Larfeld, Wilhelm: Handbuch der griechischen Epigraphik. Erster Band : Einleitungs- und Hilfsdisziplinen. Die nicht-attischen lnschriften. In-8°, viii-604 S., mit vier Tafeln.
(Leipzig. R. Reisland 1907)
Compte rendu par Louis Jalabert, Revue Archéologique t. 11 (4e série), 1908-1, p. 437-441
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Prof. Dr Wilhelm Larfeld, Handbuch der griechischen Epigraphik. Erster Band (1) : Einleitungs- und Hilfsdisziplinen. Die nicht-attischen lnschriften. Leipzig. R. Reisland, 1907, in-8°, viii-604 S., mit vier Tafeln.


   Ce n’est point à des débutants que s’adresse le Manuel de M. Larfeld ; l’étudiant qui prendrait contact avec l’épigraphie dans ce volume dense et sévère risquerait d’être vite perdu dans le dédale infini des détails et découragé par les milliers de références qui hérissent le texte dont elles rendent la lecture assez dure. Mais ce qui serait défaut dans un ouvrage d’initiation, où la simplification est encore un des premiers mérites, devient qualité pour un traité qui est réellement, en dépit du titre, la «  partie du maître ». C’est aux professeurs surtout et aux étudiants déjà formés qu’est destiné le Handbuch de M. L. et, pour l’avoir suffisamment pratiqué, je puis assurer qu’il leur rendra d’éminents services : ils y trouveront accumulés avec un soin diligent et une admirable patience des milliers de faits épigraphiques bien observés, classés rigoureusement, disposés avec une clarté d’autant plus méritoire qu’elle est moins fréquente dans les ouvrages germaniques ; une bibliographie surabondante, dont la précision méticuleuse révèle presque un bibliophile ; des dépouillements consciencieux à l’excès des principaux recueils épigraphiques : en somme, une masse de matériaux telle qu’il n’en a jamais été mis en œuvre de comparable dans aucun manuel d’épigraphie.

   Par dessus tout, M. L. a su maîtriser vigoureusement ses myriades de fiches et, dans son gros manuel, l’ordre l’emporte encore sur l’abondance ; aussi permet-il de s’orienter promptement dans la littérature, déjà si touffue et toujours pullulante, des publications épigraphiques et il n’est point de paragraphe qui ne soit déjà un schéma de leçon tout préparé.

   L’économie générale du manuel de M. L. est sensiblement celle du Traité de M. S. Reinach, de ce premier manuel dont a vécu déjà toute une génération d’épigraphistes et qui demeurera longtemps encore, jusqu’à ce qu’il ait la bonne fortune d’une nouvelle mise au point, l’indispensable initiateur des étudiants français. La distribution est un peu différente : trois parties, Préambule (A. Einleitender Teil), p. 1-171 ; des Inscriptions en général (B. Allgemeiner Teil), p. 172-315 ; des Inscriptions en particulier (C. Besonderer Teil), p. 316­-571 [ ;] un index de 60 colonnes achève de rendre maniable et pratique cet utile répertoire.

   La première partie est consacrée presque exclusivement à l’histoire de l’épigraphie (p. 16-171). A ce chapitre dont personne ne méconnaîtra l’opportunité, en l’absence de bibliographie complète de l’épigraphie grecque, M. L. avait déjà fait une place considérable dans sa Griechische Epigraphik, insérée dans le Handbuch d’Iwan v. Müller (vol. l, 2e éd., p. 365-429). Cette nouvelle rédaction est presque le triple de la première et l’accroissement ne tient pas seulement à un exposé moins sommaire et moins serré ; c’est une refonte totale, marquée par d’innombrables additions. On y trouvera tout l’essentiel et amplius sur les anciens recueils antérieurs aux Corpora du XIXe siècle : bibliographie exacte jusqu’à la minutie, analyse détaillée ou inventaire sommaire du contenu de ces vieilles sources de plus en plus oubliées et négligées, biographie de leurs auteurs, appréciation équitable et personnelle des hommes et des œuvres (2) ; histoire des sociétés savantes qui ont bien mérité des études épigraphiques, historique des grands voyages d’exploration archéologique (3) ; exposé détaillé des fouilles et de l’œuvre des Instituts des diverses nations des deux mondes (4) ; tout a trouvé sa place dans ce vaste répertoire qui à lui seul mériterait déjà une vive reconnaissance. L’excellent précis que nous devons à M. S. Chabert (Histoire sommaire des Études d’Épigraphie grecque, Paris, 1906) ne fera point tort à l’inventaire de M. L. ; d’une lecture moins attrayante et d’un aspect plus austère, le travail de M. L. reprend tout son avantage comme bibliographie et comme instrument de travail : les deux ouvrages se complètent et s’achèvent ; on lira l’un, on consultera cent fois l’autre.

