Strzygowski, Joseph: Orient oder Rom, Beiträge zur Geschichte der spätantiken und früchristlichen Kunst. In-4, 159 p. et 9 planches en phototypie.
(Leipzig, Hinrichs 1901)
Reviewed by Seymour de Ricci, Revue Archéologique t. 1 (4e série), 1903-1, p.  99-106
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Joseph Strzygowski. Orient oder Rom, Beiträge zur Geschichte der spätantiken und früchristlichen Kunst. Leipzig, Hinrichs, 1901, in-4, 159 p. et 9 planches en phototypie.


          M. F. Wickhoff, dans sa publication de la « Genèse de Vienne » et F. X. Kraus ont soutenu l’origine romaine de l’art italien du VIe siècle. Wickhoff croyait que les motifs et les procédés, inventés à Rome sous le Haut-Empire, avaient été exportés de bonne heure en Orient ; Kraus, au contraire, admettait l’origine alexandrine de ces motifs et de ces procédés, mais attribuait à Rome un rôle essentiel, tant dans leur formation et leur développement que dans leur diffusion postérieure. Entre ces deux théories contradictoires il y avait place pour une troisième ; c’est celle que M. Strzygowski a développée sous une forme des plus attrayantes. Motifs et procédés viennent d’Egypte ; le rôle de la métropole est insignifiant, car les Romains ont trouvé cet art en Orient, perfectionné déjà, en plein épanouissement et n’ayant pas besoin pour plaire d’être transformé par les artistes italiens. 

          La méthode employée par M. Strzygowski pour fournir des preuves à l’appui de son système est des plus recommandables et donne à son travail un prix que n’aurait peut-être pas un ouvrage de polémique pure ; l’auteur a publié, avec de bonnes reproductions photographiques, une série d’œuvres d’art, toutes inédites, toutes de provenance orientale et toutes plus anciennes que les œuvres occidentales où se retrouvent les mêmes motifs. Nous pouvons ainsi apprécier la variété des connaissances archéologiques de M. Strzygowski et c’est avec un véritable plaisir que nous le suivons dans ses promenades à travers les musées de l’Europe et même de l’Egypte. On sait qu’il vient de passer un hiver dans ce pays et qu’il y a réuni à grand prix, pour le musée de Berlin, une collection très remarquable d’objets coptes et gréco-égyptiens. M. Strzygowski a aussi rédigé un catalogue des objets coptes du musée du Caire qui formera un volume de la série (en cours de publication) des catalogues édités par cet établissement.

          Après une introduction assez longue dans laquelle l’auteur combat avec vigueur, dans des raisonnements très serrés, les théories de M. Wickhoff, nous trouvons cinq chapitres très étendus, consacrés chacun à un monument différent.

          L’auteur décrit d’abord un hypogée palmyrénien de l’an 259 de notre ère, situé au sud-ouest de Palmyre et exploré en 1899 par M. Sobernheim (1), qui en a pris de nombreuses photographies. Le plan de cette catacombe est très simple ; au centre une salle carrée, de quatre mètres de côté, dont chacun des murs est percé d’une porte ; trois de ces portes donnent sur une chambre funéraire et la quatrième termine le couloir d’entrée. L’ensemble forme une croix dont les quatre branches sont sensiblement égales. Toutes les parois de ces salles sont couvertes des plus riches peintures, fort bien conservées pour la plupart et dont les photographies que publie M. Strzygowski donnent une assez bonne idée. Un tableau représente Ulysse découvrant Achille parmi les filles de Lycomède. Un grand portrait en pied d’une femme, tenant un enfant dans ses bras, rappelle à s’y méprendre les vierges de l’art italien du haut moyen-âge ; mais une inscription palmyrénienne nous apprend qu’il s’agit d’une simple mortelle, Bad’a fille de Simon. Ce Simon, qu’un autre graffite nomme fils d’Abba, était apparemment un Juif ; son portrait figure, avec d’autres membres de sa famille, dans une série de médaillons circulaires qui décorent tout le pourtour d’une des salles. Les portraits, autant qu’on peut en juger d’après les photographies, paraissent assez médiocres. Chaque médaillon est supporté par une femme ailée, debout sur une sphère ; juste sous une de ces sphères je distingue sur la planche le nom APRAHAM peint en caractères latins (2).

