Amélineau, E.: Les nouvelles fouilles d’Abydos, seconde campagne 1896-1897. In-4°, avec un plan et 24 planches (tome III des Comptes-rendus in extenso de la mission E. Amélineau en Egypte).
( 1902)
Reviewed by Raymond Weill, Revue Archéologique t. 1 (4e série), 1903-1, p. 297-300
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Number of words: 1853 words
 
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E. Amélineau. — Les nouvelles fouilles d’Abydos, seconde campagne 1896-1897. — Un volume in-4°, avec un plan et 24 planches (tome III des Comptes-rendus in extenso de la mission E. Amélineau en Egypte). — 1902.


          M. Amélineau subit une fortune bien singulière et certainement bien injuste. On sait comment il découvrit, il y a sept ans, les premiers monuments incontestables de l’Égypte archaïque, et l’on se rappelle qu’il eut le grand mérite d’apercevoir, dès le premier moment, que les objets et les inscriptions trouvés étaient à placer avant le commencement de la plus ancienne période historique connue jusqu’alors. Malheureusement, l’imagination l’entraîna trop loin. Il voulut absolument que les héros des vieilles légendes de la formation nationale eussent réellement vécu et porté les couronnes d’Egypte, et comme on trouve trop aisément ce qu’on est convaincu devoir trouver, il mit au jour, la seconde année de ses fouilles, le tombeau de Sît et d’Horus, et, l’année suivante, le tombeau d’Osiris. Personne, naturellement, ne suivit M. Amélineau dans la voie de ces attributions un peu singulières, qui jetèrent le plus fâcheux et le plus immérité discrédit sur la valeur scientifique de ses travaux. De critique en critique, il devint presque habituel de dire des fouilles de M. Amélineau qu’elles étaient « perdues pour la science », et certains savants eurent vite fait d’imaginer que ces travaux avaient été encore plus néfastes qu’inutiles. Des accusations qui seraient extrêmement graves, si leur absurdité ne sautait aux yeux tout d’abord, furent formulées par M. Fl. Petrie, qui depuis trois ans poursuit à Abydos, sur le terrain même des recherches de M. Amélineau, les fouilles fructueuses que l’on sait. M. Amélineau aurait conduit ses travaux dans l’esprit de lucre le plus criminel, recherchant ce qui était susceptible d’être vendu avec profit, sans aucune préoccupation d’origine, et détruisant systématiquement tout ce qui n’était pas emporté, en vue de produire une hausse escomptée par les spéculateurs européens (Royal tombs, I, 1900, p. 2). M. Amélineau aurait dévasté les tombes, concassé à plaisir les jarres en poterie et les vases en pierre laissés sur place, brisé les tablettes d’ivoire et d’ébène de Narmer et de Menés pour en rejeter les morceaux dans les décombres, où lui, M. Petrie, les devait retrouver (Royal tombs, II, 1901, p. 2). Un peu plus tard, on trouve sous la plume de M. J. Gapart qu’un savant français « livra les tombes à un véritable pillage dans le but d’y découvrir des preuves à l’appui d’une théorie que les recherches subséquentes ont réduite à néant ». (Bull. Mus. Royaux de Bruxelles, n° 6, mars 1902).

          Il faut protester hautement contre de pareils procédés d’incrimination. Certes, il y a dans les théories de M. Amélineau bien des affirmations qui ne sont aucunement défendables, et point n’était besoin de recherches subséquentes pour le montrer ; mais en quoi cela intéresse-t-il l’exécution matérielle de ses fouilles ? Si ses convictions sont passionnées jusque dans l’erreur, c’est la meilleure preuve de l’esprit de désintéressement scientifique qui l’anime, et dans cet ordre d’idées, on ne voit pas bien quels arguments le « pillage » des tombes eût pu lui fournir ; à moins que ce ne soit piller que d’extraire du sol la plus grande somme possible de documents. Lui reprochera-t-on, en sens contraire, d’avoir passé à côté de plusieurs tombeaux sans les soupçonner, et de n’avoir pas fouillé à fond quelques-uns de ceux qu’il a découverts ? Cela serait au moins logique ; mais on se rend bien compte qu’il est matériellement impossible d’épuiser du premier coup un champ de fouilles aussi vaste que celui d’Abydos, et l’on sait, en outre, que M. Amélineau a toujours travaillé seul, tandis que M. Petrie était admirablement servi et secondé. D’ailleurs M. Petrie, fouillant à Negadah en 1894, n’a-t-il pas omis de rencontrer le monument de la période archaïque, dit tombeau de Menés, que M. de Morgan devait explorer en 1897 ?

