Weill, Raymond: Les origines de l’Egypte pharaonique. Première partie: la IIe et la IIIe dynasties. In-8 de viii-515 p., avec planches. — La presqu’île du Sinaï, étude de géographie et d’histoire. In-8 de ix-380 p., avec cartes et planches.
(Paris, E. Leroux - Paris, H. Champion 1908)
Reseña de Seymour de Ricci, Revue Archéologique t. 14 (4e série), 1909-2, p. 156-160
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WEILL (Raymond). Les origines de l’Egypte pharaonique. Première partie: la IIe et la IIIe dynasties. Paris, E. Leroux, 1908. In-8 de viii-515 p., avec planches. — La presqu’île du Sinaï, étude de géographie et d’histoire. Paris, H. Champion, 1908. In-8 de ix-380 p., avec cartes et planches.


Dans une branche de l’archéologie où l’on a surtout publié des textes et des catalogues, c’est toujours avec plaisir que l’on salue l’apparition de deux gros volumes où l’éternelle analyse est enfin remplacée par un peu de synthèse. Le capitaine Weill n’est pas un inconnu pour nos lecteurs. C’est ici même qu’il a publié son important travail sur les monuments égyptiens des premières dynasties découverts au Sinaï ; ses articles furent bientôt suivis d’un recueil des inscriptions hiéroglyphiques du Sinaï, excellent spécimen de ce que devra être, un jour, le Corpus inscriptionum aegyptiacarum. Un voyage en Égypte et au Sinaï (1905) permit à M. Weill de connaître de visu les régions et les monuments qu’il avait étudiés de seconde main. Sa thèse sur la presqu’île du Sinaï n’est donc pas une compilation, mais le résultat d’observations personnelles et de relevés exécutés sur le terrain.

Géographiquement et géologiquement, le Sinaï forme une région bien définie que l’on peut étudier en l’isolant des pays limitrophes. Je ne veux pas insister sur l’importance que présente le mémoire de M. Weill pour la géographie physique de la péninsule; je renverrai donc au livre même le lecteur curieux de connaître en détail la « zone calcaire », la « marge occidentale de la zone gréseuse », la « zone de faille du sud-ouest », et le « grand horst du versant occidental ». Je recommanderai aussi les excellents chapitres sur l’orologie, l’hydrographie, la faune et la flore sinaïtiques, pour en arriver sans retard aux importantes monographies concernant les deux stations égyptiennes de Magharah et de Sarbout. Le capitaine Weill a pris la peine de dresser une carte au 1/20000e des environs de Magharah et une autre au 1/30000e des environs, de Sarbout. Nous constatons, à l’examen de ces relevés, que si la première station est dans une vallée, la deuxième est au contraire sur un plateau rocheux, entouré de profonds ouadis aux falaises verticales. Magharah n’est plus ce qu’il était autrefois : les mines, conservées intactes depuis l’époque pharaonique jusqu’à la première année du XX e siècle, ont été détruites en totalité par le vandalisme d’une société minière anglaise » [sic]. Dans le vain espoir de découvrir des turquoises, on n’a pas hésité, en 1901, à briser en morceaux un bon nombre de ces bas-reliefs égyptiens que cinquante siècles avaient respectés. La récente expédition de M. Petrie a sauvé ce qui avait survécu ; à l’exception d’un seul bas-relief, sculpté à mi-hauteur de la falaise, toutes les sculptures qui existaient encore ont été transportées au Musée du Caire. Le temple de Sarbout, situé loin de tout lieu habité, n’a point eu à souffrir de la main des hommes. A en croire tous les voyageurs, on ne pouvait y arriver qu’en grimpant le long de la falaise ; par un sentier des plus difficiles ; en fait, les Égyptiens y avaient accès par un chemin bien moins pénible et que retrouva, en 1904, l’expédition anglaise : c’est celui du Ouadi Ajraf, profonde vallée qui ne figurait encore sur aucune carte.

M. Weill a étudié avec non moins de soin les abords du couvent de Sainte-Catherine, énuméré et décrit les vallées qui y aboutissent, montré à la suite de quelles circonstances le Gebel Mousa fut identifié de bonne heure avec le Sinaï de l’Exode, raconté la fondation du monastère et son histoire depuis le haut moyen-âge jusqu’à nos jours (1).