   La seconde partie correspond approximativement au chapitre III du Traité de S. Reinach. L’auteur y a groupé tout ce qui concerne l’usage des inscriptions chez les Grecs (5), la gravure des textes, le sort des monuments épigraphiques, le traitement à faire subir à la matière épigraphique en vue d’une publication, la critique et l’interprétation des textes. Tout cela n’est point neuf, mais tout est soigneusement remis au point.

   La troisième partie enfin se compose de deux chapitres d’étendue inégale et dont la relation n’est point très stricte : Alphabet et formulaire des inscriptions grecques non attiques.

   On a déjà protesté bien des fois contre la place trop large faite à l’alphabet dans les manuels d’épigraphie. La question, en effet, est réellement accessoire, surtout quand on ne s’en tient pas aux conclusions les plus probables sur l’origine de l’alphabet grec et quand il s’agit de reprendre de haut toute la question. Et c’est précisément à ce dernier parti que s’est arrêté M. Larfeld.

   Successivement il étudie les systèmes graphiques de l’époque prémycénienne et mycénienne, l’écriture syllabique chypriote, l’écriture alphabétique phénico-grecque. Après avoir exposé la question si embrouillée et si trouble de l’origine (héthéenne, babylonienne, minéo-sabéenne, égyptienne ?), de l’alphabet cadméen, il en examine un à un tous les éléments (voyelles, sifflantes (6), la question du Taw et du Teth, celle du Kaph et du Qoph, l’origine des caractères complémentaires φχψ (7) et des voyelles longues) ; puis il essaie de préciser nos connaissances sur la formation, l’aire de diffusion et la fortune des alphabets particuliers ; enfin, il complète ces données théoriques par un utile inventaire des monuments épigraphies archaïques (VIIe-Ve siècle), des alphabets d’Asie-Mineure, du groupe insulaire, de l’Attique (et du N.-E. du Péloponnèse) et du groupe occidental. Le chapitre s’achève sur un exposé très complet des notions usuelles relatives aux abréviations(8), ligatures, signes de lecture et singularités diverses. Consacrer 116 pages à ce sujet n’est-ce pas cependant plus que de la libéralité — de la prodigalité ?

   Le formulaire des inscriptions constitue à proprement parler le « manuel » ; on y retrouve les divisions courantes, mais avec une surabondance de détails qui manquent partout ailleurs (9). Ainsi les épithètes laudatives qui sont données en considérant dans les décrets de proxénie ou d’evergésie (v. g., ἀνὴρ ἀγαθός, εὔνους, φιλότιμος, χρήσιμος…), sont rangées par ordre alphabétique (p. 492-502) et chacune attire une pluie de références, presque de vraies tables de Corpus. Il y a des trésors pour les travailleurs dans ces listes complètes qui épargneront de fastidieux dépouillements et, s’il manque un peu de jour dans ces pages terriblement denses, on n’y rencontre plus les équations algébriques à multiples inconnues, dont la complexité et l’aspect logarithmique ont fait tort au second volume du Handbuch de M. Larfeld.

Il est dommage que M. L. n’ait point ajouté à son manuel deux appendices : l’un aurait été consacré aux ères locales, sur lesquelles M. L. est d’une brièveté excessive (p. 299) ; le second aurait été une sorte de bilan épigraphique du monde grec par ordre alphabétique ou topographique, permettant d’attendre l’achèvement des Inscriptiones Graecae de Berlin et des Tituli Asiae Minoris de Vienne. Cet inventaire aurait rendu d’inappréciables services aux voyageurs et aux archéologues qui consument souvent de longues journées de recherches à réunir les textes déjà connus d’une localité donnée.

  On voit par cette analyse sommaire que le Handbuch de M. Larfeld diffère totalement du manuel de Roberts et Gardner (An Introduction to Greek Epigraphy, Cambridge, 1887-1905, 2 vol. in-8°), mais qu’il tient de très près au Traité de M. S. Reinach. Lui souhaiter de rendre les mêmes services que ce dernier et aussi longtemps, c’est, je crois, le vœu le plus agréable et le plus flatteur que l’on puisse formuler pour cet ouvrage qui, en dehors de sa richesse extrême et de ses qualités de clarté et de méthode, représente une somme de labeur modeste et de persévérante patience qui commande le respect.

