Cabré, J. - Hernandez Pacheco, E.: Avance al estudio de las Pinturas prehistoricas del estremo Sur de España (Lajuna de la Janda). 34 p., 13 planches.
(Madrid 1914)
Rezension von Henri Breuil, Revue Archéologique t. 24 (4e série), 1914-2, S. 342-345
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J. Cabré et E. Hernandez Pacheco. Avance al estudio de las Pinturas prehistoricas del estremo Sur de España (Lajuna de la Janda). 34 p., 13 planches, Madrid, 1914.


 Ce joli fascicule comprend la description d’un certain nombre de petites grottes peintes situées au N. de la Lagune de la Janda, et la très brève mention de la découverte de stations et ateliers de l’âge de la pierre sur le pourtour de la dépression de Barbate, prov. de Cadix, dont le centre est occupé par la lagune.

L’occasion de ces recherches a été fournie par une note à l’Académie Royale de l’Histoire de Madrid, envoyée en juillet 1913 par don Victor Molina, de Cadix, signalant les peintures de la Cueva de las Figuras, et de plusieurs autres avoisinant cette petite grotte.

Les auteurs décrivent avec détail la géologie de la contrée et la formation des grottes, par érosion aérienne aux dépens des parties les plus tendres des grès éocènes de cette région.

La principale grotte à peintures étudiée par les auteurs — et que j’ai eu l’occasion d’étudier moi-même indépendamment en janvier 1914 — est la Cueva del Tajo de las Figuras, située sur la face sud du Cerro qui termine du côté de la lagune les contreforts de la Sierra de Momia ; l’entrée est à la partie inférieure de la colline rocheuse et surplombe un à pic de 4 mètres, qui rend difficile l’accès d’un vestibule à pente ascendante rapide d’environ 8 mètres de profondeur, se terminant par une petite salle subcirculaire de 4 mètres de large sur 2 de haut. Le plan et la courbe reproduits par les auteurs sont très schéma­tiques et exagèrent sensiblement la pente déjà fort rapide et la hauteur de la ­petite salle ; néanmoins, il est exact que le sol dévale trop rapidement pour qu’il ait été possible de faire une habitation de ce trou (à moins d’y installer des boisages destinés à empêcher les glissades, comme je l’ai fait pour y travailler). Cependant l’extraordinaire polissage du sol en dénote une fréquentation très grande à l’époque préhistorique, probablement parce que c’était une sorte de lieu sacré — consacré, pensent les auteurs, à la chasse et à la reproduction.

Les figures peintes en rouge, jaune et blanc occupent entièrement la chambre et les parois qui la précèdent immédiatement ; j’en ai compté environ 500, que M. Cabré a presque toutes vues et copiées assez fidèlement, et qu’il reproduit dans une planche trichrome d’une exécution un peu hâtive et d’un tirage assez médiocre ; je ne mentionnerai pas de nombreuses différences de lecture sans grande importance entre nos deux copies, car elles sont inévitables, et la con­cordance générale de nos interprétations, pour une aussi grande masse de figures pas toujours très lisibles et fort enchevêtrées, constitue une appréciable ga­rantie de la valeur et de la conscience de nos relevés.

Les figures humaines sont assez nombreuses. Les unes ont un certain caractère réaliste, en particulier le panneau de femmes nues et d’hommes chassant un cerf, situé à gauche dans le vestibule, où l’idée de composition paraît assurée ; plu­sieurs hommes ont la tête ornée de plumes et portent des arcs, qui sont tout à fait reconnaissables ; ainsi qu’une hache polie, et non pas un peu douteux comme semblent le croire les auteurs. En revanche, les lassos affirmés par eux sont bien dus à des mauvais déchiffrements ; ils n’existent pas, ou peuvent avoir toutes les significations possibles ; deux personnages sont placés sous un arceau, sujet qui est répété une seconde fois dans un motif que les auteurs ont bien à tort interprété comme pouvant être un chameau ; dans cette lecture, les quatre jambes du couple sont malencontreusement devenus celles du quadrupède et le sommet de la coupole, le dos du ruminant ; il doit être supprimé de la faune figurée ici. Une partie des figures humaines, plus schématiques, rappelle les personnages stylisés de Sierra Morena. Pour les autres, plus naturalistes, les auteurs s’efforcent à tort de les rapprocher des figures paléolithiques de Gogul Alpera, alors que c’est dans les ensembles assez anciens, mais certainement néolithiques de la Cueva de Los Letreros de Velez-Blanco, de la Piedra Escrita de Fuencaliente et de los Ganjorros (Sierra Morena) qu’ils ont nettement leurs analogues. Les au­teurs ont une tendance générale à exagérer le caractère phallique, très discret, de beaucoup de figures masculines.

