AA. VV.: Egyptian Research Account, Tenth year. — Saqqarah, Mastabas. Part Ι, by Margaret A. Murray, with drawings by F. Hansard and J. Mothersole and Gurob by L. Loat. In-4° vi-58 p. et LXIV planches.
(London, Quaritch 1905)
Compte rendu par Georges Foucart, Revue Archéologique t. 8 (4e série), 1906-2, p. 185-193
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Egyptian Research Account, Tenth year. — Saqqarah, Mastabas. Part Ι, by Margaret Α. Murray, with drawings by F. Hansard and J. Mothersole and Gurob by L. Loat. — London, Quaritch, 1905. In-4° vi-58 p. et LXIV planches.


         On sait où en est, après cinquante ans de fouilles, la publication des nécro­poles de Saqqarah. Le tombeau de Ti est encore inédit, celui de Mirrouka est décrit, mais sans une reproduction. C’est à l’Archaelοgical Survey of Egypt que nous devons le mastaba de Phtahetep (1), et à von Bissing, depuis cette année, une partie de celui de Gim-ni-ka (2). Pour le reste, il faut se contenter de notices éparses, des extraits du vieux Lepsius ou des tronçons de notes de Mariette réunis en volume, voici tantôt dix-sept ans. L’Egyptian Research Account a entrepris de réviser les mastabas exhumés jadis par Mariette, de dégager de la masse ceux qui contenaient des textes, stèles ou représentations murales, et d’en présenter l’édition scientifique définitive. Son dixième mémoire — le premier de la nouvelle série — nous donne un groupe de dix tombeaux.

         Le début est consacré aux stèles du Mastaba Α 2 de Mariette, celle de Sokhar-kha-biou et d’Haïtbοr Nofirhotpou. Le « petit nom » du premier était Hatsou « l’ichneumon » (?), celui de la seconde Toupis (?) ; et rien que cet usage de mettre en regard le « grand » et le « petit » nom est un indice significatif d’archaïsme. Ces deux monuments étaient bien connus de tous les archéologues. On avait signalé, dès leur découverte, la disposition, la technique particulières de leurs légendes et de leur ornementation. Οn les savait aussi au nombre des plus anciennes stèles que nous possédions, et on les rangea provisoirement dans la IIIe dynastie, faute de pouvoir leur assigner une date plus précise. Aussi est-il curieux de constater que des monuments de cette valeur n’avaient même pas encore été reproduits intégralement. Tout le panneau central de la stèle d’Haïthor-Nofirhotpou était resté inédit (3) et c’est vraiment un bon début, pour le présent volume, que de nous mettre sous les yeux (pl. ΙΙ) un document de cet intérêt. La description de ces deux monuments n’a été traitée ici qu’au point de vue archéologique (p. 3). Nous retrouverons plus loin la partie épigraphique et l’examen des substances dont l’énumération constitue ces tables d’offrandes d’une rédaction si particulière. Quant à la discussion et à la traduction de la titulature, elles ont été réservées pour le prochain volume, ainsi qu’il a été fait d’ailleurs pour tous les textes des mastabas publiés aujourd’hui. Je garde donc pour ce moment là les observations que m’a suggérées l’examen de ces deux stèles, si curieuses à tous égards. Le signalement archéologique en est fidèle, complet, semé d’observations et de rapprochements intéressants. J’aurais voulu seulement une reproduction spéciale et à plus grande échelle du grand collier et du pendentif sacerdotaux de Sokhar-kha-biou. Elle aurait été un utile accompagne­ment de la description qui en est faite dans le texte. C’est déjà une excellente idée d’avoir reproduit (pl. ΧΧΧVΙ) un collier semblable, figurant sur un fragment de statue de la XVIIIe dynastie, et d’avoir rapproché de ces deux ornements celui de la statue du Phtahmasou de Florence. La titulature de nos trois personnages, séparés entre eux par tant de siècles, montre que cet attirail était l’appareil traditionnel, réservé au chef du sacerdoce de Sokaris. Les orne­ments spéciaux à chacun des grands prêtres des principaux cultes égyptiens sont encore trop mal connus ; ce ne sont pas les documents, c’est le temps qui a manqué jusqu’ici, pour classer et relier en séries toutes les représentations. Ce travail donnera, pour l’histoire religieuse de l’Égypte, des résultats plus curieux qu’on ne le croit généralement. J’espère le montrer, quand j’aurai à discuter la titulature.