          Une photogravure assez mal venue nous montre les trois sarcophages sculptés que renferme une des salles de l’hypogée. Celui du milieu a seul conservé son couvercle, où l’on voit représentés un homme et une femme, assis dans la même position que sur le sarcophage étrusque du Louvre.

          Tous ces sujets sont connus par ailleurs et M. Strzygowski tente quelques rapprochements instructifs ; les femmes ailées (Victoires ?) qui supportent les médaillons sont le prototype direct des anges des mosaïques de S. Praxède à Rome et de S. Vitale à Ravenne. Un diptyque de Munich nous montre même une femme ailée, identique à celles de Palmyre et supportant un médaillon (couronne de lauriers) contenant le portrait en buste d’un consul ; l’analogie est curieuse (3).

          Les portraits d’hommes et de femmes que contiennent les médaillons de Palmyre sont de la même école que les bustes funéraires palmyréniens dont la Glyptothèque de Ny-Karlsberg possède une série si riche ; on songe aussi aux portraits gréco-égyptiens de la collection Theodor Graf.

          Le plan cruciforme de l’hypogée est remarquable. M. Strzygowski le rapproche de celui de certaines catacombes d’Alexandrie et surtout de l’église des Apôtres à Constantinople. Bien entendu, il ne faut pas chercher dans cette disposition une inspiration chrétienne.

          Nous serions bien embarrassés pour dater ce curieux monument, s’il ne contenait pas une série d’inscriptions en caractères palmyréniens, publiées dès 1899 dans les Beiträge zur Assyriologie de MM. Haupt et Delitzsch. La plus importante est datée du mois d’Adar de l’an 570 de l’ère des Séleucides, c’est-à-dire de l’an 259 de notre ère. 

          Des noms comme Abraham et Simon fils d’Abba nous permettent de croire que cet hypogée, qui pouvait contenir deux cent quatre-vingts cadavres, appartenait à une communauté juive ; la présence du tableau d’Ulysse et Achille n’était pas pour effaroucher ces observateurs peu scrupuleux des prescriptions talmudiques.

          C’est également à une école syrienne d’artistes juifs que M. Strzygowski attribuerait les miniatures du célèbre Pentateuque Carolingien, volé, vers 1840, par Libri, à la bibliothèque de Tours, vendu par lui à Lord Ashburnham et rentré depuis à la Bibliothèque Nationale ; certains détails de mœurs et de costume permettent, en effet, de considérer ces miniatures comme les copies fidèles d’originaux peints en Syrie au IIIe et au IVe siècle de notre ère.

          Le deuxième chapitre du livre de M. Strzygowski est consacré à l’étude d’un haut relief d’Asie-Mineure représentant le Christ. Ce haut-relief, provenant de Sulu Monastir (Constantinople), mais peut-être trouvé en Asie Mineure, a été récemment acquis par le Musée de Berlin. M. Strzygowski en donne une belle phototypie qui nous permet d’apprécier la valeur artistique de ce remarquable morceau de sculpture. C’est un panneau de marbre haut de 1m,42 et large de 1m,24, qui formait évidemment l’une des extrémités d’un sarcophage monumental. Quatre colonnes (dont l’une a disparu), cannelées en spirale, partagent le champ en trois niches égales ; celle du milieu est surmontée d’un fronton triangulaire très fouillé et très orné. Trois hommes en pied, drapés dans de longs manteaux, occupent ces niches ; le personnage du milieu, plus grand d’une demi-tête que les deux autres, est évidemment le Christ ; sa tête, tournée légèrement vers la droite, se détache sur un nimbe crucifère ; les cheveux longs et bouclés retombent presque jusqu’aux épaules ; le visage, malheureusement endommagé, est imberbe, nettement imberbe ; la figure est celle d’un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans. A droite et à gauche deux hommes imberbes, l’un jeune, l’autre plus âgé, debout, légèrement tournés vers le Christ, sont évidemment deux évangélistes ; chacun tient à la main un objet de forme rectangulaire qui paraît bien être un codex sur parchemin. Un haut-relief analogue, représentant le Christ entre les deux autres évangélistes, formait peut-être l’autre extrémité du sarcophage.

