Pillion, Louise: Les sculpteurs français du XIIIe siècle (Collection des Maîtres de l’Art). In-8 de 272 p.
(Paris, Plon )
Reviewed by Louis Hautecoeur, Revue Archéologique t. 20 (4e série), 1912-2, p. 192-193
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Louise Pillion. Les sculpteurs français du XIIIe siècle (Collection des Maîtres de l’Art). In-8 de 272 p. Paris, Plon, s. d.


La collection des Maîtres de l’Art, qui a coutume de placer chacun de ses volumes sous le vocable d’un grand artiste, compte, grâce à Mlle Louise Pillion, un livre d’un ordre plus général. Il s’intitule Les sculpteurs français du XIIIe siècle et s’intitulerait mieux encore : La sculpture française au XIIIe siècle. Mlle P., dont on connait les savantes études sur la cathédrale de Rouen et le portail roman de la cathédrale de Reims, a profité évidemment des travaux de MM. André Michel et Mâle ; mais elle a traité le sujet avec une généralité nouvelle.

Son livre comprend plusieurs parties : les chapitres I et II, sont consacrés aux origines de la sculpture gothique. Mlle P. cherche à quel moment l’art roman se changea en l’art gothique ; elle prend comme type de transition le portail de Chartres ; nous aurions aimé à connaître son avis sur la date du portail latéral de la cathédrale du Mans, et d’autre part, il nous semble qu’elle va un peu loin lorsqu’elle prétend absentes des sculptures de Chartres « toutes les conventions arbitraires » de l’école romane : les draperies tuyautées et la « frontalité » de ces statues ne sont-elles pas conventionnelles?

Dans les chapitres III à VI, Mlle P. dégage les caractères généraux de cette sculpture. Elle étudie les thèmes iconographiques, les lois qui en régissent la répartition sur l’édifice, les symboles qui s’y cachent. Mlle P. ne craint pas d’affirmer (p. 51) que ce symbolisme est clair : le rapport entre le Buisson ardent ou la Pierre détachée de la montagne avec la virginité de Marie était-il beaucoup plus évident, non pas au peuple, mais aux bourgeois de Laon qu’il ne l’est à nous-mêmes aujourd’hui? Il y avait là une question d’initiation, et c’est pourquoi Mlle P. a justement montré le rôle des clercs dans la constitution de cette symbolique. Ce qui est parfaitement vrai, c’est que les sculpteurs restèrent familiers et qu’un certain réalisme n’est jamais absent de leurs œuvres. Ils étaient peuple, collaboraient avec des ouvriers du peuple et les conditions de leur travail en expliquent quelques caractères. Mlle P. a étudié ensuite la technique, les procédés, les habitudes de dessin. On aurait pu indiquer davantage le rôle que jouent les figures géométriques dans les croquis de Villard de Honnecourt : si le triangle semble avoir été la figure favorite, ce n’est pas l’effet d’un hasard ; Choisy (Histoire de l’architecture, t. II, p. 406) avait nettement prouvé le goût de ces architectes pour le triangle équilatéral, le triangle égyptien et ses dérivés chers aux anciens et, plus récemment, M. Mortet (Mélanges offerts à Em. Chatelain, 1910, p. 367) a dit les origines de ces schémas géométriques du corps humain. Mlle P. signale précisément en ce chapitre l’influence des restes de l’antiquité : il serait à souhaiter qu’on pût déterminer avec quelque exactitude les œuvres alors connues dans les villes françaises.  

Dans une troisième partie, Mlle P. passe en revue les cathédrales de Laon, Chartres, Amiens, Paris, Reims, Bourges. Après avoir relevé leurs nuances particulières, il eût été instructif de dégager les rapports communs et d’insister par exemple sur ce goût de l’expression, qui, en certains endroits, va jusqu’au goût de la caricature. Dans le chap. X, nous trouvons des renseignements sur la sculpture en bois, bronze et ivoire : quelques mots sur la sculpture dans les ouvrages d’orfèvrerie eussent été les bienvenus, d’autant plus que l’orfèvrerie de cette époque, — la châsse de saint Taurin à Évreux en est la preuve —s’inspirait très nettement des grands ensembles architecturaux.

Mlle P. termine en indiquant le succès de cette sculpture hors de France et en dressant un Répertoire sommaire des principales œuvres de sculpture monumentale existant encore en France et une Bibliographie, sommaire aussi, qui seront commodes. Si ce livre, par l’agrément et la clarté de l’exposition, peut s’adresser au grand public, il est plus et mieux qu’un simple ouvrage de vulgarisation.

Louis Hautecoeur