à M. le docteur Halléguen, auteur de la Bretagne celtique, romaine et Chrétienne, le vaillant champion de l’ancienne Armorique. Les opinions que M. Halléguen professe sur les origines et les phases diverses de la civilisation bretonne, ont obtenu l’assentiment de votre Commission ; elle reconnaît que la foi chrétienne avait pénétré dans l’Armorique avant l’arrivée des Bretons insulaires ; elle professe avec M. Halléguen, que dans ce vaste territoire sillonné de voies romaines et semé de villes dont la notice de l’Empire et les Itinéraires nous ont conservé quelques noms, l’invasion étrangère n’a pas trouvé la barbarie et n’a pas apporté les premières notions de la discipline sociale... La sincérité de l’auteur n’est pas douteuse, sa véracité sur les points importants n’est point contestée. » – A côté de ce jugement essentiellement favorable, ont trouvé place des observations qui le sont moins sur la forme véhémente que M. Halléguen donne en quelques endroits à son argumentation. Mais cette véhémence est largement rachetée par la franche vigueur et la bonne foi toute juvénile qui règne dans l’ouvrage du savant historien breton. Nous citerons comme un trait particulier de son caractère l’insertion, à la fin du volume, de deux chansons piquantes, pleines d’esprit et de grâce, composées, l’une en 1858 par le grave et regrettable M. Bizeul, (dont M. Halléguen aime à se dire l’unique élève), au sujet du roi Grallon et de sa fille Dahut, l’autre par M. Alfred de Courcy sur la publication, attendue si longtemps, du cartulaire de Redon.

On doit savoir gré à l’auteur de nous avoir donné, dans l’Appendice, plusieurs documents précieux tels que : Dom Liron, Apologie pour les Armoricains et Dom Lobineau, Contr’Apologie, etc., deux opuscules devenus introuvables, que M. Halléguen reproduit in extenso, la Réponse de Dom Lobineau à l’abbé Vertot, morceau inédit, ainsi que divers passages de Dom Le Gallois et du Cartulaire de Landévennec, inédits pareillement.

Nous souhaitons au livre de M. Halléguen l’épreuve d’une critique sérieuse : nous savons que l’auteur ne la redoute pas et le livre pourra y gagner des améliorations de détail dans une édition ultérieure.

C. E. R.

 

 

(1) La Revue n’a aucunement l’intention de prendre parti dans ce débat ; elle laisse à M. Halléguen l’entière responsabilité de ses opinions, qui, sur plusieurs points, nous paraissent encore très-contestables. (Note de la rédaction.)

 

(1) Nouvelle série, t. V, p. 6 et t. VI, p. 235, 1862, sur les Évêchés gallo-romains de la Basse-Armorique.