En sus du chameau, déjà éliminé, les auteurs ont inscrit dans la faune repré­sentée des antilopes, qui ne sont certainement que des biches, comme la com­paraison avec les séries d’art néolithique et paléolithique permet de l’établir sans peine. Quant aux autres animaux, ce sont des cerfs nombreux, des chèvres ou bouquetins, parfois en troupeaux, ou avec le chevreau têtant sa mère, des chevaux fort douteux et, peu nombreux, des carnassiers schématiques, renards, loups, blaireaux, et surtout d’innombrables oiseaux, généralement posés, par­fois accouplés, rarement au vol ; les auteurs décrivent des grues, des cygnes, des poules d’eau, des flamans [sic], des outardes ; ces déterminations spécifiques laissent souvent à désirer, car la majeure partie des figures représentent non des grues, mais des outardes ; les cygnes désignés ne sont que des oies (le seul cygne bien net n’a pas été compris par M. Cabré) ; il y a aussi des courlis, des gallinacés, une cigogne, certains oiseaux de proie, que M. Cabré n’a pas saisis ; je ne suis pas certain qu’il y ait vraiment une seule grue.

Parmi les signes, assez peu nombreux, les auteurs signalent une armature de cabane, que je vois aussi, un lasso (?) qui peut aussi bien être un serpent ou une rivière, des signes étoilés, des ponctuations et des espèces de « soleils » à rayons portant des petites barres perpendiculaires, que je rapprocherais d’un swastika à multiples branches et où je verrais des symboles astraux, tandis que les éditeurs y voient des nids, avec des œufs à l’intérieur ; ces œufs me paraissent bien douteux, sauf en un cas, dû à une restauration ultérieure (bien que préhistorique) ; d’ailleurs, les oiseaux entourant ces nids sont des outardes qui, justement, pondent sur le sol sans faire le moindre nid. Une demi-lune est hardiment qualifiée de nid de profil, alors que le sens lunaire me paraît plus vraisemblable.

Quant à l’âge et à la chronologie des figures, M. Cabré considère les figures humaines relativement naturalistes et les animaux, il est vrai assez barbares, mais cependant non stylisés à proprement parler, comme le stock le plus ancien, qu’il rapporte au paléolithique finissant.

Ensuite viennent des figures plus schématiques, surtout en rouge carminé, puis en dernier lieu des signes blancs, que M. Cabré déclare superposés aux autres figures, car ils représentent l’ensemble le plus schématique.

J’ai étudié avec le plus grand soin cette question et je l’ai fait examiner par mes compagnons le colonel W. Verner et M. Miles Burkitt ; bien que ce soit regrettable pour les théories trop simplistes, je considère, sans doute possible, les figures blanches comme les plus anciennes : toujours elles s’arrêtent brusquement au contour des figures rouges, mais sur la partie où le rouge a recouvert le blanc, le rouge a pris une teinte carminée spéciale qui n’est pas due, en ce cas, à une restauration, mais à une action chimique du blanc, formant enduit, sur le rouge superposé.

A ce point de vue, la planche publiée est tout à fait inexacte, car les figures rouges y sont oblitérées et masquées par les blanches (figurées en bleu vert sur le fond blanc du papier), ce qui n’a jamais lieu.

D’ailleurs M. Cabré a raison de considérer les peintures carminées schématiques comme bien plus récentes que les figures d’hommes et d’animaux à style seulement barbare, mais il se trompe en y comprenant les parties carminées, dues au contact du blanc, et non à une réfection.