          Quant à l’accusation de destruction systématique, avec rejet de fragments de tablettes dans les déblais, elle ne mérite vraiment pas qu’on y réponde sérieusement. Si quelque fouilleur succède à M. Petrie dans la nécropole d’Abydos, il trouvera encore nombre de vases et de tablettes en morceaux, que n’auront brisés ni M. Petrie, bien certainement, ni M. Amélineau, quoi qu’en dise M. Petrie, ni peut-être même les Coptes, quoique M. Amélineau les accuse de toutes les dévastations. Sans parler de la théorie douteuse de l’extermination rituelle du mobilier, par le bris des objets, et de la tombe elle-même par l’incendie, au jour des funérailles, MM. Petrie et Amélineau oublient trop que c’est l’état naturel d’un objet fragile d’être en miettes, lorsqu’on le trouve au fond d’une chambre privée de sa toiture et envahie par le sable depuis cinquante ou soixante siècles.

          L’exposé de ces querelles aurait gagné, peut-être, à trouver place ailleurs qu’en tête de l’important volume que M. Amélineau nous donne aujourd’hui. Il y est uniquement question de l’immense tombeau exploré au cours de la seconde campagne, la soi-disant sépulture de Sît et d’Horus que l’unanimité des égyptologues considère comme appartenant à un roi de la fin de la période archaïque nommé Khâsokhmoui. 24 planches photographiques sont annexées à l’ouvrage. Les objets reproduits, non inscrits pour le plus grand nombre, sont des vases de toutes formes et de toutes matières, des tables d’offrandes avec ou sans pied, quelques grandes jarres pointues et d’autres poteries non décorées, du genre bien connu maintenant à l’époque archaïque, de nombreux outils en silex. Mentionnons particulièrement, dans la catégorie des objets en cuivre (pl. XVIII), de singulières plaques hémicirculaires percées d’un trou, dans lesquelles M. Amélineau croit reconnaître les éléments d’une cuirasse à écailles imbriquées et articulées ; la même planche donne un grand nombre d’aiguilles et de spatules en cuivre, ainsi qu’une série de petits instruments en forme de crochet ou d’épingle double.

          Les inscriptions sont peu nombreuses, mais fort intéressantes. Les empreintes de cylindres, déjà connues par la publication de M. Jéquier (1) sont rééditées p. 301. De plus, on trouve aux pl. XXI, XXII, un certain nombre d’inscriptions, précieuses, surtout, par l’authenticité que leur confère la reproduction photographique. Plusieurs d’entre elles, notamment les nos 1 et 8, pl. XXII, confirment ce qu’on avait déjà pu induire de différents côtés, que le règne de Khâsokhmoui est, sinon contemporain, du moins très peu antérieur au début de la période memphite. Le vase n° 1 porte un titre sacerdotal qu’on retrouve chez Khouhotpou, le possesseur d’un des plus anciens tombeaux de Saqqarah (Mastabas, p. 70) ; l’inscription du vase 8, assez longue, mélange d’une manière curieuse certains titres connus de la période de Saqqarah avec des groupes qui semblent spéciaux à la période archaïque et que la connaissance des hiéroglyphes historiques ne permet pas de lire. La gravure de ces deux inscriptions est d’une perfection achevée, de même que celle des fragments 5, 2 et 4 de la pl. XXI ; ce dernier porte le cartouche bien connu de l’Horus Azou-abou, suivi, en guise de déterminatif, de la figure du roi debout, armé de la canne et du casse-tête (2). Outre ce nom royal, il a encore été trouvé dans le tombeau un autre cartouche d’Horus, fort rare et qu’on n’a rencontré, par ailleurs, qu’une seule fois, gravé sur l’épaule d’une statue très ancienne du musée de Gizeh (3). Il faut noter enfin le n° 3 de la pl. XXI, qui est une stèle avec inscription grossière, du genre des stèles de particuliers dont M. Amélineau et M. Petrie ont déjà publié un si grand nombre (4).

