Frazer, J. G.: Totemism and Exogamy. 4 vol. in-8. Prix : 62 fr. 50.
(Macmillan 1910)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 16 (4e série), 1910-2, p. 181-183
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J. G. Frazer. Totemism and Exogamy. 4 vol. in-8, Macmillan, 1910. Prix : 62 fr. 50.


 


     Non seulement ces quatre volumes reproduisent tout ce que M. Frazer a écrit lui-même depuis vingt-cinq ans sur le totémisme, mais ils offrent un tableau complet et détaillé des institutions totémiques existant chez les différents peuples et développent, sur les questions de l’origine du totémisme et de l’exogamie, les opinions les plus récentes de l’auteur. Il ne faut point y chercher pourtant ce qui concerne les vestiges possibles d’un totémisme primitif chez les peuples dits sémitiques et aryens ; M. Frazer a laissé de côté, d’une manière absolue, toutes les hypothèses sur des survivances, pour se confiner dans l’étude du totémisme tel qu’il existe encore (1).

     Depuis les recherches de Spencer et Gillen en Australie, nous savons que de nombreuses tribus, contemporaines de nos civilisations scientifiques, ignorent que la gestation est la conséquence de la synousia. C’est là sans doute la plus importante découverte ethnographique de notre temps. Soit une femme d’une de ces tribus arriérées ; elle saura qu’elle est enceinte au premier tressaillement de sa matrice et, si ce tressaillement est accompagné d’une vision ou d’un contact quelconque, c’est à l’objet vu ou touché qu’elle attribuera son nouvel état. Elle croira qu’elle a reçu dans son sein l’esprit de cet objet, animal ou végétal, pierre ou rayon de soleil ; si elle a vu un émou, son enfant sera un émou, toute autre notion de paternité étant lettre close pour elle. Dans cet état primitif de l’opinion, que M. Frazer appelle le totémisme conceptionnel, chaque individu a son totem particulier. Or, en Australie même, parmi des tribus plus voisines de la mer, on constate le passage du totémisme conceptionnel au totémisme héréditaire: les femmes croient encore qu’elles conçoivent par l’entrée d’un esprit dans leur corps, mais cet esprit ne peut plus être que le totem du mari. Le totémisme héréditaire tend naturellement à prévaloir et c’est bien la forme sous laquelle il a été le plus généralement étudié (2).

     L’exogamie, suivant M. Frazer, n’est pas une conséquence du totémisme. Cette aversion des mariages consanguins s’expliquerait par l’élargissement d’un sentiment instinctif qui, au sortir d’une période plus ancienne de promiscuité sexuelle, a prohibé les relations de mère à fils et de frère à sœur. Une fois l’hérédité totémique établie dans les clans, ces clans devaient donc devenir exogames, c’est-à-dire qu’un homme ayant pour totem l’émou, par exemple, ne pouvait pas épouser une femme émou. « Pourquoi, demande l’auteur, les sauvages ont-ils partout abhorré et prohibé l’inceste ? Nous l’ignorons ».

     Ce qui précède n’est pas un résumé du grand ouvrage de M. Frazer, mais tout juste une esquisse, volontairement simplifiée et superficielle, de ses conclusions les plus importantes. Pour les discuter pied à pied, il faudrait la compétence de M. Frazer lui-même. Je ne veux pourtant pas terminer ce court article sans exprimer ma profonde admiration pour le savant qui, après tant de travaux de premier ordre, nous a donné un nouveau chef-d’œuvre, peut-être le chef-d’œuvre de la littérature ethnographique et de la sociologie.

S[alomon] Reinach

 

(1) On abusera de cela pour dire que M. Frazer ne veut pas entendre parler de totémisme chez les Grecs, Celtes, Germains, Hébreux, etc. En réalité il ne nie nullement ces survivances, mais il préfère s’occuper des faits actuels.

(2) Si, dans l’hypothèse de l’auteur, une femme croit qu’elle est devenue enceinte du fait d’un émou, c’est qu’elle admet préalablement la possibilité d’un lien social et même familial entre l’espèce humaine et l’espèce émou ; elle est donc, suivant ma définition (une hypertrophie de l’instinct social), déjà totémiste. J’ajoute que si la théorie de M. Frazer était la solution du problème, il faudrait trouver beaucoup d’exemples, au lieu d’un très petit nombre, de clans ayant le vent pour totem ; qu’on se souvienne des cavales de Virgile, vento gravidae, et de ce que dit à ce sujet saint Augustin.