          La date de ce monument est assez difficile à déterminer avec précision : l’apparence générale de la sculpture, le costume des personnages et leur attitude, rappellent de très près les monuments de l’art antique et surtout une série de beaux sarcophages d’Asie Mineure, publiés pour la première fois par M. Strzygowski.

          C’est d’abord un fragment mutilé, photographié à Nicée par ce savant et représentant un homme debout dans une niche, que surmonte un fronton triangulaire ; c’est ensuite une scène du mythe d’Achille sur de grands panneaux en marbre, provenant de Bedestan et conservés au musée de Konia ; c’est enfin et surtout un merveilleux sarcophage, trouvé à Selefkieh et entré en 1890 au musée de Constantinople. Sur les deux faces principales sont cinq personnages en haut-relief, séparés l’un de l’autre par des colonnes identiques à celle du marbre de Berlin et surmontées de frontons analogues ; sur la première face, au centre, le mort, assis sur une chaise, tient à la main un diptyque ; de chaque côté une femme drapée et un homme nu, la chlamyde sur l’épaule, se tiennent debout ; les têtes de ces cinq personnages sont fortement endommagées. Sur la deuxième face un garçon nu (tenant une couronne ?), debout entre deux femmes drapées et deux jeunes gens drapés, disposés comme sur la face antérieure. La troisième et la quatrième face, plus étroites de moitié, forment les extrémités du sarcophage. Dans un décor architectural toujours le même sont représentés d’une part trois hommes drapés (dont deux sont barbus), apparemment des philosophes, un livre à la main, et d’autre part un cavalier au galop chassant, avec son chien, un sanglier et accompagné d’un esclave.

          Il ne peut guère y avoir de doute que ce beau sarcophage ne remonte au troisième siècle de notre ère et que, par conséquent, le haut-relief de Berlin ne soit au plus tard de l’époque Constantinienne. L’attitude des personnages sur ce dernier monument est encore toute païenne ; le Christ ressemble au Sophocle du Latran et les deux apôtres ont la tête de magistrats romains. Les seuls détails un peu anormaux à cette époque sont le nimbe crucifère et l’ornementation architecturale. Nous avons vu que cette dernière a été retrouvée, identique, par M. Strzygowski sur une petite série de sarcophages païens d’Asie Mineure. Ce savant l’a reconnue encore sur un panneau de sarcophage, de provenance romaine, conservé au British Museum et où l’on voit une femme, tendant un masque à un auteur tragique (Sophocle ?) assis, un codex (ou un diptyque) à la main ; il la signale particulièrement sur le grand sarcophage du palazzo Riccardi à Florence, dont il publie une photographie d’Alinari (4). Il est à noter que ces deux monuments sont aussi païens et que la sculpture de Berlin est la seule pièce chrétienne de la série.

          Le nimbe crucifère était considéré jusqu’ici comme le signe d’une époque assez basse, comme un attribut divin ne remontant pas au delà du Ve siècle (5). En réalité il apparaît dès le IVe, sur une œuvre extrêmement remarquable qui a vivement excité la curiosité du public anglais, mais qui est encore peu connue en France ; c’est la coupe de Constantin, du British Museum. On appelle ainsi une petite coupe hémisphérique, en faïence mince, offerte à ce musée par les « Friends of the National Collections » et ayant jadis appartenu au comte Michel Tyszkiewicz ; à l’intérieur de cette coupe court le long du bord une inscription latine ... VAL COSTANTINVS . PIVS . FELIX . AVGVSTVS . CVM . FLAV . MAX . FAVST... Au centre, entre deux médaillons, est gravé le Christ barbu, assis, de face, la tête entourée d’un nimbe crucifère. Ce bol, malheureusement incomplet, provient d’Egypte et a été publié dès 1900 par M. Wallis dans son beau travail Typical examples of Egyptian ceramic art ; M. Strzygowski en donne deux croquis sommaires et émet sur l’authenticité du monument des soupçons peu justifiés et qu’il a lui-même rétractés dans un article postérieur de la Byzantinische Zeitschrift. L’Athenaeum du 8 juin 1901 contient une courte description de la coupe avec le texte de l’inscription qui a pu ainsi être insérée par M. Mommsen dans le dernier supplément du tome III du Corpus inscriptionum latinarum ; enfin, M. O. M. Dalton, dans son exellent [sic] Catalogue of early Christian antiquities... of the British Museum (Londres, 1901, 4°) a donné une bonne reproduction de la coupe de Constantin avec une description minutieuse et un commentaire très satisfaisant.

