Pumpelly, R.: Explorations in Turkestan. Expedition of 1904. Prehistoric civilisations of Anau. Origins, growth and influence of environment. 2 vol. xxxv-494 p., 97 planches, 548 figures dans le texte in-4°.
(Washington, Carnegie Institution 1908)
Reviewed by Henri Hubert, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 304-308
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Number of words: 2212 words
 
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R. Pumpelly. Explorations in Turkestan. Expedition of 1904. Prehistoric civilisations of Anau. Origins, growth and influence of environment. Washington, Carnegie Institution, 2 vol., 1908. xxxv-494 p., 97 planches, 548 figures dans le texte in-4°.


On ne saurait trop recommander la lecture de ces deux gros volumes aux archéologues dont l’imagination aime le grand air et les larges espaces. On y respire l’air sec et sain des steppes. Un bel enthousiasme, où vibre une noie de poésie, anime la partie du livre qui est due à la plume de M. Pumpelly. L’œuvre a été conduite et réalisée con amore. Les explorateurs, partis à la découverte, ont su découvrir.

M. Pumpelly, qui est géologue, a parcouru l’Asie centrale entre 1863 et 1865. Son attention s’était portée vers les plaines du lœss et il se préoccupa dès lors de l’influence qu’elles ont eue sur la distribution des peuples et de la civilisation. C’était le temps, où l’on plaçait dans l’Asie centrale le berceau des races aryennes et M. Pumpelly se demandait dès lors si le dessèchement progressif du climat dans la région de plateaux et de plaines que coupe l’Altaï n’avait pas mis en mouvement les migrations aryennes.

Les découvertes géologiques des vingt dernières années, attestant d’anciennes glaciations, des inondations, des lignes de rivages abandonnés, réveillèrent son intérêt. Il sut le faire partager aux Trustees de la fondation Carnegie. Ceux-ci le chargèrent d’une exploration mi-géologique, mi-archéologique qui devait avoir pour théâtre le Turkestan russe. La géologie devait y servir de guide à l’archéologie. Après un voyage de reconnaissance en 1903, les buttes de débris voisines d’Anau, petite ville ruinée près d’Askhabad, à proximité du Transcaspien, furent choisies pour des fouilles méthodiques, dont les résultats sont exposés dans les deux présents volumes.

Dans ces fouilles, M. Pumpelly eut pour collaborateur le Dr Hubert Schmidt du Museum für Völkerkunde de Berlin. Celui-ci fut spécialement chargé de la partie archéologique du travail. C’est à lui que sont dues la classification et l’étude descriptive des trouvailles (IIe partie, 1, 81-210). Les ossements d’animaux, trouvés au cours des fouilles, ont été envoyés au Dr Duerst, de Zürich, qui en a fait une étude toute bourrée de chiffres ; ses résultats généraux seuls peuvent nous intéresser ici, mais ils sont des plus importants. Le Dr Duerst a reconnu dans ces ossements, classés par niveaux, des documents sur l’évolution des espèces domestiques et sur les progrès de la domestication dans les phases successives de la civilisation des habitants d’Anau.

En y comprenant la colline qu’occupent les ruines d’Anau, l’oasis compte trois buttes ou kourganes espacées, formées par les débris d’un seul et même bourg qui s’est déplacé dans la suite des temps, pour se retrouver au niveau de la plaine dont il tirait son existence. D’ailleurs, le bourg a dû être à plusieurs reprises abandonné. M. Pumpelly pense que cet abandon périodique correspond au retour de très grandes sécheresses qui auraient obligé les riverains du petit cours d’eau, auquel l’oasis doit son existence, à se déplacer à la suite de l’eau. Des sondages pratiqués dans le sol de l’oasis révèlent plusieurs cycles d’humidité et de sécheresse, d’alluvionnement et d’érosion. M. Pumpelly s’est préoccupé d’établir une concordance entre les époques de ces cycles climatériques et les dates archéologiques indiquées par les fouilles des kourganes.

Dans ces trois tumulus où les débris des âges se sont entassés régulièrement, sans bouleversement qui en altèrent [sic] l’ordre, M. Pumpelly et ses collaborateurs ont relevé les traces étagées et juxtaposées de cinq civilisations. Nous pouvons faire abstraction de la dernière, celle dont les restes forment la butte même d’Anau. Elle est comparativement moderne. Les quatre autres s’échelonnent d’une date fort ancienne dans le néolithique jusqu’à l’âge du fer. En voici les caractéristiques.

