Carcopino, J.: Histoire de l’ostracisme athénien (Bibl. de la Fac. des Lettres, fasc. XXV, p. 82-272).
(1908 )
Compte rendu par A. Bouché-Leclercq, Revue Archéologique t. 13 (4e série), 1909-1, p. 281-282
Site officiel de la Revue archéologique
 
Nombre de mots : 928 mots
 
Citation de la version en ligne : Les comptes rendus HISTARA.
Lien : http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=1058
 
 

J. Carcopino, Histoire de l’ostracisme athénien, 1908 (Bibl. de la Fac. des Lettres, fasc[.] XXV, p. 82-272).


Sur le but, la pratique, les résultats de l’ostracisme, les dissertations abondent. La dernière en date, celle de M. Albert Mar­tin, a trouvé place dans les Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Inscriptions (XII, 1, 1907, p. 1-64). M. Carcopino, ancien membre de l’École Française de Rome, reprenant une étude ébauchée il y a six ans, a entrepris de passer au crible les textes trop souvent vagues ou contradictoires qui perpétuent les hésitations des érudits, de discuter sur chaque point les so­lutions proposées, et de tirer enfin de ces minutieuses recherches des résul­tats auxquels on ne pût opposer aucune objection imprévue. Il s’est acquitté de sa tâche avec une conscience, une indépendance d’esprit et une vigueur de logique qui assignent à son travail une valeur historique exceptionnelle.

Il y a longtemps que Montesquieu, réagissant contre l’opinion courante dans l’antiquité, pour qui ostracisme était synonyme d’ingratitude démocratique, appelait l’ostracisme une « chose admirable ». M. C. n’use pas de cet adjectif ; mais il va aussi loin que Montesquieu en montrant que l’ostracisme, mesure préventive, « précaution d’hygiène politique » (p. 125) était « d’une incroyable douceur » (p. 116), comparé à la mise hors la loi (ἀτιμία) et à l’exil (φυγή), pénalités terribles et souvent collectives, dont il retira l’usage aux passions politiques. L’ostracisme ne peut être appliqué qu’une fois l’an et à un seul citoyen, il respecte l’honorabilité, la fortune, la famille de ceux qu’il frappe, et il est sans exemple que les ostracisés n’aient pas été rappelés avant l’expiration du délai maximum de dix ans prévu par la loi. La procédure, telle que l’entend M. C., offre toutes les garanties désirables. Elle a soin d’exclure tout débat, aussi bien lorsque, en la 6e prytanie (début de l’année julienne), le peuple décide (par ἐπιχειροτονία, et non προχειροτονία), s’il y a lieu de recourir à l’ostracisme, que plus tard, entre la 7e et la 9e prytanie, lorsque le peuple vote par tribus sur l’agora. Elle se montre en cela soucieuse de la réputation du banni, contre lequel aucune accusation n’était proférée publiquement.

Cet exposé préalable comporte déjà la réfutation de bon nombre d’opinions adverses. Le débat est plus vif et plus serré encore sur l’ostracophorie. Il est ici entre Philochore, qui tient pour obligatoire une majorité de 6.000 suffrages réunis sur le même nom, et Plutarque, qui se contente d’un quorum de 6.000 votants. Contre la plupart des érudits contemporains, y compris M. Albert Martin, M. C., pour des raisons mûrement pesées, tranche la ques­tion dans le sens de Philochore. L’ostracisme rentre dans la règle générale appliquée au vote des νόμοι ἐπ’ἀνδρί. Il y fallait l’approbation du peuple athénien, en majorité, sinon à l’unanimité. Or, on est en droit de supposer « qu’à la date où Clisthène fonda l’ostracisme (507), six mille suffrages n’étaient pas loin de représenter les deux tiers des votants » (p. 163).

De l’histoire de l’ostracisme M. C. retranche les « ostracisés imaginaires » (p. 168-185), c’est-à-dire Clisthène, Callias, Miltiade fils de Cimon et Damon. Le cas de Damon, que M. C. avait déjà étudié en 1905 (Rev. d. Et. gr., XVIII, pp. 415-429), est épineux. Il faut reléguer parmi les interpolations oligar­chiques une parenthèse de l’ θ. πολ. d’Aristote (ch. 27, § 4) pour conclure que « l’ostracisme de Damon n’est que la légende d’une faction » (p. 185). Restent neuf « victimes réelles », dont le rôle politique permet de suivre l’évo­lution de l’ostracisme. Sont bannis d’abord, conformément au but premier de l’institution, les amis des tyrans : Hipparque fils de Charinos (487), Mégaclès (486), Alcibiade l’Ancien (485), tous amnistiés en 481. Aussitôt après, dans les rangs des nobles, l’ostracisme frappe les chefs de parti (δημαγωγο) ; le démocrate Xanthippe en 484, le conservateur Aristide en 482. On veut tantôt exclure le chef du parti vainqueur, devenu suspect même aux siens, comme Thémistocle en 471, tantôt empêcher le chef du parti vaincu de faire de l’obstruction, comme Cimon, en 461, Thucydide fils de Mélésias en 443. Enfin, l’institution, dont le jeu s’est progressivement ralenti, est faussée par le bannissement d’ Hyperbolos (417), victime calomniée d’une intrigue assez louche que M. C. s’acharne à élucider (p. 221-266).

Si l’ostracisme ne fut plus appliqué par la suite, ce n’est pas que l’institution ait été formellement abolie. Elle tomba en désuétude, parce que dès la fin du Ve siècle, 6.000 citoyens ne représentaient plus la majorité des citoyens, et aussi parce que la Restauration inaugurée en 403 entendait se défendre désor­mais contre les intrigues des clubs par des moyens plus énergiques et dispo­nibles à tout moment. L’ostracisme fut remplacé, dans la pratique, par des procès emportant l’ ἀτιμία, peine plus redoutée et à laquelle on ne pouvait plus reprocher d’être infligée sans débats.

M. C. apporte sur tous les points des solutions nettes. Après une enquête si complète et si fouillée, un peu d’outrance dans l’affirmation ne déplaît pas. On sait gré à l’auteur d’avoir jeté par terre tant d’échafaudages hypothétiques qui encombraient le sujet et d’avoir si bien mis en lumière, à l’honneur du peuple athénien, les circonstances qui expliquent, par des raisons d’opportunité, la genèse et la décadence de l’institution.

A. B[ouché-Leclercq]