Wescher, C. - Foucart, P. (éd.): Inscriptions recueillies à Delphes. 1 vol. in-8°
(Paris, Didot 1863)
Reviewed by William Henry Waddington, Revue Archéologique 8, 1863-4, 2e série, p. 548-550
Site officiel de la Revue archéologique
Link to the electronic edition of this book
 
Number of words: 1256 words
 
To quote the online version: Les comptes rendus HISTARA.
Link: http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=144
 
 

Inscriptions recueillies à Delphes et publiées pour la première fois par MM. C. Wescher et P. Foucart, membres de l’École française d’Athènes. Paris, Didot, 1863. 1 vol. in-8°.


Ce volume, contient quatre cent quatre-vingts inscriptions inédites et presque toutes d’une conservation parfaite, copiées sur le mur méridio­nal du soubassement du temple d’Apollon, à Delphes, que MM. Foucart et Wescher ont fait déblayer sur une longueur considérable. Continuant le travail commencé, il y a vingt ans, par Ottfried Muller, les deux jeunes épigraphistes avaient entrepris de déblayer tout le soubassement du tem­ple, et de conquérir à la science les nombreux documents gravés sur ses assises vénérables ; mais les difficultés locales et le manque de ressources pécuniaires les ont contraints de s’arrêter au milieu de leur tâche. Plus tard, dans une seconde excursion, M. Wescher a déblayé une nouvelle portion du mur, notamment l’angle oriental de la plate-forme, et il y a re­cueilli quelques inscriptions importantes, qu’il ne tardera pas, j’espère, à li­vrer à la publicité. Il est fort à souhaiter que, dès que la tranquillité sera rétablie en Grèce, on entreprenne le déblaiement complet, non seulement du soubassement, mais de la plate-forme elle-même, sur laquelle se trouve le village moderne de Kastri ; la question est surtout une question d’argent, et notre école d’Athènes saura parfaitement mener l’entreprise à bonne fin, si on met à sa disposition des fonds suffisants ; ce serait une·tâche digne à la fois de la sollicitude du gouvernement impérial et des jeunes représentants de l’érudition française à Athènes. Mais, en atten­dant que ces espérances puissent se réaliser, hâtons-nous de nous réjouir des résultats déjà acquis ; car depuis longtemps l’épigraphie grecque ne s’était enrichie, d’un seul coup, d’un nombre aussi considérable de documents nouveaux, documents qui touchent par différents côtés à l’étude de l’antiquité hellénique, et qui viennent répandre la lumière sur une foule de points obscurs. Les textes publiés par MM. Wescher et Foucart sont, pour les neuf dixièmes au moins, des actes d’affranchissement sous forme de vente de l’esclave à Apollon, le dieu de Delphes. Ces actes sont tous conçus à peu près dans les mêmes termes, et leur principe fondamental, la vente de l’esclave à une divinité, est toujours le même ; mais ils ren­ferment une foule de détails intéressants sur les rapports de maître à es­clave, et permettent de tracer un tableau de ces relations infiniment plus détaillé, plus vivant et plus complet qu’on n’avait pu le faire jusqu’alors, faute de documents suffisamment nombreux. C’est ce que vient de faire l’un des éditeurs, M. Foucart, dans une série d’articles insérés au Journal de l’instruction publique (juillet 1863) ; ce mémoire, qui épuise à peu près cette portion du sujet; fera désormais autorité sur la matière, et les amis des études classiques verraient avec plaisir l’auteur le republier sous une autre forme, en étendre un peu le cadre et y faire entrer les éléments que fournissent les auteurs classiques et les inscriptions déjà connues qui se rapportent au même sujet. Il y a un autre côté de l’his­toire de l’esclavage que les inscriptions de Delphes éclairent d’une vive lumière : c’est l’extrême variété dans la nationalité des esclaves. Il en vient de presque toutes les parties du monde connu alors ; les nations considérées comme barbares sont naturellement celles qui fournissent le contingent le plus nombreux ; on trouve des Égyptiens, des Syriens, des Juifs, des Cappadociens, des Paphlagoniens, des Arméniens, des Arabes, des Tibaréniens, des Sarmates, des Mœotes, des Thraces, des Phrygiens, des Mysiens, des Illyriens. L’Italie est représentée par des Samnites, des Luca­niens, des Bruttiens et même par une Romaine. Le nord de la Grèce envoie des Perrhœbes, des Athamanes et des Macédoniens ; et enfin il y a un Mégarien et une femme d’Oropus ; on remarque aussi une esclave ou concu­bine du roi Attale. Cette énumération montre combien le commerce des esclaves était étendu, et par quel système d’enlèvement et de piraterie il s’alimentait.