                                                                        L[ouis] Jalabert

 

(1) Zweiter Band : Die attischen Inschriften. Erste Hälfte, in-8o, 392 S., mit einer Tafel ; Zweite Hälfte. 1902, xiv-565 S., mit einer Tafel. Prix des deux volumes ; 94 marks (!).

(2) Cf. les pages sur Fourmont (p. 47-51), la note d’une ironie atténuée sur Lenormand (p. 111), l’appréciation de l’œuvre de Letronne « der Böckh der Franzosen » (p. 64), Le Bas, Waddington, Dumont, Foucart ; un jugement exact et sympathique sur le rôle scientifique de la France.

(3) M. L. paraît ne pas connaître H. Omont, Missions archéologiques en Orient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, 1902.                                                       

(4) A propos du Corpus Inscr. graec. Christ., dont M. L. signale le projet (p. 146), il aurait fallu indiquer l’orientation nouvelle donnée à cette œuvre depuis le Congrès d’Athènes. Cf. Byz. Zeitschrift, XV (1906), p. 496-502 [G. Millet].

(5) M. L., qui consacre toute une page (p. 206-207) à classer couleur par couleur les inscriptions qui conservent des vestiges de peinture dans le creux des caractères, ne parle qu’en passant des textes tracés au pinceau sur stuc : la fortune de ce genre de gravure à l’époque hellénistique exigeait qu’on y insistât davantage.                      

(6) Il eût fallu mentionner ici l’article de F.W. G. Foat sur le Tsadé et le Sampi (Journ. of hellenic Studies, 1905).                                                             

(7) Le paragraphe consacré à l’écriture crétoise ou égéenne (p. 316-326) dépend à peu près exclusivement d’Evans ; je n’y trouve pas la mention des travaux et des hypothèses de R. Weill et S. Reinach. — La question des caractères complémentaires de l’alphabet grec est toujours ouverte et s’enrichit périodiquement d’hypothèses nouvelles : à celles que M. L. analyse (p. 365-374) il faudrait ajouter encore la tentative de Praetorius qui cherche à rattacher les lettres φχψ à l’alphabet du Safa (Praetorius, Zur Geschichte des griech. Alphabets, dans la ZDMG, LVI, (1902), p, 676-680, réfuté par Lidzbarski, Ephemeris f. semit. Epigraphik, II (1903, p. 119-121). C’est encore du problème φχψ qu’est parti M. Dussaud pour rapporter l’alphabet phénicien aux écritures égéennes (Journal Asiatique, 19051, p. 357-361) ; son hypothèse a été vivement relevée par Lidzbarski (Ephemeris..., II (1906), p. 139) et J. Halévy (Rev. sémit., 1907, p. 253-254) ; mais elle semble avoir trouvé un partisan réservé dans la personne de M. Puchstein (Jahrbuch d. k. d. arch. lnst., 1907, p. 296) ; cf. encore, pour simple mention, E. J. Pilcher, The himyaritic Script derived fom the Greek, dans les Proc. S B A., 1907, p. 123-132, et H. Grimme, Zur Genesis des semit. Alphabets, dans la Z. f. Assyr., XX, p. 49-59. — N’étant point sémitisant, M. L. tranche un peu vite (p. 331) le problème de la source de la dénomination grecque des caractères de l’alphabet : en fait, la question est autrement complexe et les avis très partagés.

(8) A propos de certaines abréviations (monogrammartige Kürzungen, p.410) cf. une intéressante note de Perdrizet (Num. Chronicle, XVIII (1898), p. 6).

(9) Je ne trouve cependant rien sur les acclamations du type νίκη τοῦ δεῖνος dont le sens a été si longtemps discuté ; cf. Rev. des Etudes grecques, 1891, p. 333 ; 1893, p. 197-203 ; 1895, p. 460 ; Philologus, L, p. 430-435 (G. Hirschfeld) ; Festschrift f. O. Benndorf, p. 237-242 (E. Hula). — Il est étonnant que le recueil d’A. Audollent (Defixionum Tabellae..., Paris, 1904) ait échappé à l’enquête de M. Larfeld.