Chauvet, Gustave: Notes sur l’art primitif. In-8.
(Angoulême, Coquemard 1903)
Reviewed by Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 1 (4e série), 1903-1, p. 290-291
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Gustave Chauvet. Notes sur l’art primitif. Angoulême, Coquemard, 1903. In-8.


          Nous connaissons aujourd’hui sept grottes de l’époque du renne dont les parois sont ornées de figures d’animaux gravées ou peintes ; Altamira, près de Santander ; Marsoulas (Haute-Garonne), Aiguèze (Gard), La Mouthe, Combarelles, Fond de Gaume (Dordogne), Pair non Pair (Gironde). Les dessins des animaux représentés, mammouths, bisons, chevaux, antilopes, etc., offrent une remarquable homogénéité de style et ressemblent, d’autre part, à ceux qu’on a relevés sur des objets mobiliers découverts dans les couches archéologiques des cavernes. M. Chauvet a rendu service en rappelant les circonstances de ces intéressantes trouvailles et en réunissant les indications bibliographiques qui les concernent.

          Un caractère presque constant des gravures peintes sur les parois ou sur les plafonds des grottes, c’est qu’elles se trouvent assez loin de l’ouverture des souterrains et placées de telle sorte qu’il est impossible de les étudier et même de les voir sans recourir à un éclairage artificiel. D’autre part, bien que M. Rivière ait recueilli une lampe en pierre dans la grotte de La Mouthe, il est certain que ces figures n’ont pas été exécutées à la lumière des lampes, car il n’y a jamais de traces de fumée sur les peintures ni à côté d’elles.

          Donc, quelque singulier que cela puisse paraître, il faut admettre que les troglodytes de l’âge du renne étaient beaucoup plus habitués que les modernes à voir dans les ténèbres ; on sait que l’œil humain est susceptible, à cet égard, d’une véritable éducation et qu’il peut apprendre, dans une certaine mesure, à percer l’obscurité.

          La question de savoir pourquoi les troglodytes ensevelissaient leurs « fresques » au fond de souterrains se lie à celle de la signification de ces fresques. M. Chauvet a raison de recommander la prudence en ces matières ; mais pour ma part, je n’hésite pas à reconnaître, dans cette singulière école d’animaliers, des adeptes du totémisme primitif. Leurs couloirs obscurs, décorés de représentations d’animaux, sont l’équivalent, mutatis mutandis, des catacombes et de certaines cryptes d’églises ; on s’y réunissait, sans doute, pour célébrer des rites religieux. Ces rites devaient être inspirés par la même idée que la figuration des animaux, qui me semble relever de la magie sympathique. Le clan vivait de chair ; en représentant les animaux dont il se nourrissait, il croyait en accroître le nombre, en favoriser la multiplication, comme les sauvages de l’Australie croient favoriser celle des kangourous en se livrant à la danse des kangourous. L’envoûtement, qui consiste à endommager ou à détruire le simulacre d’une figure vivante dans la pensée de porter préjudice au vivant, est un fait du même ordre, mais qui s’inspire d’un sentiment opposé. L’idée que l’art est un jeu peut n’être qu’un préjugé moderne ; à l’origine, c’est une opération rituelle ou magique.

Quand nous parlons aujourd’hui de « la magie de l’art », nous ne savons pas combien nous avons raison. 

        (Chronique des arts, 7 février 1903.)             Salomon Reinach