Dans le même cerro, au voisinage, les auteurs ont étudié une série de grottes ; la Cueva del Arca, toute voisine, contenant des figures analogues à celles du Tajo de las Figuras, mais moins nombreuses ; l’allusion à Alpéra et l’attribution au paléolithique finissant d’Alpéra, à l’occasion d’un chasseur armé d’un arc, est erronée ; quelques dessins du panneau de gauche, sont, à mon avis, assez améliorés par le copiste ; je n’ai pas vu de dents à la gueule du loup, et le taureau de gauche ne m’a pas paru être tel : ce qui est comme la corne anté­rieure m’a semblé être une mâchoire supérieure de carnassier.

A la Cueva que les auteurs ont dénommée Cimera, mais que les indigènes appellent de los Cochinos, une série d’animaux ont été également très améliorés par le dessinateur, sous l’influence du souvenir intempestif des jolis animaux de Cogul et d’Alpera ; principalement les soi-disant antilopes (fig. 2, pl. 28), le bouquetin inférieur (pl. VI), les oiseaux pâles de la même planche ; c’est à tort que ces figures jugées plus naturalistes sont séparées de l’ensemble et rapportées au paléolithique ; d’ailleurs, (pl. VI), la superposition d’un bouquetin relativement correct sur des animaux plus schématiques est certaine.

Mais où l’optimisme du copiste a de beaucoup dépassé les bornes, c’est dans la copie de la biche de la pl. IX, troisième Cueva de los Ladrones (cette déno­mination est erronée, le seul nom des quatre grottes que les auteurs appellent ainsi est Pretina) ; à voir ce joli dessin, aux pattes fines et bien étudiées, on se croirait à Cogul ou à Alpera ; hélas ! ces pattes sont en réalité raides comme des bâtons, et tout l’art de cette copie procède de M. Cabré, non de l’artiste néolithique.

Dans la première grotte de los Ladrones (aliàs Pretina), M. Cabré a copié plusieurs mains rouges, dont le dessin est aussi trop optimiste ; trois mains seule­ment sont assez visibles pour être relevées, et non cinq ; ce ne sont pas des empreintes, mais des mains dessinées. Enfin, dans la Cueva del Tesoro (aliàs de la Paja), M. Cabré signale une figure ovoïde bien copiée qu’il décrit, je ne sais pourquoi, comme un phallus.

Dans la Sierra de Zanona, M. Cabré a visité la cueva Ahumada, dont il figure un certain nombre de dessins, en particulier un groupe de cinq femmes assez remarquables, dans lesquelles il voit encore une danse phallique, à cause d’un petit objet à partie supérieure renflée qui est placé à côté de l’une d’elles, près du milieu. Mais au centre existe une figure rectangulaire allongée fort visible, qui semble bien être une sépulture autour de laquelle se lamentent des pleu­reuses. Pourquoi M. Cabré l’a-t-il omise ?

En dernier lieu, les auteurs donnent quelques détails sur la « Laja de los Hierros », vaste surface horizontale de 50 mètres de côté, couverte de gravures extrêmement schématiques qui paraissent avoir, en effet, certains rapports avec d’autres pétroglyphes néolithiques ou énéolithiques du nord de la Péninsule.

J’ai cru devoir souvent rectifier et critiquer certains détails du travail de MM. Cabré et Pachicoi [sic] ; mais si, en cela, j’ai accompli mon devoir de critique ayant personnellement étudié les documents et y apportant mes opinions propres, je serais injuste de ne pas signaler le grand intérêt des faits que les auteurs ont signalés et décrits avec sincérité ; ils acquerront promptement la maturité et l’esprit critique qui leur éviteront certaines erreurs d’interprétation et les pousseront à prendre leur temps pour éprouver la valeur de leur première impression et pour écarter de certains relevés des éléments trop incertains... L’essentiel est de travailler à la découverte et à la publication soignée de docu­ments intéressants : c’est à quoi les auteurs s’emploient avec un enthousiasme digne de toute notre amicale sympathie et qui ne manquera pas de porter de beaux fruits.

H[enri] Breuil