Delattre, P.: Le Culte de la Sainte Vierge en Afrique, d’après les monuments archéologiques. In-8° de xii-232 pages.
(Paris et Lille, Desclée et de Brouwer 1907)
Compte rendu par Paul Monceaux, Revue Archéologique t. 11 (4e série), 1908-1, p. 148-149
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P. Delattre. Le Culte de la Sainte Vierge en Afrique, d[’]après les monuments archéologiques, in-8° de xii-232 pages. — Paris et Lille, Desclée et de Brouwer, 1907.


        Au cours de ses fouilles de Carthage, le R. P. Delattre a trouvé un grand nombre de petits monuments relatifs à la Vierge. Il a également enregistré avec soin les découvertes analogues faites sur d’autres points de l’Afrique. De tout cela, il a tiré une intéressante monographie du culte de la Vierge dans cette contrée. Il ne se défend point d’avoir été conduit à cette recherche scientifique par une arrière-pensée d’édification; mais il fait la part belle aux archéologues ses confrères.

        L’ouvrage contient une description minutieuse de tous les objets découverts. D’abord, les monuments antérieurs à l’invasion arabe : les deux beaux bas-reliefs, Adoration des Mages et Apparition de l’ange aux bergers, qui ont été trouvés dans les ruines de Damous-el-Karîta, et qui paraissent bien dater du IVe siècle ; quelques figures d’Orante, où le P. Delattre reconnaît la Vierge ; des statuettes en terre cuite, qui représentent probablement la Vierge avec l’Enfant Jésus ; de curieux carreaux de terre cuite, dont l’un porte une invocation à S(an)ct(a) Maria ; une riche série de sceaux byzantins, où la Theotokos est représentée ou invoquée ; un bas-relief funéraire de Cherchel, où est sculptée une Adoration des Mages. Les monuments postérieurs à l’invasion arabe, étudiés dans une seconde partie, sont peu nombreux, et, presque tous, importés d’Europe. Dans cette catégorie, le P. Delattre cite : une très singulière intaille, trouvée en Kabylie, et datée de l’an 711 de l’hégire (1312 de notre ère), où figure une Madone de style byzantin avec les sigles Μ(ήτη)ρ Θ(εο)ῦ et une invocation en arabe ; une statuette d’albâtre, provenant de l’Ariana près Carthage, travail italien du XIVe siècle ; une statuette de pierre, découverte à Tebessa, et une Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, en bois, déterrée à La Manouba, œuvres espagnoles du XVIIe siècle ; plusieurs monnaies mariales de la République de Gênes, des Trinitaires, de Jean de Matha. Tous ces documents sont décrits en détail et reproduits dans le texte ou hors texte, avec beaucoup d’autres qui fournissent des points de comparaison.

        A propos de ce recueil de monuments figurés, se pose une question historique. Ces documents africains ou trouvés en Afrique, autorisent-ils à parler, pour la période ancienne, d’un culte de la Vierge, au sens précis du mot ? Assurément, ce culte a existé dans le pays au VIe siècle : à Carthage, près du palais des gouverneurs byzantins, s’élevait une chapelle de la Theotokos, et un poète du temps des Vandales mentionne une Basilica palatii sanctae Mariae. Mais, avant la fin du Ve siècle, nous ne connaissons aucun témoignage précis attestant l’existence, en Afrique, d’un culte rendu à la Vierge. Les textes d’Augustin, et, à plus forte raison, ceux de Tertullien, ne sont rien moins que concluants. Quant aux monuments figurés antérieurs à l’invasion arabe, ils datent presque tous de la période byzantine. Les bas-reliefs de Damous-el-­Karita peuvent remonter au IVe siècle ; mais ils ne prouvent rien, pas plus que ­les terres cuites, d’époque incertaine, où la Vierge, d’ailleurs, n’est pas nimbée. La question des représentations de la Vierge est complètement distincte de la question du culte de Marie. A Rome, les Catacombes renferment bien des figures de la Vierge, et cependant le culte de Marie ne s’y est développé que sous l’influence byzantine, et les fêtes de la Vierge n’y apparaissent pas avant le VIIe siècle. En Orient même, ce culte semble avoir été inconnu avant le IVe siècle, et il n’a pris d’extension qu’après le Concile d’Éphèse de 431. Serait-il plus ancien en Afrique ? C’est bien invraisemblable. Selon toute apparence, les choses se sont passées là comme à Rome. La question ne saurait être tranchée que par l’étude critique des textes africains, classés dans l’ordre chronologique. Nous souhaitons que le R. P. Delattre entreprenne ce travail, complément nécessaire de sa monographie sur les représentations figurées de la Vierge en Afrique.

                                                                       Paul Monceaux