          Juxtaposés, le haut-relief de Berlin et la coupe du British Museum sont de la plus haute importance pour l’histoire de l’iconographie du Christ. C’est ce qu’a montré tout récemment M. de Mély dans son volume Le Saint-Suaire de Turin est-il authentique ? (Paris, 1902, 8°), où il a reproduit ces deux monuments d’après l’ouvrage de M. Strzygowski. Le haut-relief de Berlin, s’il est bien de l’an 300 ou 320 de notre ère, est le plus ancien portrait connu du Christ et l’exemple le plus remarquable de cette étonnante tradition iconographique qui donnait à un adulte, de plus de trente ans, les traits d’un jeune homme imberbe d’une vingtaine d’années. Un article récent de M. Cecil Torr (Revue archéologique, 1902) tend à prouver que le Christ est mort à vingt-cinq ans ; le sarcophage de Berlin est un nouvel argument en faveur de cette thèse hardie mais vraisemblable. La coupe de Constantin, au contraire, nous montre déjà le Christ barbu de l’art byzantin ; la coupe, dit avec raison M. Dalton, est contemporaine de l’empereur qui y est nommé ; est-il en effet vraisemblable qu’on ait glorifié, à une époque postérieure, l’impératrice Fausta que Constantin fit périr en 327 ? Nous aurions donc presque à la même époque, en Orient, deux écoles iconographiques absolument distinctes ; il est permis de croire que celle du Christ imberbe, pleine encore du souffle païen, est la plus ancienne. On pourrait supposer sans invraisemblance que le type imberbe, admis couramment en Orient au IIIe siècle, a passé en Italie au IVe et que le type barbu, né en Orient vers l’an 300, n’est arrivé en Occident qu’un siècle plus tard. Une théorie de ce genre cadrerait parfaitement avec les résultats acquis par M. Strzygowski. 

          Le troisième chapitre d’Orient oder Rom est consacré à la publication d’une très singulière sculpture sur bois, trouvée dans la Haute-Egypte et récemment entrée au Musée de Berlin. Dans un morceau semi-cylindrique de bois, haut de quarante cinq centimètres, un artiste d’une certaine valeur a sculpté toute une forteresse à deux étages, avec ses défenseurs et l’ennemi repoussé, fuyant. La forteresse est construite en gros blocs de pierre ; quatre tours semi-circulaires jalonnent à intervalles réguliers la muraille. Par une large porte cintrée qui s’ouvre entre les deux tours du milieu, une troupe de soldats fait une sortie en bon ordre et vient se grouper au pied de la forteresse ; les ennemis, barbares à cheval, s’enfuient, repoussés ; l’un d’eux gît déjà sur le sol. Devant chaque tour, un cadavre de barbare est exposé, la tête soutenue dans une fourche de bois. A l’étage supérieur, sur le chemin de ronde, sont alignés en armes des soldats romains ; l’un d’entre eux porte une bannière où l’on distingue la croix. Plus haut c’est le donjon, au centre duquel, dans une espèce de niche, se tiennent deux personnages. Tout à fait en haut et à gauche trois bustes virils (celui du milieu est mutilé) sortent du rocher.