           Les analogies frappantes entre le costume ou la toilette du couple et ceux du Rahotep et de la Nofrit de Medum ont été fort bien notées : la courte moustache de l’homme, la coiffure de la femme, l’usage des larges bandes de fard vert sous les yeux. La silhouette d’Haïthor-Nofir-Hotep n’est peut-être pas tout à fait ce qu’on aurait pu faire. La phοtographie que j’ai sous les yeux me la montre plus jeune et de figure plus avenante que ce que nous donne le dessin de la pl. ΙΙ ; le type rappelle beaucoup celui des Nubiennes, encore est-ce une jeune Nubienne, de physionomie agréable et qu’il serait dommage de vieillir.

           Le chap. ΙΙΙ est consacré au Mastaba G 8 de Mariette. De ce tombeau pro­vient, comme on sait, le plus admirable morceau de sculpture sur bois que nous ait légué l’art memphite, l’« image vivante » de celui qu’on ne connaît plus au­trement que sous son sobriquet arabe de la première heure, le célèbre Sheikh el Beled. La discussion sur l’identité du personnage ne permet pas, malheureu­sement, de décider de son vrai nom. Le mastaba a été remanié ; il a appartenu, pour le moins, à deux familles successives et la chapelle où fut trouvée la célèbre statue ne faisait certainement pas partie du mastaba primitif (4). Le serdab n’a pas été retrouvé par Mariette ; et l’Egyptian Research Account n’était pas auto­risé à pratiquer des fouilles à Saqqarah, le territoire étant réservé en principe au Service officiel égyptien. C’est peut être en ce serdab que se cache la solution du problème.

           Est-ce bien du même mastaba que provient, décidément, la magnifique statue de femme connue, elle aussi, sous son seul sobriquet de « femme du scheik » (5) ? Maspero a dit non (6). Notre auteur dit oui, et le plus étrange est que tous deux s’appuient sur le témoignage du vieux Roubi, le fidèle reïs de Mariette, le seul témoin aujourd’hui des temps héroïques de l’Égyptologie. Α mesure que les années passent, l’excellent Roubi devient peu à peu, en égyptologie, une manière de « double» à l’égyptienne du grand Mariette. On le consulte, on invoque ses souvenirs, on invoque son témoignage dans les « Annales » officielles du Service, dans le Re-Heiligtum de Bissing (7), dans les travaux du Fund et du Survey britanniques. Et j’aimerais qu’il se fût expliqué plus nettement sur le point pré­sent.

          Avec le chapitre IV commence une série de huit mastabas dont trois sont entiè­rement nouveaux, puisqu’ils ne sont même pas mentionnés dans les notices som­maires de Mariette. Α ce groupe appartient (plan pl. XXXIII) celui de Kam-am-­hosit, malheureusement inachevé, et dont les quelques légendes hiéroglyphiques égalent en fini et en délicatesse celles des plus belles inscriptions d’époque memphite (pl. ΙΙΙ) ; les deux autres sont ceux de Kasokhimou et de Shopsi­souptah Ι, dont je parlerai dans un instant. Mais au fond, cette division en monu­ments inédits ou non ne serait qu’artificielle ; elle ne laisserait pas assez voir tout ce qu’apporte de nouveau la publication du Research Account, car, si nous prenions par exemple, le tombeau du chap. V et que nous le classions parmi les monu­ments déjà « publiés » dans les Mastabas de Mariette, nous commettrions une véritable erreur de fait. Ce double Mastaba, — qui appartenait à Phtahhâtep Ι et à Phtahâtep Dashiri — Mariette l’a bien publié, si l’on entend par publication neuf lignes se rapportant uniquement au plan de l’édifice et un petit plan croquis à l’appui (8). Ce qu’il restait à faire, c’était encore à peu près tout. Le présent mé­moire étudie le double mastaba pièce par pièce, corrige le plan de Mariette, repro­duit en trois planches les textes et bas-reliefs, notamment la stèle qui est aujour­d’hui au Musée du Caire. La tombe de Kasokhimou est le plus important des trois mastabas dont l’ouvrage de Mariette ne faisait même pas mention. La grande composition où le défunt figure, accompagné des siens, abonde en remarques précieuses à glaner sur la titulature du personnage ou sur son costume professionnel, el surtout sur la figuration des différents membres de la famille, les emplacements où ils ont été répartis, les noms qu’ils portent, les gestes qu’ils font. Chacun de ses éléments a sa valeur précise, et c’est par la comparaison de tableaux de ce genre que nous arriverons un jour à déterminer, en grande partie au moins, le droit familial et la succession aux charges dans la vieille Égypte. Depuis longtemps, j’enseigne à mes auditeurs que le moindre détail de ces stèles — ou des scènes qui leur équivalent dans les hypogées — est la traduction pictographique, résumée, d’une série de pièces écrites, établissant les obligations contractuelles et les droits juridiques de tous les personnages qui y figurent ; que, par conséquent, le détail le plus infime en apparence, une main qui tient un bâton, une taille plus petite de quelques pouces pour le per­sonnage de gauche comparé à celui de droite, l’ordre d’une théorie de serviteurs, tout cela vaut comme un document, et fait foi comme lui en cas de contestation. Les successions et leur ordre, les fondations et leurs charges, les par­tages ou les donations, les charges et leur collation aux descendants, tout est ainsi réglé, et traduit en abrégé en ces compositions, exclusivement funéraires au premier abord. On voit par là l’intérêt qu’il y aurait à en réunir à bref délai la série complète. Ce serait peut-être plus urgent pour l’histoire d’Égypte que les éternels débats sur la chronologie, qui n’ont jamais fait avancer d’un pas aucune question historique — ou que la onzième édition critique de huit lignes d’un papyrus. Mais il y aurait trop à dire sur la stèle de Kasokhimou. Je signale seulement la figuration, assez rare, des petits enfants [sic] du défunt, et le fait que l’aîné, puis le premier né de cet aîné s’appellent, comme le chef de famille, Kasokhtmou, et je proposerai, lors de l’examen des textes, une explication de cette particularité. La mention des noms des serviteurs du défunt, gravés à la pointe après achèvement de la décoration murale, a été signalée avec beaucoup de raison par l’auteur. Il y a là un fait dont nous pouvons suivre l’apparition, puis l’évolution graduelle dans la série des tombes memphites, et dont il importera de dégager quelque jour la théorie exacte.