          M. Amélineau croit toujours à l’humanité de Sît et d’Horus, dont le grand tombeau d’Abydos serait la commune sépulture (p. 275-296, p. 309), et cela nous oblige a [sic] rappeler, une fois de plus, les termes d’une controverse qui devrait être morte. Les cylindres dont nous avons parlé montrent qu’au lieu d’un nom d’Horus, comme les rois de l’époque historique et la presque totalité des rois d’Abydos, le possesseur de ce tombeau a un nom d’Horus-Sît, c’est-à-dire qu’au dessus du cartouche en forme de façade de maison, l’épervier d’Horus est accompagné de l’animal séthien. Dans l’intérieur du cartouche on lit, tantôt seulement le nom Khâsokhmoui, « Lever des Deux-Sceptres » (exactement, des deux casse-têtes), tantôt la formule développée Khâsokhmoui noutiroui hotpou am-f, « Khâsokmoui, en qui sont réunies les Deux-Divinités. » Dans le nom simple comme dans le nom complet, tout contribue à exprimer, avec une grande force, que Khâsokhmoui réunit en sa personne les divinités et les royautés de Sît et d’Horus, qui sont celles des deux Égyptes primitivement ennemies et séparées de la tradition. Mais M. Amélineau n’entend pas ce cartouche de la même manière. Pour lui, Sît et Horus, perchés sur l’image du tombeau,a ce sont précisément les deux morts qui reposaient à cette place et dont il a retrouvé les ossements au cours de ses fouilles ; Khâsokhmoui n’est pas un nom propre, mais l’expression d’un fait, le « Lever des deux Casse-têtes [sic] », et par suite la Guerre, celle que se firent les « Deux dieux réunis en lui (dans le tombeau) », selon l’interprétation qu’il donne de la fin de la phrase ; noutiroui hotpou am-f. M. Amélineau arrive ainsi à une traduction qui est à peu près la suivante ; « Horus et Sît, il y eut lever de leurs casse-têtes ; ils sont réunis (ou reposent) en ce tombeau. »

          Une discussion complète serait le recommencement de discussions anciennes et connues. Bornons-nous à observer qu’un des rois d’Abydos, Perabsen, très voisin certainement de Khâsokhmoui, n’est pas Horus, comme le sont en général les rois égyptiens, mais Sît, comme le montre son cartouche de Sît découvert, d’abord, par M. Amélineau et dont M. Petrie a publié, par la suite, de nombreux exemples (5). Notons aussi que dans une formule dont le premier exemplaire a également été trouvé par M. Amélineau, le roi Meribapou, que d’autres inscriptions identifient avec l’Horus Azou-abou, est très explicitement qualifié de Double-Dieu (6). Pourquoi donc M. Amélineau persiste-t-il à ne pas admettre l’interprétation si naturelle et si généralement acceptée du nom de l’Horus-Sît Khâsokhmoui ?

          L’opinion trop spéciale dont il ne veut pas se départir sur ce point a ceci de grave, qu’elle fournit à ses détracteurs l’occasion de critiques faciles, qu’elle gêne les esprits désintéressés qui comprennent la valeur de ses travaux et cherchent à les apprécier équitablement. Observons bien, cependant, qu’il ne s’agit que d’un dissentiment de détail. Des théories si attaquées dont M. Amélineau n’a jamais rien voulu sacrifier, ôtons, en effet, les seuls noms d’Osiris, de Sît et d’Horus ; qu’y restera-t-il qui ne soit conforme, dans l’ensemble, aux vues historiques les plus certainement admises aujourd’hui ? M. Amélineau a proclamé, le premier, la découverte de l’Egypte archaïque, et cela, à une époque où la nature de cette découverte était loin d’être considérée comme évidente. C’est un titre qu’en dépit de toutes erreurs secondaires, la science ne saurait oublier.

                                                             R[aymond] W[eill]

(1) Dans Morgan, Origines, II, p. 243-244. 

(2) Cf. certaines plaquettes de l’Horus Den, dans Royal tombs, I, pl. XIV. 

(3) Pl. XXI, 6, et Morgan, Origines, II, p. 253 ; l’inscription de la statue, dans Nouv. fouilles, I, p. 254, et Origines, II, p. 253. 

(4) Nouv. fouilles, I, p. 240-241, et pl. XXXIV-XXXVII ; Royal tombs, I, pl. XXXI-XXXVI ; Royal tombs, II. pl. XXVI-XXX.

(5) Royal tombs, II, cylindres 173 à 186, pl. XXI-XXII.

(6) Nouv. fouilles, I, pl. VIII ; Royal tombs, I, pl. V, 12 ; pl. VI, 4, 5, 6, 7, 8.