Poppelreuter, J.: Kritik der Wiener Genesis. In-8, 56 p.
(Cologne, Du Mont-Schauberg 1908)
Reviewed by Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 201-203
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J. Poppelreuter. Kritik der Wiener Genesis. Cologne, Du Mont-Schauberg, 1908. In-8, 56 p.


Cette brochure ne doit pas passer inaperçue ; c’est une protestation courtoise, mais ferme, contre les théories de Wickhoff sur l’évolution ultime de l’art antique, telles qu’elles sont exposées dans l’introduction de la Wiener Genesis (en anglais, Roman Art, trad. Eug. Strong). Wickhoff n’admettait pas une décadence de l’art grec, mais une renaissance de l’art romain. Suivant lui, l’art illusioniste occidental affirme son existence en opposition avec l’art typique de la Grèce ; il présage Velasquez, Hals, Rembrandt et même les peintres français modernes. L’illusionisme est essentiellement le rendu d’une vision momentanée, où le pittoresque l’emporte sur le dessin, ce qui ouvre la voie au tachisme. Mais l’illusionisme dans le relief romain pourrait bien être une illusion de Wickhoff. Le « caractère momentané » qu’il attribue à des figures de l’arc de Titus n’est pas plus prononcé que dans des compositions grecques analogues ; Gœthe disait déjà que le Laocoon est un « éclair fixé, une vague figée au moment où elle se brise sur le rivage ». Les modifications de la technique du marbre s’expliquent, d’une part, par l’imitation des ouvrages en métal, de l’autre, par la nécessité d’un travail rapide ; Wickhoff croit voir un principe nouveau, une tendance au pittoresque là où il ne s’agit que du besoin de faire vite, d’esquisses laissées à l’état d’esquisses. A cela se réduit aussi l’illusionisme des portraits romains. Il y a infiniment plus de pittoresque dans la chevelure de l’Hermès de Praxitèle que dans n’importe quel buste romain admiré par Wickhoff. M. Poppelreuter concède que Wickhoff a montré les débuts de l’impressionisme dans les peintures de Pompéi ; mais ce n’est jamais aux dépens du contour, de la delineatio, qui reste un caractère constant de l’art antique. De même, dans la Genèse de Vienne, les miniaturistes usent tous du contour. « Que l’esprit de Velasquez se soit révélé dans l’art romain, c’est ce qu’il n’eût jamais fallu écrire. Ce que l’art romain impérial possédait en fait de germes de ce genre à supposer que des fouilles ne nous prouvent pas un jour que ces éléments sont entrés plus anciennement dans l’art, en particulier dans les grandes villes de l’Orient — ce sont des analogies avec le rococo, avec les décorations d’un Oppenord, non avec Velasquez » (p. 31).

Suivant Wickhoff, l’illusionisme romain serait le produit de deux facteurs : le vieil illusionisme étrusque et le style d’imitation naturaliste introduit par les Grecs. Mais la comparaison de certains portraits étrusques avec des esquisses à la plume de Rembrandt est absolument arbitraire. L’imitation naturaliste des Grecs, c’est le pasitélisme, c’est-à-dire tout le contraire du vrai naturalisme : l’académisme élégant et vide. Wickhoff pense que cette école de copistes, précisément parce qu’elle avait pour habitude de copier, se mit aussi à copier la nature ; mais c’est là presque un jeu de mots ; est-ce qu’on a vraiment copié la nature dans l’école de Mengs ? Loin donc que les beautés de l’art augusto-flavien dérivent de la source que leur assigne Wickhoff, elles s’expliquent par les influences des centres helléniques de l’Orient. C’est l’art hellénistique qui fut le père du portrait romain ; même le naturalisme floral du Ier siècle de l’Empire remonte à l’art pergaménien.

L’archéologue autrichien a insisté sur le style dit « continu » dans le relief ; la colonne Trajane montre, suivant lui, l’alliance du style continu et de l’illusionisme. Mais le style « continu » n’est que de l’histoire en sculpture, la représentation prosaïque des événements qui se suivent ; encore tout à fait grossier dans l’art de Suse, il se relève, dans les reliefs de Trajan, sous l’influence de l’art hellénistique. Les illustrations de nos plus anciens manuscrits de la Bible sont la suite du « genre bourgeois et militaire » et n’ont rien à voir avec l’impressionnisme ni avec une tendance nouvelle dans l’art. Tout l’art antique, depuis le IIe siècle, se tourne vers l’illustration, peut-être sous l’influence des livres illustrés de l’égypte alexandrine. Les prototypes de la Genèse de Vienne ne doivent pas être cherchés dans l’ouest de l’Empire ou en Italie, mais à Alexandrie.

Pour Wickhoff, le développement de l’art romain impérial se place au IIe et au IIIe siècle. Mais les œuvres de ce temps sont misérables et rien n’autorise à postuler de bonnes peintures à une époque où les reliefs des sarcophages sont si mauvais. Et puis, alors que tout va de mal en pis, pourquoi supposer que l’art ait suivi une marche ascendante? Depuis le début du IIIe siècle, c’est à peine si les artistes travaillent encore, tant l’Empire est ruiné et épuisé. Constantin ne put rien contre cette décadence irrémédiable, qui devait aboutir à un nouveau triomphe de la stylisation, de la géométrie substituée à la nature. La con­clusion de M. Poppelreuter est nette ; le livre de Wichkoff est une erreur géniale, eine geniale Verirrung. Il était utile que cela fût dit ; il sera plus utile encore de peser les arguments des adversaires et de reprendre ab ovo la discus­sion du grand problème des quatre premiers siècles : « Orient ou Rome? » (1).

S[alomon] R[einach]

 

(1) M. P. est encore plus sévère pour la Spätrömische Kunstindustrie de Riegl, ouvrage très savant, plein de remarques fines, mais où la décrépitude est sans cesse confondue avec la jeunesse de l’art. D’ailleurs, le style de Riegl est tel que les Allemands eux-mêmes ne sont jamais sûrs d’avoir tout compris.