Enfin, dans un excellent chapitre de géographie historique, M. Weill étudie le témoignage des très nombreux voyageurs qui ont visité le Sinaï, depuis les géographes grecs jusqu’aux touristes les plus récents. Cette liste n’a pas la prétention d’être complète. Je ne crois pas inutile de noter ici quelques additions.  

P. 259 M. Weill ne croit-il pas que l’auteur anonyme de la Peregrinatio dite de Sainte-Sylvie pourrait être cette Etheria à laquelle l’attribué dom Férotin ? Ne fallait-il pas au moins mentionner cette conjecture ? Deux excellents mémoires de M. Lumbroso sur les descripteurs italiens de l’Égypte (Mem. Accad. Lincei, t. III, 1879 et X, 1892) lui auraient fourni un certain nombre de notices à ajouter à celles qu’il avait recueillies :

 

Au rapport de Franco Sachetti (Novelle 60) le Sinaï aurait été visité dès le XIVe siècle par Fra Taddeo Dini qui y aurait vu le corps de sainte Catherine ; puis en 1557 par Filippo Pigafetta, qui raconte son voyage dans son Viaggio dal Cairo al Monte Sinai, publié en 1837 à Venise d’après le codex Ambrosianus D. 433, dans les Viaggi vicentini inediti e compendiati da Giovanni da Schio. M. Lumbroso en a trouvé un ms. dans la bibliothèque de l’Archivio di Stato à Turin (J. B. IX, 12). Cf. Mem. accad. Lincei, III (1879), p. 459, ou [sic] M. Lumbroso note que Pigaretta parle des « romiti del Monte Sinai » dans ses Annotazioni nella Canzone del sig. Gio. Batt. Helicona nelle sponsalitie di Madama Serenissima Maria Medici e del Christ.mo Henrico IV re di Francia e di Navarra. (Roma, Mutio, 1600), p. 45.

M. Lumbroso ajoute (p. 468) ; « Tomaso Granata da Spoleto visita l’anno 1615 il convento di Santa Catterina sul Monte Sinai, giusta l’iscrizione riferita da Vitaliano Donati nel Giornale ms. del viaggo [sic] fatto in Levante l’anno 1759 (Biblioteca del Re in Torino), t. II, p. 38. »

Et encore p. 469 ;

« Lelio Loschi fece tra il 1618 et 1620 il pellegrinaggio a Gerusalemme ed al Monte Sinai e ne lasciava una relazione manoscritta, che a dire del Bressan (P. Amat di San Filippo, Bibliografia dei viaggiatori italiani, 2a ed., p. 200), serbasi nell’ Airchivio Loschi (XX, n° 423) a Vicenza. Ne feci ricerca ma invano».

En 1622, environ le P. Tomaso Obicino da Nonio de Novare, copia des inscriptions sinaïtiques (ibid., p. 470).

Le Sinaï fut visité vers 1630 par le consul vénitien Alvise Corner (César Lambert, Relation, p. 42, cité par Lumbroso, l.c., p. 474) et en 1636 par son collègue Giovanni Donà, sur lequel je cite encore Lumbroso (l.c., p. 474) :

« Da un iscrizione riferita nell’ inedito Giornale di Viaggio di Vitaliano Donati (t. II, p. 38) nella Biblioteca del Re in Torino, rilevo che il console veneto Gio­vanni Donà fece anch’ egli il viaggio al Monte Sinai, ove trovossi il 22 maggio 1636 ».

Il eut comme compagnon Giovanni Battista Bonagente, médecin de Vicence, qui raconte le voyage dans une lettre du 25 novembre 1635 dont M. Lumbroso donne un extrait (p. 475) où figure la liste des voyageurs composant la petite caravane ; « un tal Eccmo sig. Giacomo Ricchi da Corfù medico et armicissimo del Segalla ; il sig. Paolo Damiani dragomanno vecchio della natione venetiana, un tal P. Andrea da Arco capellano, eletto poi nel 1637 guardiano di Gerusalemme ».

En 1640 nous y trouvons l’architecte vénitien Tito Livio Burattini (apud de la Chambre, Discours sur les causes du débordement du Nil, Paris, 1665, in-4) que je cite d’après Lumbroso, p. 481 :

« Io me partii dal Cairo il giorno delli 12 settembre 1640 per andare al Monte Sinaï in compagnia di tre italiani mei amici, e per andar sicuri prendessimo un Capo di Arabi, il quale ci diede li Cameli necessarî per il viaggio et la sera dor­missimo nel deserto, che conduce al Suez ».