La plus grande épaisseur des couches du kourgane septentrional appartient à la première civilisation. C’est une civilisation néolithique ; c’est tout à fait vers le haut qu’il s’y trouve un peu de plomb et de cuivre. Le cuivre y est représenté par un petit tube, des fils enroulés en spirale et une tête d’épingle. L’outillage de pierre, assez pauvre, ne comprend ni haches, ni pointes de flèches, ni pointes de lance, mais de simples lames de silex, des têtes de massue, des meules. La poterie, en revanche, est fort riche. Elle se compose de vases faits à la main et peints, les uns sans décor, les autres d’un décor géométrique brun, disposé par zones ou par bandes verticales et obliques sur un fond clair. Ces vases sont dépourvus d’anses. Les couches profondes n’ont livré que des ossements d’animaux sauvages. Mais bientôt paraissent les restes d’un bœuf domestique descendant du Bos namadicus, puis d’un porc (Sus palustris), puis d’un ovidé (Ovis Vignei). Dès la base, des traces de froment et d’orge, moulées dans les terres cuites témoignent que les habitants du primitif Anau étaient agriculteurs. Les maisons, rectangulaires, étaient faites de briques séchées au soleil. De nécropoles on n’a pas trace. Les enfants étaient enterrés dans les maisons, dans la position repliée. Au sommet des couches de la première civilisation quelques squelettes d’adultes retracent peut-être une tragédie finale. En tous cas, au moment où le kourgane atteignait ce niveau, il fut abandonné.

Quand il fut occupé de nouveau, ce fut par une population qui certainement était voisine de la première. Elle n’avait, elle non plus, ni haches, ni pointes de flèches ou de lances ; elle avait des massues à têtes de pierre, des frondes ; elle était sans doute pourvue de faucilles à tranchant de pierre rapporté. Les objets de métal sont déjà plus nombreux. Ils sont en cuivre pur. Ce sont des aiguilles et des alènes ; à la surface a été trouvée une lame de couteau dont l’attribution à cette période de la civilisation reste cependant douteuse. La poterie ne diffère de la poterie des couches inférieures que par la plus grande abondance des vases monochromes ; les formes de ceux-ci sont plus variées ; on y trouve des pieds élevés, soit tronconiques, soit cylindriques. La grammaire ornementale des vases décorés ne diffère que peu d’une civilisation à l’autre ; cependant, à ce niveau, apparaissent des vases dont le décor est peint directement sur la surface brute de l’argile. A la précédente série des animaux domestiques s’ajoutent la chèvre, le chameau, le chien et un ovidé sans cornes. Les maisons sont semblables aux maisons sous-jacentes Les enfants y étaient ensevelis à même le sol. Une période d’aridité fit déserter la colline.

Les nouveaux occupants de l’oasis s’établirent là où s’est élevé le kourgane du sud. L’abandon ne fut sans doute pas très long, car la deuxième civilisation et la troisième qui commence alors ont une sorte de poterie en commun peinte, poterie sans engobe, décorée d’ornements géométriques ; la série des ornements s’enrichit cependant d’un motif arborescent. Mais la grande masse de la poterie est sans décor et même sans engobe. Elle est faite au tour. Les formes sont plus variées et plus élégantes. On y compte des vases à becs, qui figurent également dans l’inventaire des plus anciens tumulus funéraires du nord de la Perse. Dans la décoration de la poterie l’incision apparaît pour la première fois. Les maisons sont toujours les mêmes ; l’usage d’enterrer les jeunes enfants est encore suivi. La hache manque comme précédemment. On trouve pour la première fois de l’obsidienne, sous forme de pointes de flèches. Le cuivre était employé communément. Il contient une faible quantité d’étain, sans qu’il puisse être question d’alliage intentiontionnel [sic]. Les objets de métal sont des poignards, des faucilles, des épingles, des anneaux et des sceaux. Dans les couches qui correspondent à cette troisième civilisation, à 12 ou 13 mètres au-dessus de la base du tumulus, se trouvent des figurines en terre cuite de femmes nues et d’autres qui représentent très grossièrement des bovidés. Un nouvel abandon de l’oasis marque la fin de cette civilisation.

L’abandon parait avoir duré cette fois longtemps. Une épaisse couche de ruines, où se mêlent en désordre les débris d’âge différents, y correspond. Une couche assez mince s’y superpose. Elle contient du fer. On y trouve des pointes de flèches à trois pans. M. Pumpelly l’attribue à un âge du fer assez récent. Les allées et venues, les occupations armées des Scythes demi-nomades expliquent, selon lui, l’aspect désordonné de ces couches supérieures.

