Venturi, Adolfo: Storia dell’ Arta italiana. La scultura del Quattrocento.
(U. Hœpli )
Compte rendu par Emile Bertaux, Revue Archéologique t. 13 (4e série), 1909-1, p. 426-429
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Storia dell’ Arta italiana. La scultura del Quattrocento, par Adolfo Venturi, U. Hœpli, éditeur.


Adolfo Venturi continue d’élever, avec une régularité qui commande l’admiration, sa monumentale histoire de l’Art italien. La sixième assise vient d’être posée : un bloc de 1150 pages, qui représente la sculpture du XVe siècle. La couverture du volume annonce une suite imposante ; il est heureux que l’homme qui se prépare cet avenir de labeur ait formé un fils digne de le se­conder. Ceux qui ont confiance dans l’achèvement de l’ouvrage peuvent redou­ter au moins que le plan ne soit trop vaste pour conserver l’harmonie de ses proportions et la continuité de ses lignes. Sans parler de l’architecture du XVe siècle, qui, précédée de celle de XIIIe, doit succéder à la sculpture et à la peinture du XVe, un volume entier est réservé aux « Arts mineurs » du Quattrocento. Il semblera que les médailles et les plaquettes auraient pu trouver place dans le volume qui vient de paraître et dans l’histoire même des artistes qui ont modelé pour la fonte ces petits bas-reliefs. La vie profonde de l’œuvre serait compromise par ce morcellement, si l’auteur n’était là pour animer ses pages de son émotion de poète.

Le volume qu’il vient de donner est un répertoire éloquent. Ce répertoire est aussi complet qu’il se peut aujourd’hui. Dans les 780 figures documentaires, il ne manque rien d’essentiel ; les nombreux morceaux de valeur médiocre, dont les reproductions paraîtraient encombrantes à certains lecteurs, offriront aux spécialistes l’intérêt de l’inédit. La bibliographie sera pour les travailleurs un instrument inappréciable ; ils trouveront, pour chaque artiste, les articles princi­paux des revues étrangères, les monographies italiennes, et le dépouillement complet de l’Arte, la grande revue romaine, dont M. Venturi est l’âme (1).

Pour qui serait curieux de mesurer le chemin que l’Histoire de l’Art, dernière née des études historiques, a parcouru en un demi siècle, il y aurait grand intérêt à comparer le volume de M. Venturi avec les deux volumes de Charles Perkins. Certes depuis que cet Américain a refait le Cicognara, des étrangers ont apporté à l’histoire de la sculpture italienne des contributions de la plus haute importance. Mais ni MM. Bode et de Fabriczy, ni M. Marcel Reymond n’avaient étendu leurs recherches à l’Italie entière. Le livre de M. Venturi introduit pour la première fois dans l’histoire générale de l’art, des provinces ou même des colonies de la sculpture italienne ; on lira avec un intérêt particulier les deux chapitres relatifs aux sculpteurs italiens en Dalmatie et aux sculp­teurs dalmates en Italie.

Les érudits français ne devront pas négliger un livre qui tient compte des rares influences de l’art français dans l’Italie de la Renaissance. M. Venturi fait voyager en Bourgogne ce Niccola de Bari, qui, avant d’achever à Bologne le mausolée de saint Dominique, auquel il doit son surnom de « Niccola dell’Arca », avait modelé pour une église de la ville un « Sépulcre » de terre cuite. L’hypothèse mérite d’être notée et a besoin d’être vérifiée. M. Venturi s’est préoccupé, après Courajod et d’autres, du mystérieux orfèvre colonais dont Ghiberti a conté l’histoire dans ses « Commentaires » ; après s’être retiré sur une montagne d’Italie pour y vivre en ermite, il aurait attiré à lui de jeunes sculpteurs, et leur aurait révélé, à l’aube du XVe, siècle, quelque chose de l’art du Nord. Il est impossible de suivre l’historien italien lorsqu’il propose de voir dans cet inconnu à demi légendaire Claus Sluter en personne (p. 13). Il est vrai que le grand sculpteur de Philippe le Hardi a fini ses jours dans la retraite ; mais il est mort à Dijon en 1406. L’inconnu de Ghiberti est venu en Italie à la suite du duc Louis d’Anjou et à la date précise de 1411 (2).

M. Venturi ne craint pas, comme on le voit, les solutions personnelles. Il donne son avis sur toutes les questions débattues et sur toutes les attributions proposées ; souvent cet avis diffère des opinons émises par un Bode ou un Steinmann ; dans beaucoup de cas, je donnerais volontiers raison à M. Venturi. L’esprit de finesse qu’il apporte dans ses analyses lui a permis de reprendre de la façon la plus brillante et la plus heureuse le « parallèle » classique entre les deux morceaux de concours présentés en 1402 par Brunelleschi et Guiberti. Peut-être le critique veut-il parfois préciser au delà du possible. Je crois que pour faire de façon tranchante la part des collaborateurs dans une œuvre col­lective telle que l’arc de triomphe de Castel Nuovo, à Naples, il faudrait tenir un document qui rendît, sans contestation possible, l’un des morceaux, tout au moins, à l’un des sculpteurs.