En 1639 Arcangilo Carradori décrit en quelques lignes le voyage du Sinaï qu’il ne fit probablement pas (Relatione, ed. Lumbroso, Mem. accad. Lincei, X, 1892) : « Dal Cairo al Monte Sinaï si va in dodici giornate con camelli con spesa di venticinque o trenta scudi ; questo viaggio è pericoloso degl’ Arabi, ma si va con li Caloieri, o frati greci quali portano la provisione alli monaci greci del Monte Sina, quali son’ monaci di San Basilio... » etc.

Je lis encore dans Lumbroso, Mem. accad. Lincei, III (1879), p. 496 ;

« Maurizio Beolchi medico Milanese, trovossi in maggio 1756 nel Monastero de’ Calogero sul Monle Sinai, giusta un’ iscrizione referita dal Donati Giornale di Viaggio ms., II, p. 18. Ho invano cercato altre notizie di lui ».

En janvier 1721, André Scandar fit avec le P. Sicard le voyage du Sinaï (Lettres édifiantes, éd. de 1789, t. V, pp. 381 398).

 

En 1761 nous y trouvons le voyageur italien Vitaliano Donati dont l’importante relation manuscrite (Bibl. Royale de Turin, t. II, pp. 1-62) contient une bonne description du Monastère de Sainte-Catherine. Près d’un siècle avant Tischendorf et quarante ans après Sicard il en explorait la bibliothèque. Voici, à titre de curiosité, les paragraphes que Sicard (2) et Donati (3) consacrent à cette célèbre collection de manuscrits:

 

« Nous désirions particulièrement entrer dans la Bibliothèque pour l’examiner à loisir. Les Religieux avoient quelque peine à nous l’ouvrir, parce qu’ils prétendent que c’est toujours avec perte de quelques uns de leurs Livres qu’ils la font voir. On dit en effet qu’ils en ont beaucoup perdu : malgré rependant les pertes dont ils se plaignent, leur Bibliothèque est encore très nombreuse, elle est riche surtout en manuscrits Grecs, Russiotes, Arabes, Syriaques, Abyssins, et autre mais tous ces livres, soit manuscrits, soit autres, ont été si souvent remués qu’ils sont aujourd’hui dans une confusion générale. Il nous eut fallu plus de temps que nous en avions pour en prendre une connoissance parfaite. »

« ln questo monastero [di S. Caterina] ritrovai una quantità grandissima di codici membranacei, molti de’ quali sono riposti in una Libreria, ed altri alla rinfusa in un pessimo magazzino. Quasi tutti sono membranacei per la maggior parte greci ; vi sono molti Santi Padri, ed Espositori Biblici, varî codici di Vite de’ Santi, alcuni storici, e pochi scrittori di altre materie ; ve ne sono alcuni che mi sembrarono anteriori al settimo secolo, ed in ispecie una Bibbia in mem­brane bellissimo ; assai grandi, sottili, e quadre, scritta in carattere rotondo e bellissimo ; conservano poi in chiesa un Evangelistario greco in carattere d’oro rotondo, che dovrebbe pur essere assai antico. Oltra i codici Greci ne hanno moltissimi altri di Arabi, Soriani, Caldei, Illirici (4), Etiopi, ed in altre lin­gue; non ne vidi però alcuno di latino. Fra i detti codici asservai [sic] alcuni trattati greci di musica antica, e molti volumi lunghissimi per uso liturgico ».

 

La Bible vue par Vitaliano Donati en 1761 est sans doute ce même Codex Sinaiticus que Tischendorf fut si fier de découvrir quatre-vingts ans plus tard. Personne n’a encore remarqué qu’elle eût été aperçue dès le XVIIIe siècle.

