Domaszewski, A. von: Geschichte der römischen Kaiser. 2 vol. in-8, viii-324, iv-328 p., avec cartes et portraits.
(Leipzig, Quelle et Meyer 1909)
Reviewed by Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 193-194
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Number of words: 657 words
 
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A. von Domaszewski. Geschichte der römischen Kaiser. Leipzig, Quelle et Meyer, 1909. 2 vol. in-8, viii-324, iv-328 p., avec cartes et portraits.


Écrit par un savant pour le grand public, avec une aisance et un éclat trop rares en Allemagne, cet ouvrage pourra consoler les Allemands instruits de l’inachèvement où Mommsen laissa son Histoire romaine. Il n’y faut point chercher des discussions érudites ; même les références essentielles font défaut. Mais on sent à chaque page que l’auteur est maître de son sujet et qu’il n’eût tenu qu’à lui, sans modifier son texte, de l’enrichir ou de l’alourdir par des citations. Le point de vue est nettement impérialiste ; à l’encontre des préjugés qui s’autorisent de Tacite et de Suétone, M. de D. met en lumière les bienfaits de la pax romana et l’immense service rendu par un gouvernement régulier, civilisateur et soucieux du bien public qui assura la diffusion du génie hellénique et, par là, la conservation jusqu’à nous de ce que l’humanité a encore produit de meilleur. Il est intéressant de rapprocher cette vue de celle qui prévalait au temps de Bossuet et suivant laquelle la mission historique de l’Empire avait été de préparer, de rendre possible la diffusion du christianisme. L’auteur s’occupe très peu du christianisme, mais beaucoup — comme le faisaient prévoir ses études antérieures — des choses militaires. C’est dans la difficulté de recruter et d’entretenir les armées, qu’il voit, comme Mommsen, la cause de la ruine finale. Son récit s’arrête à Dioclétien, car, avec lui, c’est le Bas-Empire qui commence. Déjà, sous Decius, l’Illyrie, province très arriérée, avait conquis la supériorité dans l’Empire, aux dépens de la civilisation supérieure de l’Orient. Dioclétien, Illyrien lui aussi, fut le fondateur d’un ordre de choses barbare, où la soldatesque représentait le pouvoir véritable, tandis que la Cour impériale se modelait sur celle des Sassanides. « Dioclétien acheva le cycle, d’une évolution nécessaire ; sous son règne, l’armée mercenaire, fléau du gouvernement impérial, devint le but unique de l’État. Pour entretenir ces troupes, il organisa l’Empire de telle sorte que tous ceux qui ne portaient pas l’uniforme devinrent les serviteurs de l’armée. Afin d’imposer aux peuples ce fardeau écrasant, il étouffa les derniers restes de la liberté civique… Ce despotisme militaire mit Dioclétien en conflit avec le seul pouvoir intellectuel de son temps, le christianisme… Les chrétiens de provinces entières formèrent des associations pour résister et, conduits par une volonté unique, imitèrent l’organisation despotique de l’État... Constantin se rendit compte que l’Église chrétienne était capable d’augmenter encore jusqu’à l’infini la puissance impériale, elle ajoutait la contrainte des esprits à celle des corps. Si la moralité antique était une exigence de la conscience individuelle, l’extinction de la personnalité fit de la moralité une loi extérieure, dans la servitude générale des corps et des âmes, ayant pour sanction des peines inexorables dans celle vie et dans l’autre. Aux misères de la vie terrestre s’ajouta, plus terrible encore, la crainte de l’éternelle damnation. Ainsi les nobles caractères que le christianisme avait introduits dans la belle civilisation du temps des Antonins avaient été obscurcis par la barbarie générale. Des doctrines du fondateur de la religion il ne restait, dans l’océan de la souffrance temporelle et éternelle, que la foi en l’amour de Dieu pour ses créatures. Au-dessus des calamités qui semblaient devenir le lot durable de l’humanité, s’éleva, comme seule pensée lumineuse et consolatrice, la face doucement douloureuse du Crucifié. » J’ai traduit ces dernières lignes du second volume pour donner une idée de la manière de l’auteur. Ce n’est pas, assurément, celle des bons historiens français ; il s’y mêle un lyrisme un peu germanique. Mais ce n’est pas non plus un vain cliquetis de mot sonores ; l’auteur, érudit ingénieux et sagace, se révèle aussi comme un penseur.

S[alomon] R[einach]