Un bon nombre de terres cuites et de marbres qui portent jusqu’ici le nom d’un maître du XVe siècle sont attribués résolument par M. Venturi à un Ignoto du XIXe. Quelques pièces de musée ou de grandes collections sont reléguées parmi les faux : à côté des baptêmes, les excommunications.

Certes il faut plus d’une fois reconnaître la perspicacité du critique en même temps que son indépendance. Que tel « Verrocchio » en terre cuite, prétendu « modèle » d’un monument funéraire ou buste d’apparat, soit un pastiche, grossier ou habile, M. Venturi a bien fait de le proclamer ; plus d’une fois ses accusations se rencontrent avec celles de M. Marcel Reymond. Il est même des cas (comme celui des séries exposées à Londres) où l’on peut regretter son silence. Mais il en est d’autres où le doute s’attaque à des œuvres qui semblent à l’abri de toute suspicion.

Je reconnais que M. Venturi n’exécute pas, comme M. Berenson, par le silence. Il dresse, dans des notes, ce qu’il appelle une fois ses listes de proscription. Mais comme il s’abstient de donner, au milieu de son illustration abondante, les reproductions des pièces qu’il suspecte, il combat des ombres sans défense. Pour leur donner le coup fatal, un mot rapide lui suffit. Il ne doit pas nous suffire, quand il s’agit, par exemple, du buste de Diotisalvi di Nerone, par Mino, que possède M. Gustave Dreyfus : œuvre nerveuse et saine, et qui a une histoire, puisqu’elle a été achetée en Italie par Timbal et presque pour rien, au milieu du XIXe siècle.

L’habileté des faussaires modernes doit inspirer aux historiens, comme aux collectionneurs et aux conservateurs de musées, une crainte perpétuelle et salutaire. Aussi leur convient-il de tenir le plus grand compte de la date a [sic] laquelle une œuvre est apparue sur le « marché ». Je prends, comme un exemple topique, la note où M. Venturi a exilé trois marbres attribués à Agostino di Duccio et qui se trouvent tous les trois en France (3). Le premier est le [sic] Vierge aux Anges qui est entrée au Louvre avec les merveilleuses orfèvre­ries d’église léguées par le baron Adolphe de Rothschild. Celle-ci, je l’abandonnerais sans trop de regret ; le travail mou, la patine beurrée, les types de babies ont inquiété, avant M. Venturi, plus d’un observateur français. Notons que l’œuvre est d’acquisition toute récente, comme peut l’être la fabrication. La seconde victime est le mystérieux et délicieux petit bas-relief de la collection Aynard, de Lyon ; « discuté », dit M. Venturi. En effet, un collaborateur de l’Arte a « discuté » ce bas-relief sans l’avoir vu et le directeur de l’Arte ne l’a pas vu davantage. Je croyais avoir clos la discussion, en insistant sur l’iconographie du bas-relief, dont les détails inexplicables sont le fait de l’étrange sculpteur du temple de Rimini, bien plutôt que d’un scarpellino moderne et ignorant ; j’avais rappelé que le buste se trouvait à Lyon avant 1877, c’est-à-dire à une époque où le nom et l’œuvre d’Agostino étaient encore inconnus. Quant à la troisième accusation, elle est vraiment déconcertante. M. Venturi voit un faux dans la Madone d’Auvilliers, qui, avant d’entrer au Louvre, avait été oubliée pendant un siècle dans la petite église de l’Oise où l’avait apportée un général de Napo­léon Ier. Dans un coin du bas-relief, un écusson, dont les armes ont été grattées et qui a pu être retaillé après coup, a une forme qui rappelle le XVIIe siècle. C’en est assez pour que M. Venturi voie dans le bas-relief tout entier une con­trefaçon de ce siècle. Mais comment un contemporain du Bernin est-il allé pas­ticher un disciple de Donatello ? Quel amateur a pu acquérir une œuvre dont le style devait paraître alors enfantin et barbare ? M. Venturi ne s’explique pas sur ce point. Nous avons le droit de lui demander des explications. Nous en demandons aussi à M. Brunelli, l’accusateur de la Madone Aynard, qui, de guerre lasse, a proposé de voir dans le bas-relief d’Agostino di Duccio une imitation faite au temps de Canova. De pareilles résurrections de l’art du Quattrocento seraient des miracles bien dignes d’être soumis à la critique his­torique. Même pour des temps plus proches de nous il importerait de savoir dans quelle génération et dans quel atelier tel maître du XVe siècle a trouvé des imitateurs. Nous connaissons Giovanni Bastianini, l’auteur du buste de Savonarole qui a été placé dans la cellule du grand dominicain, au couvent de San Marco ; il a eu des émules. Une enquête aussi discrète et complète que pos­sible sur les sculpteurs italiens du XIXe siècle qui ont pastiché leurs ancêtres servirait mieux la cause de l’histoire que des exécutions sans jugement. Pour­quoi ce petit travail ne serait-il pas entrepris par un disciple de M. Venturi ?

E[mile] B[ertaux]

 

(1) La première livraison de cette année porte à bon droit pour titre : « l’Arte di Adolfo Venturi ».

(2) Gazette des Beaux-Arts, 1899, 3e pér., t. XX, p. 248.

(3) P. 406, n. 2. Pour la bibliographie, publications et discussions, voir p. 388, n. 2.