*                      *                              *

La deuxième thèse de M. Weill est plus strictement égyptologique que la première : c’est, sauf erreur, le premier travail un peu considérable que l’on ait encore consacré à une période définie de l’histoire égyptienne. L’auteur a été singulièrement heureux dans le choix de son sujet. Si la première dynastie égyptienne appartient encore par plus d’un côté à la préhistoire, si, d’autre part, la quatrième dynastie, celle des Kheops et des Khephren, nous est bien connue depuis un bon demi siècle, l’époque intermédiaire, qui constitue véritablement les origines de l’Égypte pharaonique, échappait encore en grande partie à notre vision. On ne la connaissait que par des monuments et des textes non seulement dispersés, mais encore, à ce que l’on croyait, contradictoires; les noms royaux que révélaient les monuments contemporains ne se laissaient pas identifier sans peine avec ceux qu’énuméraient les tables d’Abydos et de Saqqarah, le papyrus de Turin, les abréviateurs de Manéthon ; on signalait, sans les expliquer, les divergences que présentaient entre elles ces listes plus tardives ; l’archéologue et l’historien travaillaient, chacun de leur côté, à dater les monuments qui ne portaient point de cartouches ; l’épigraphiste, enfin, méprisait les quelques inscriptions qui nous étaient parvenues, si bien qu’à part une copie sommaire donnée jadis par M. Pierret, l’inscription de la statue de Sepa au Louvre était encore inédite en 1908.

M. Weill s’est montré à la fois archéologue, historien et épigraphiste ; archéologue, il a étudié l’évolution des types tant en sculpture qu’en architecture : il s’est efforcé de dater les tombes d’après leur construction, les bas-reliefs d’après leur composition, les statues d’après leur attitude ; historien, il a comparé les listes grecques et pharaoniques avec les données des monuments ; épigraphiste et paléographe, il a étudié l’évolution de l’écriture égyptienne ; il s’est efforcé de déchiffrer les signes peu connus qui fourmillent dans ces textes archaïques dont le premier il a tenté la traduction.

Une série de planches, que complètent de très nombreux croquis dans le texte, forme un corpus provisoire des monuments et des inscriptions de cette époque. On sera heureux de trouver réunis ici tous ces documents dont beaucoup étaient peu accessibles et quelques-uns inédits. Combien de bibliothèques provinciales possèdent le grand album de la collection Barracco?

Nous ne voulons pas chercher des chicanes de détail. Qu’importe si la stèle de Sehel, avant d’avoir été découverte par Wilbour en 1890 (p. 55), avait déjà été copiée en partie par Hay (1840?) (5). Qu’importe encore si M. Weill (p. 17) paraît ignorer pour la Chronique d’Eusèbe l’excellente édition de Schoene (1867) et renvoie encore à Aucher et à Zohrab (1818) ? Il me paraît vraisemblable que le Nofirkère, placé par la table d’Abydos à la fin de la IIIe dynastie, est le protolype [sic] du Kerpherês que signale à cette place la liste manéthonienne. De même, Snofiroui me semble correspondre plutôt au Sephouris qu’au Sôris de Manéthon. Je me demande si le p final du nom royal Merbap n’est pas le déterminatif rectangulaire du mot ba et s’il ne faut pas lire tout simplement Merba. Je soumets d’autre part aux égyptologues l’identification possible de l’Horus Perabsen et du Roi Sendi (p. 5-35) ; rien dans l’inscription de Shiri n’interdit à mon avis cette identification (6). Attendons avec impatience la suite de cet important ouvrage et souhaitons à M. Weill d’avoir bientôt rédigé les chapitres relatifs à la dynastie qui nous a donné les Pyramides (7).

S[eymour] De R[icci]

 

(1) Ajouter à ses renvois la mention d’un article de Röhricht sur le couvent à l’époque des Croisades (Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins, t. X, 1887, pp. 237-239).

(2) Sicard (1720), Lettres édifiantes, éd. de 1780, t. V, p. 387-388 ; éd. de 1819, t. III, p. 400.

(3) Vitaliano Donati, Giornale ms., t. II, p. 27, cité ici d’après Lumbroso, l. c., p. 501.

(4) Illirici. Lire Iberici, c’est-à-dire Géorgiens.

(5) Cf. ses papiers au British Museum.

(6) Les dessins anciens du fragment d’Aix qu’a vainement cherchés M. Weill au Cabinet des Estampes, se trouvent dans un album d’antiquités ayant appartenu à Peiresc.

(7) Les fouilles récentes de M. Reisner près de la pyramide de Mycérinos ont amené la découverte de quelques nouveaux objets portant des noms royaux des IIe et IIIe dynasties.