Maeterlinck, L.: Le genre satirique, fantastique et licencieux dans la sculpture flamande et wallonne. Les miséricordes de stalles. Art et Folklore. 1 vol. 8°, iii-380 p. avec planches et 275 gravures.
(Paris, Schemit 1910)
Reviewed by Gustave Cohen, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 322-323
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Number of words: 672 words
 
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L. Maeterlinck. Le genre satirique, fantastique et licencieux dans la sculpture flamande et wallonne. Les miséricordes de stalles. Art et Folklore. Paris, Schemit, 1910. 1 vol. 8°, iii-380 p. avec planches et 275 gravures. Prix : 12 fr.


     Que le mot « licencieux » n’effraie pas le lecteur. Il n’y a pas beaucoup plus de licence dans ce livre et dans ses gravures que dans le bon rire et les grasses plaisanteries d’un Rabelais. Les Flamands se sont montrés dans le passé, et ne sont-ils pas maintenant encore, aussi gaulois que les Wallons ? L’art des « maîtres drôles » en porte la marque et l’art des « huchiers » et « beeldesnyders » n’a pas moins de verdeur. Ne croyez pas que l’Église les arrête, non ; ils portent leur fantaisie ironique et souvent grossière jusque dans les stalles du chœur et surtout dans les « miséricordes » ou consoles sur lesquelles se rabat le siège des plus augustes personnages.

     Ce sont ces ingénieuses compositions en bois sculpté, si vivantes et si libres, qu’analyse M. Maeterlinck. L’idée directrice de son livre et ce qui en fait la valeur propre, est que l’auteur a voulu déchiffrer et classer ces scènes et ces gestes grotesques et que, presque toujours, il y retrouve l’illustration d’un dicton flamand ou d’un fabliau du moyen-âge. Cela lui permet de fournir aux historiens d’art un procédé d’identification précieux : lorsque telle scène en bois sculpté est la mise en œuvre d’un proverbe qui n’est que flamand, nous pouvons en conclure avec certitude qu’un « beeldesnyder » a passé par là... Si, à Villiers de l’Isle-Adam (cf. p. 255), on voit une femme lier le diable sur un coussin, ni plus ni moins que dans les miséricordes d’Aerschot, c’est parce qu’un dicton flamand dit « Ze zou den duivel op een kussen binden mel linljens ». Nous avons donc affaire à une œuvre flamande d’origine. Le raisonnement n’est pas moins sûr s’il s’agit de roses (non de marguerites ou de perles) que l’on jette devant des cochons, car l’aphorisme néerlandais est « roozen voor de verkens ». Donc à Rouen, en France, comme à Aerschot et à Hoogstraeten en Belgique, comme à Dordrecht et à Oirschot en Hollande, comme à Kempen en Allemagne, ce proverbe sculpté porte la marque évidente de sa provenance.

     On ne saurait trop insister sur l’importance du procédé, mais il faut qu’il soit appliqué avec la plus grande rigueur. Il faudrait par exemple s’abstenir d’invoquer le lai d’Aristote, connu partout, comme dénotant une origine Flamande, ainsi que semble le faire M. Maeterlinck (p. 267).

     Il est aussi d’excellente méthode de chercher à interpréter les sculptures et les peintures satiriques par la chronique locale. L’ornementation, telle qu’on l’entend au moyen-âge, est « un miroir du monde », parfois même une sorte de gazette. M. Maeterlinck en donne un exemple caractéristique qui fait honneur à sa perspicacité. Si dans les sculptures de Damme un personnage à genoux inspecte « l’orifice » d’une truie, c’est par allusion au Magistrat, auquel l’ensablement du Zwyn (ce mot désigne non seulement le porc en général, mais aussi le bras de mer qui a fait la fortune de Damme et de Bruges) causait alors de grands soucis.

     Déjà comme recueil de documents inédits ou peu connus, ce livre, avec ses 275 gravures et ses huit planches hors texte, prendrait une place honorable dans la série des études consacrées à l’art belge ; mais nous avons tenu à en faire valoir surtout les idées directrices et à montrer son importance pour l’étude de la vie familière et de la pensée populaire dans les siècles passés (1).

Gustave Cohen

 

(1) Voici quelques notes qui pourraient servir à l’auteur pour une seconde édition. P. 27, la phrase « un turban plissé... » ne dit certainement pas ce qu’elle voudrait dire. — P. 68[,] « le mâle temps » l. mal. — P. 250, note : le « gatlekker » n’a rien de spécifiquement flamand ; nous avons en français la même expression. M. M. la cite lui-même à la p. 261.