Fustel de Coulanges: La Cité antique. Étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome, par M. Fustel de Coulanges, professeur d’histoire à la Faculté des lettres de Strasbourg. (1 vol. in-8. Durand, rue des Grès, 7. 1864.)
(Paris, Durand 1864)
Reviewed by E. T., Revue Archéologique 11, 1865-6, p. 77-78
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Number of words: 654 words
 
To quote the online version: Les comptes rendus HISTARA.
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La Cité antique. Étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome, par M. Fustel de Coulanges, professeur d’histoire à la Faculté des lettres de Strasbourg. (1 vol. in-8. Durand, rue des Grès, 7. 1864.)


     L’auteur de ce livre aussi savant qu’original prétend faire dériver les institutions politiques et civiles des Grecs et des Romains, de deux cultes domestiques qui paraissent avoir été répandus de bonne heure dans toute la race indo-européenne : le culte des ancêtres et celui du foyer. Selon M. Fustel de Coulanges, la famille antique s’est organisée d’elle-même, de manière à perpétuer, conformément aux règles que lui prescrivaient ses croyances, cette religion dont elle était dépositaire. De là le droit d’aînesse, l’inégalité entre le fils et la fille, le divorce en cas de stérilité, l’interdiction du célibat, l’adoption. En même temps sont résolues par là ces deux questions débattues entre les juristes : qu’était-ce que la Gens ? Qu’était-ce que l’Agnatio ? Il ne nous appartient point de juger pareille matière : nous recommanderons seulement à l’attention des archéologues l’heureux usage que M. Fustel de Coulanges a su faire des vieilles formules sacramentelles et des vieux rites, plus nombreux qu’on ne croit, dont la langue et la littérature des époques classiques nous ont conservé la trace ou la mention.

     L’agglomération des familles donna naissance à la phratrie ou curie, à la tribu, enfin à la cité. La famille fut le modèle commun qu’imitèrent ces associations nouvelles, dont elle avait fourni les éléments. De même qu’elle honorait ses ancêtres, la cité honora son fondateur. Comme la maison, la ville eut son feu sacré. L’hommage rendu aux divinités Poliades eut le caractère d’un culte domestique. Tout avait été d’origine sacrée dans l’organisation primitive de la famille : tout témoigna d’une origine pareille dans la constitution de la cité. Dans le principe, la loi est une formule sainte. Le roi est un pontife. La religion est la seule morale, et, comme la religion est encore purement locale, tous les droits et tous les devoirs du citoyen sont renfermés dans l’enceinte du l’omœrium. Nous ne croyons pas travestir la pensée de l’auteur en lui attribuant cette dernière proposition, qui nous paraît très-attaquable, au moins en ce qui concerne les Grecs. Nous en dirons autant de l’assertion suivante : Les anciens n’ont pas connu la Liberté. D’ailleurs, sur ce dernier point, il suffirait d’une définition précise, dont ce n’est pas ici le lieu, pour nous mettre d’accord avec M. Fustel de Coulanges.

     L’auteur fait ensuite passer sous nos yeux avec une grande rigueur de déduction et une progression sensible d’intérêt la série des révolutions qui vinrent modifier successivement la constitution première de la cité : à savoir la déchéance des rois, en tant que chefs politiques, au profit de l’aristocratie ; l’entrée de la plèbe dans la cité ; l’établissement de la démocratie ; enfin la lutte des riches et des pauvres, qui a pour conséquence l’avénement des tyrans populaires. Toutes ces révolutions amenèrent dans le droit privé des changements que l’auteur ne manque pas de mettre en lumière.

     Enfin le régime municipal succombe sous une double influence : celle de la philosophie et celle de la conquête romaine. Ce dernier point nous a paru traité un peu sommairement par M. Fustel de Coulanges, qui a craint peut-être de répéter ce que tout le monde a lu dans Bossuet et dans Montesquieu. Le dernier chapitre, qui concerne l’influence politique du christianisme, n’est pas le plus nouveau de l’ouvrage : mais il nous semble d’ailleurs parfaitement judicieux.

     En somme, le livre dont nous avons essayé de donner une idée est l’œuvre d’une pensée vigoureuse et d’une vaste érudition admirablement servies par un art consommé qui déguise, sous un air d’aisance, une grande force et, par moments, peut-être, un peu de violence. Les historiens y trouveront des vues hardies et nouvelles, dont la science ne peut manquer de tirer un profit considérable ; les juristes, des théories originales, qui méritent, au moins, leur examen ; les archéologues, une grande abondance de documents, tous puisés aux sources les plus pures ; enfin ce public nombreux, qui se pique seulement de bon goût, un talent de style et de composition qui suffirait pour assurer le succès d’un livre utile.

E. T.