Mas Latrie, Louis de: Histoire de l’île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan. 3 vol.
(Paris, Imprimerie impériale 1852-1861)
Reviewed by A. de B., Revue Archéologique 5, 1862-3, 2e série, p. 87-88
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Histoire de l’île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan, par M. de Maslatrie. 3 vol. Impr. impériale, 1852, 1855, 1861.


La Revue archéologique, t. X, p. 189, et t. XII, p. 314, a déjà signalé tout l’intérêt des tomes II et III de ce bel ouvrage : MM. Bourquelot et Maury ont fait connaître, avec l’autorité qui s’attache aux appréciations qui sor­tent de leur plume, la richesse des documents que M. de Maslatrie a recueillis avec un zèle et un bonheur égaux.

M. de Maslatrie a commencé par soumettre au public tous les documents historiques, la plupart inédits, qu’il avait amassés sur cette colonie franque qui, depuis le douzième siècle jusqu’à la fin du quinzième, appartint à la maison de Lusignan. Après avoir passé plusieurs années à classer, à coor­donner ces richesses diplomatiques, l’auteur a abordé l’histoire même de l’île de Chypre ; c’est-à-dire qu’il a mis en œuvre les matériaux dont ses lecteurs déjà pouvaient apprécier l’importance : c’est à cette histoire que nous voulons consacrer ici quelques lignes.

C’est une étude curieuse que celle de cette terre de Chypre, qui perdit son autonomie vers le milieu du sixième siècle avant l’ère chrétienne, et qui, depuis ce temps, se vit dominer par les Égyptiens, les Romains, les Byzantins, puis les Francs, pour tomber ensuite sous le joug des Turcs ; là on aperçoit une exception bien évidente à la théorie de la fusion des races : pendant quatre siècles, les Européens tinrent Chypre, la gouvernèrent selon leurs lois, et bien que cette période ait été l’une des plus heureuses de l’île, rien n’est resté de cette occupation.

Le premier volume de l’Histoire de l’île de Chypre comprend les règnes de Gui de Lusignan, qui ne prit pas le titre de roi, de Amaury, Hugues Ier, Henri Ier, Hugues II, Hugues III, Jean Ier, Henri II. C’est une période qui va de 1192 à 1291 ; outre l’ensemble des événements qui se rattachent à chacun de ces rois, M. de Maslatrie résume habilement dans différents chapitres la géographie de l’île de Chypre, son histoire ancienne, et celle des temps qui précédèrent immédiatement les Lusignan. On doit rendre à l’auteur cette justice qu’il est resté maître de son sujet et que, à la différence de certains écrivains, trop nombreux, il n’est pas tombé dans l’écueil de ces digressions qui font faire une histoire universelle à propos d’une monographie locale.

Les personnes qui cherchent dans les circonstances d’une minime im­portance l’origine des grands événements peuvent trouver un singulier exemple dans l’histoire de Chypre : le roi Richard d’Angleterre, se rendant avec sa flotte au rendez-vous que lui avait donné le roi de France à Saint­-Jean d’Acre, essuie une tempête dans les eaux de Chypre ; le prince byzantin, qui se qualifiait empereur de Chypre, refuse aux Anglais la per­mission de se reposer dans son île, il refuse même de l’eau au navire qui portait la sœur et la fiancée du roi ; et voilà Richard qui débarque brave­ment, s’empare de l’île : celle-ci est vendue bientôt aux Templiers, qui ne peuvent s’y maintenir, puis à Gui de Lusignan, un moment roi de Jérusalem, qui fonda la dynastie des rois de Chypre.

L’île de Chypre fut le centre commercial où convergeaient pour l’Europe toutes les marchandises de provenance orientale : M. de Maslatrie établit clairement, et je ne sais pas s’il n’est pas le premier, que ce que nous appelons aujourd’hui les denrées coloniales, et ce qui s’appelait alors les denrées orientales, venaient par Chypre. Ce petit royaume, né des croi­sades et qui continua l’ancien royaume de Jérusalem, devint ainsi une digue au mouvement qui jadis avait fait entreprendre les guerres de terre sainte : du jour où le commerce fut organisé par Chypre, la paix et l’intérêt firent taire l’enthousiasme religieux et les idées belliqueuses. A. de B.