La géographie de l’Étolie, de la Locride et des provinces voisines devra aussi au Recueil de MM. Foucart et Wescher de précieux renseignements. Parmi les centaines d’ethniques mentionnés dans les inscriptions, il y en a un bon nombre qui appartiennent à des localités à peine nommées par les auteurs, d’autres qui paraissent ici pour la première fois. Nous nous proposons de faire connaître bientôt aux lecteurs de la Revue, dans un travail spécial, les ressources nouvelles que la géographie ancienne peut trouver dans les inscriptions de Delphes.

Plus encore que la géographie, la connaissance des calendriers anciens s’enrichira, grâce aux efforts de MM. Wescher et Foucart, de toute une sé­rie de faits nouveaux. Si on compare les résultats que donne le dépouillement des inscriptions de Delphes avec les tableaux publiés à la fin de l’excellent travail de K. F. Hermann (griechische Monatskunde, Gœttingen, 1844), travail qui représente l’état actuel des connaissances ménologiques, on sera frappé de l’importance des nouveaux documents mis à la disposi­tion des savants. Grâce à l’excellente habitude qu’avaient les Phocéens de désigner leurs mois tout simplement par les nombres un a douze, grâce aussi à la non moins louable coutume des Delphiens de diviser leur an­née civile en deux semestres, on peut maintenant reconstituer en entier le calendrier delphien ; et comme il y a de nombreux synchronismes en­tre le calendrier de Delphes et ceux des Étoliens et des Locriens, on ar­rive à connaître ces derniers presque en entier, sans parler d’indications précieuses sur les noms des mois en Thessalie, en Béotie, à Amphissa, à Chaleion, à Tritea, à Érineum, à Physcis, etc. Je voudrais pouvoir citer quelques-uns de ces noms qu’on rencontre ici pour la première fois, et signaler leur importance, soit pour l’histoire des dialectes, soit pour les mythologies locales ; mais l’espace dont je dispose ne me permettrait pas d’entrer dans les détails nécessaires, et d’ailleurs j’espère pouvoir revenir prochainement sur cet intéressant sujet. Sous le rapport dialectique, les inscriptions de Delphes ne sont pas assez anciennes pour être bien ins­tructives. Le seul texte archaïque, le dernier du·volume, est écrit en caractères presque pareils à ceux de l’inscription gravée sur les serpents de bronze qui soutenaient le fameux trépied offert au sanctuaire de Delphes parles Grecs après la victoire de Platée, de sorte qu’il appartient au milieu du Ve siècle. Parmi les autres inscriptions, nous signalerons celles rela­tives aux jeux appelés Soteria et la longue liste des proxènes de Delphes. Les jeux soteria avaient été institués par les Athéniens et les Étoliens en souvenir de la défaite des Gaulois, qui avaient envahi la Grèce ; ils étaient célébrés à Delphes sous la surveillance du conseil amphictionique, et ne le cédaient en importance qu’aux jeux pythiens. Parmi les proxènes, on remarque quatre Marseillais et plusieurs Romains, entre autres Titus Quinctius Flamininus, le vainqueur de Cynoscéphales, et M. AEmilius Lepidus, consul en 187 et 175.

En terminant cette courte notice, il nous reste à remercier les éditeurs du soin scrupuleux qu’ils ont mis à reproduire les textes tels qu’ils sont gravés sur la pierre, avec toutes les particularités et même les fautes d’or­thographe qui s’y trouvent ; comme ils le font remarquer eux-mêmes, « ce que nous autres modernes nous appelons erreur, est souvent l’indice d’un fait inconnu, le vestige d’un détail ignoré. » On ne saurait trop rappeler ce précepte aux voyageurs, qui se permettent souvent d’introduire dans les copies des inscriptions qu’ils ont relevées, des correctiones tacitœ, selon l’expression d’un illustre épigraphiste allemand, corrections qui déroutent le commentateur et l’induisent en erreur. MM. Foucart et Wescher n’ont admis que des restitutions évidentes, et dans les notes critiques placées à la fin du volume, ils ont indiqué tous les petits changements introduits dans le texte ; je ne saurais en signaler qu’un seul, qui me semble avoir été admis sans motif suffisant ; c’est [GREC] au lieu de [GREC] que porte la pierre (n° 216). W. H. WADDINGTON.