          Les monuments analogues sont extrêmement rares ; M. Strzygowski ne connaît guère qu’un ivoire du Louvre publié, en 1894, par M. Schlumberger dans les Monuments Piot et qui représenterait, non pas saint Paul et ses trente-cinq disciples comme l’a pensé le premier éditeur du monument, mais bien plutôt, selon M. Strzygowski, saint Marc, premier évêque d’Alexandrie et ses trente-cinq successeurs sur le siège épiscopal de cette ville. Le trente-sixième patriarche d’Alexandrie, Anastase, le fut de 607 à 609 ; l’ivoire serait donc du début du VIIe siècle. Ce qui fait son grand intérêt comme pièce de comparaison, c’est le fond, l’arrière-plan, formé par un grand édifice à deux étages, très analogue, comme aspect général, à la forteresse de Berlin. Un autre ivoire conservé au musée archéologique de Milan et représentant aussi saint Marc (baptisant Anianos) montre également dans l’arrière-plan toute une série d’édifices.

          L’un des cavaliers figurés sur le bois de Berlin est extrêmement analogue à ceux qui sont sculptés en haut-relief sur un sarcophage du Vatican, en porphyre rouge, connu sous le nom de sarcophage de Sainte-Hélène. Ceux qui croient à l’unité artistique de l’Empire romain ne s’inquiéteront pas de cette analogie ; M. Strzygowski, au contraire, poursuivant son idée favorite, nous montre que le sarcophage de Sainte-Hélène, sculpté en porphyre rouge égyptien, a probablement été fabriqué en Egypte. La démonstration est aussi simple qu’élégante ; au musée du Vatican, vis-à-vis du sarcophage de Sainte-Hélène, on remarque un autre sarcophage en porphyre rouge, d’un travail analogue et provenant de S. Constanza à Rome. M. Strzygowski a une bonne mémoire ; il s’est souvenu fort à propos d’un grand fragment de porphyre conservé au Musée de Constantinople et découvert dans cette ville ; il n’a pas eu de peine à constater que c’était un fragment d’un sarcophage identique, jusque dans ses moindres détails, avec celui de S. Constanza ; rien n’était donc moins établi que l’origine romaine de ce dernier monument. Mieux encore, M. Strzygowski à [sic] découvert en Egypte, au Musée d’Alexandrie, un grand et beau couvercle de sarcophage, toujours en porphyre rouge, et qui ne diffère du couvercle du sarcophage de S. Constanza que par de petits détails dans l’ornementation. L’origine égyptienne de ces trois monuments était dès lors certaine et l’on pouvait affirmer sans trop de hardiesse que le sarcophage de Sainte-Hélène avait la même provenance.

          Mais qu’a voulu représenter le sculpteur du bois de Berlin ? Qu’est-ce que cette forteresse et qui sont ces barbares ? M. Strzygowski est très porté à y voir une composition symbolique et il songe à la « Forteresse de la Foi défendue contre les Barbares ». Il n’est pas sûr que ce ne soit pas un événement historique véritable que l’artiste ait voulu représenter ; les trois bustes d’en haut à gauche, ne sont-ce pas trois empereurs, par exemple Constantin, Constance et Constant ? Ou encore Valens, Valentinien et Gratien ? L’examen de l’original permettrait de répondre sans peine à cette question.

          En appendice à ce chapitre, M. Strzygowski republie un grand ivoire de la cathédrale de Trèves, représentant une translation de reliques, à Byzance, au IVe siècle. Une certaine analogie avec le bois de Berlin et l’ivoire du Louvre autorisent ce savant à supposer que la plaque de Trèves a été sculptée par un artiste égyptien, pour le compte d’Apollinaire, patriarche d’Alexandrie qui vint à Constantinople en 552, comme nous l’apprend Théophane, assister à une translation solennelle de reliques, de l’église Sainte-Sophie à l’église Sainte-Irène.

