Bayet, C.: Giotto (Collection des Maîtres de l’Art).
(Paris, Plon 1907)
Compte rendu par E. Bertaux, Revue Archéologique t. 11 (4e série), 1908-1, p. 140-141
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C. Bayet, Giotto (Collection des Maîtres de l’Art). Paris, Plon, 1907.


       Un « maître », c’est-à-dire un créateur : nul peintre n’a été plus digne de ce titre que Giotto. Nul n’a exprimé avec des formes plus nettes des sentiments plus profonds : sans sortir des limites de son art, il a été un poète, et, dans le drame chrétien, un égal de Dante.

     Le livre harmonieux de M. Bayet aidera non seulement à connaître, mais à comprendre l’artiste auquel il est consacré. Certes, l’ouvrage est un travail d’érudit, suivi de tout l’appareil des renseignements exacts. Dans la bibliographie, je ne regrette qu’une lacune, sans doute inévitable. M. Oswald Sirén a publié, quelques mois à peine avant M. Bayet, un Giotto. Le livre a paru en 1906 à Stockholm. L’auteur est, je crois, l’homme d’Europe qui connaît le plus profondément la peinture italienne du Trecento : il l’a montré dans ses articles et dans sa monographie de Lorenzo Monaco, dont j’ai rendu compte ici. Nous aurions aimé à trouver résumées et discutées dans un livre français les conclusions du récent ouvrage suédois. M. Bayet dresse un catalogue des œuvres de Giotto, qui est nécessairement court. Peut-être aurait-il pu indiquer les raisons qui lui ont fait omettre le petit panneau de la Mort de la Vierge, au Musée Condé de Chantilly, si imposant et si « grand ». Pour les quatre allégories fameuses qui sont groupées sous les voûtes basses de l’église inférieure d’Assise, M. Bayet les laisse tout entières au maître. Je m’en réjouis. Les critiques les plus agressifs, tant italiens qu’allemands, n’ont pu alléguer aucun argument sérieux pour enlever à Giotto la gloire d’avoir conçu cet ensemble solennel. Quant à l’exécution matérielle, où la part des disciples et des manœuvres est toujours grande, je me soucie fort peu de savoir ce qui peut revenir à un anonyme que l’on a appelé le maître aux figures oblongues, et, pour plus de brièveté, sinon d’élégance, le « maître oblong ».

      D’une manière générale, M. Bayet n’a pas voulu s’égarer dans les discussions critiques. J’estime qu’il a eu grandement raison. Ces discussions peuvent être du plus vif intérêt, aussi bien que de la plus haute importance. Il faut cependant résister à ceux qui voudraient aujourd’hui en faire l’unique objet et le tout de l’histoire de l’art. M. Bayet donne l’exemple de cette résistance.

      On en peut juger par le chapitre II de son livre, qui recherche « Comment s’est formé Giotto ». Pour étudier minutieusement cette question d’origine, qui suppose une connaissance approfondie de l’art byzantin et de son influence en Italie, un pionnier des nouvelles études byzantines était mieux armé et qualifié que personne. Cependant M. Bayet se contente de quelques indications précises et d’une allusion aux débats stériles qui se sont livrés depuis plusieurs années autour de nom de Cimabué. Les critiques les plus récents, surtout les Anglais, en venaient à faire du maître de Giotto selon Vasari, une ombre et un mythe. M. Bayet tend à revenir aux anciennes traditions : il se trouve d’accord avec l’érudit allemand qui tout récemment a repris la question de Cimabué dans un volumineux ouvrage (1). Mais les peintres du XIIIe siècle, Cimabué et Cavallini, n’ont pas été les seuls maîtres de Giotto, ni peut-être ceux dont l’influence a été la plus décisive sur le génie du grand Florentin. M. Bayet a tenu à établir ce que Giotto, poète religieux et dramatique, a dû à saint François, cet autre poète, et à Florence, où les agitations politiques lui apprenaient « ce qu’il ne pouvait apprendre alors dans aucun atelier ; comment on vit et comment les mouvements du corps traduisent les passions de l’âme ».

      Ce livre d’histoire de l’art est un livre d’histoire. Il sera lu, je l’espère, par les étudiants de nos Universités, qui sont attirés aujourd’hui vers les études d’art et qui attendent des directions. Ils apprendront, à l’école de M. Bayet, comment on peut préparer une œuvre en « philologue » et l’achever en « humaniste ».

                                                                       E[mile] Bertaux

 

(1) A. Aubert, Die malerische Dekoration der San-Francesco Kirche zu Assisi. Ein Beitrag zur Lösung der Cimabue-Frage (Kunstgeschichtliche Monographien). Leipzig, Hiersemann, 1907.