Personne ne trouvera mauvais que des explorateurs qui regardent monter du fond du désert et du sable les formes croissantes de la civilisation soient exposés à croire que la racine qu’ils déterrent est une racine maitresse et infiniment ancienne. M. Pumpelly est persuadé que les bords d’une steppe en voie de dessèchement, où les espaces propres à la vie se restreignaient, tant pour les animaux que pour les hommes, étaient prédestinés à être le théâtre de cette sorte d’association zoologique qu’est la domestication. C’est sur les bords du désert que nos espèces domestiques ont été, selon lui, domestiquées, sauf peut-être le porc et le chien ; aussi bien, les restes des espèces sauvages dont ils descendent se trouvent-ils au même lieu et au-dessous des leurs. Si nos espèces domestiques sont venues de là, leurs premiers maîtres, à savoir les Aryens, sont donc venus avec elles. La conclusion est fort séduisante et rend des couleurs au mirage oriental.

Mais les gens d’Anau étaient-ils des Aryens et leur civilisation nous donne-t­-elle une idée de ce que fut la première civilisation de ceux-ci ? M. Pumpelly en fait remonter l’origine aussi haut que possible. Pour le faire, il s’est livré à un travail minutieux, qu’il a poursuivi en Égypte, sur l’accroissement moyen par périodes déterminées des bourgs construits en briques séchées, comme l’ancien bourg d’Anau. A en juger par la hauteur des kourganes, le premier établissement daterait d’environ 8000 av. J.-C. De pareils calculs sont intéressants, mais les résultats sont toujours sujets à caution. Ils doivent céder le pas à toutes les autres considérations chronologiques.

Or la poterie peinte d’Anau évoque naturellement le souvenir de celle que M. de Morgan a exhumée à Suse. Entre les civilisations primitives d’Anau et celle de Suse l’absence de haches, semblables à nos haches polies européennes, est un autre trait commun. Mais M. Pumpelly considère que la poterie peinte de la première civilisation a précédé la plus ancienne poterie peinte de Suse, qui se distingue comme l’on sait par la perfection de sa technique et de son décor dont les éléments sont des représentations naturalistes, stylisées mais parfaitement reconnaissables. A mon avis, M. Pumpelly doit se tromper. Cette poterie peinte d’Anau est dérivée par simplification d’une poterie plus parfaite, à telles enseignes que, dans chaque couche, les formes les plus pures de la poterie peinte sont les plus anciennes. Il me semble que ce n’est pas vers le centre, mais sur les bords de l’aire de civilisation caractérisée par l’usage de la poterie peinte que se trouve l’oasis d’Anau. S’il en est ainsi, la poterie la plus ancienne d’Anau est comparable à ce que l’on appelle la poterie archaïque de Suse ; celle-ci date à peu près du IVe millénaire av. J.-C. C’est donc le rayonnement de l’Elam qui se retrouve au Turkestan.

Il y a dans les trouvailles d’Anau quelques signes de parenté avec l’Asie antérieure. C’est d’abord un sceau hittite à trois faces (IIIe civilisation) ; ce sont également les sépultures d’enfants. On en a signalé de semblables en Palestine. ­Mais on sait que c’était également l’usage à Rome d’enterrer les tout jeunes enfants dans la maison même de leurs parents. La distance est grande et le fait ne semble pas un signe de parenté ethnique. Toutefois il en était de même à Troie. Or, entre les trouvailles d’Anau et celles des couches profondes de Troie, les ressemblances sont nombreuses ; mais il s’agit de la IIIe civilisation d’Anau ; épingles à tête pyramidale, à simple et à double spirale, poignards, couteaux et faucilles se trouvent de part et d’autre. Même, parmi la poterie contemporaine figurent des fragments décorés de chevrons incisés, qui rappellent certaines poteries d’Hissarlik.

Si les deux premières civilisation [sic] d’Anau ont avant tout des affinités élamites, la troisième est en relation avec celles de l’Arménie et de l’Asie Mineure.

Précisément dans les mêmes couches quelques fragments décorés de spirales gravées font songer à la poterie énéolithique de Macédoine et de Transylvanie. Ni M. Pumpelly, ni ses collaborateurs ne font état de cette ressemblance. C’est le seul indice archéologique d’une affinité entre les établissements du Turkestan et ceux de l’Europe centrale. C’est tout à fait au début de l’âge du bronze que cette parenté se manifesterait.

H[enri] H[ubert]