          Le Liber Pontificalis mentionne à plusieurs reprises les riches étoffes peintes, tentures et tapisseries que renfermaient, au haut moyen-âge, les églises de Rome. De ces trésors, peu de chose a survécu, mais M. Strzygowski croit que ces étoffes étaient pour la plupart importées d’Orient ; nous en retrouverons d’analogues dans les sables de l’Égypte ; que dis-je ? les musées européens en possèdent déjà une importante série dont M. Strzygowski publie, dans son quatrième chapitre, quelques spécimens exceptionnellement remarquables. C’est d’abord une grande pièce de toile peinte en rouge, que possède le Kunstgewerbemuseum de Berlin. En haut et en bas, une rangée de chapelles consacrées à divers martyrs dont les noms figurent à côté de chacune ; au centre Daniel dans la fosse aux lions, debout entre deux de ces animaux, flanqué, à droite, d’Habacuc, à gauche d’un personnage indistinct. C’est sans doute à une étoffe analogue qu’a été emprunté le motif de Daniel avec les deux lions qu’on trouve sur deux pyxis ou boîtes en ivoire, l’une provenant d’Egypte (British Museum), l’autre découverte à Nocera Umbra.

          Une deuxième toile de lin, également conservée au Kunstgewerbemuseum de Berlin, était analogue à la première ; en haut et en bas étaient figurés des miracles du Christ avec de courtes légendes (noces de Cana, multiplication des pains). La composition centrale représentait apparemment le Christ avec ses apôtres ; la figure de saint Pierre est la seule qui soit conservée. Ces deux toiles proviennent d’Achmîm, l’ancienne Panopolis, dans la Moyenne-Egypte.

          Une troisième étoffe, bleue celle-là, est signalée par M. Strzygowski ; les fragments en sont dispersés à Londres (South-Kensington-Museum), à Berlin (Kunstgewerbemuseum) et à Leipzig (Kunstgewerbemuseum). On y voit la Vierge, Moïse et d’autres personnages. Plusieurs toiles analogues sont énumérées par M. Strzygowski, qui étudie ensuite rapidement les tapisseries et les broderies de l’Egypte chrétienne. Il publie à cette occasion une belle étoffe du Kunstgewerbemuseum de Berlin représentant saint Pierre et saint Paul ; il discute enfin un passage, souvent mal compris, des homélies d’Asterius d’Amasie. Il termine le chapitre par quelques mots sur la peinture à l’encaustique et un curieux rapprochement entre une peinture du Sinaï (musée de Kiew) et un ivoire du musée de Florence.

          Le dernier chapitre du volume est consacré à l’étude de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Chose étonnante à dire, ce sanctuaire, malgré tous les remaniements et toutes les réparations qu’on lui a fait subir, garde encore des restes très importants de la basilique primitive construite par l’empereur Constantin. Il y a notamment une frise remarquablement conservée par endroits et dont M. Strzygowski est le premier à avoir reconnu la haute antiquité. Les motifs architecturaux qui la composent se retrouvent à Damas, à Baalbek, à Palmyre, et jusque dans la sculpture copte. L’auteur s’occupe aussi en grand détail du plan de cet édifice ; il étudie notamment un grand atrium à ciel ouvert qui faisait partie de la construction constantinienne et sur lequel le témoignage d’Arculphe nous apporte de précieux renseignements.

          L’illustration du volume n’est pas mauvaise ; les phototypies hors texte sont excellentes, maïs la qualité des similis intercalés dans le texte est assez variable ; les retouches ne sont pas toujours assez discrètes. Ajoutons que le volume est pourvu d’un index, que l’impression en est correcte, que l’éditeur le vend relié en toile pleine rouge et que le prix n’a rien d’excessif pour un ouvrage d’une pareille importance.

                                                             Seymour de Ricci

(1) Il a été signalé dès 1864 par Bernoville et décrit sommairement en 1895 par un Danois, M. Oestrup.

(2) Je ne vois pas mentionnée cette inscription dans le commentaire de 

M. Strzygowski. 

(3) Le simili publié par M. Strzygowski est médiocre ; ne pouvait-on tirer un meilleur parti de la phototypie de Meyer que j’ai sous les yeux et qui est excellente ? 

(4) On n’en avait jusqu’ici qu’une très médiocre gravure par V. Franceschini dans Gori, Inscr. Ant. Etruriae, t. III, pl. X. 

(5) Voir une curieuse plaquette égyptienne du Ve ou du VIe siècle, appartenant à M. Maspero et reproduite par M. Strzygowski.