          Le monument de Phtahhâtep II avait été jugé avec enthousiasme par Mariette (9) qui ne lui consacra pas moins de six pages des Mastabas, dont deux consacrées à la reproduction de la stèle, mais à une reproduction très hâtive. C’était bien peu encore. Le fac-similé des bas-reliefs de ce tombeau ne remplit pas moins de dix planches en notre présent volume et la description dans le texte équivaut à peu près vingt fois à la longueur du texte descriptif de Mariette. Telle partie, comme la chambre Α, était restée entièrement inédite ; et pour le reste, il fallait se contenter de notions toujours trop brèves et pas toujours très claires. Les scènes, il faut le reconnaître, ne peuvent égaler en intérêt ou en nouveauté des tombes comme celle de Merrouka ou de Gemnika. A regarder de près leurs ajustements, on voit qu’elles ne sont que des morceaux découpés et soudés, ou des abrégés de figurations dont on a ailleurs l’exemplaire complet (par exemple la scène de la chasse aux oiseaux de marais, pl. ΧL). Ce qui en fait surtout la valeur, c’est l’ampleur et la perfection du style ; οn en pourra juger par les deux beaux spécimens de la pl. ΧΙΙΙ (Khouithâtep, fils de Phtahâ­tep et une des femmes personnifiant les domaines du défunt). Aucun bas-relief de la nécropole memphite ne les surpasse en exécution.

          Toute la description archéologique des scènes est extrêmement intéressante. L’étude des différents personnages symbolisant les domaines grevés de charges funéraires au profit de Phtahâtep en est le morceau capital. L’ordre dans lequel ils défilent devra être examiné à fond, lorsqu’il y aura lieu de comparer entre­ elles les scènes analogues des différents tombeaux de la Ve dynastie et ce qu’elles apprennent sur les wakfs royaux de l’époque. Je crois que l’hypothèse de l’auteur sur les animaux nains (p. 14) est de celles qu’il vaut mieux aban­donner sans plus. Leur taille conventionnelle tient simplement à ce qu’ils sont une notation écrite des produits de chaque terre, à la manière d’un idéogramme dans le corps ordinaire des signes, et que leur rôle est uniquement de spécifier le mode de contribution de telle ou telle terre à l’entretien du tombeau et de son culte.

           Le trait saillant nu tombeau d’Ateti, qui vient ensuite (ch. VIII), est la figure en haut relief du défunt au fond de la fausse porte (pl. ΧΙΧ) ; c’est plutôt même une statue véritable. Il est intéressant de la rapprocher des monuments déjà connus du même type, ceux de Nofirnotirou, de Mirrouka et de Nibâri, par exemple. Les figures de ce genre étaient encore à peu près inconnues en archéo­logie, il y a à peine quelques années (10) ; elles sont encore très rares et l’auteur du texte du Musée égyptien n’en connaissait que trois. Ce sont des documents de grande valeur pour l’histoire de la stèle et des idées que l’on se faisait à la période memphite, de la vie du « double » en sa maison, et c’est donc une des contributions les plus utiles qu’ait apportées notre volume. Quant à la stèle elle­-même, dûment copiée cette fois, elle est beaucoup mieux conservée que Mariette ne l’avait dit (pl. XVIII). Il n’en avait d’ailleurs donné aucun croquis (11). La copie qu’il laissa de celle d’Ousirnatirou (Mastaba, n° 1) était, par exception d’ailleurs, fort peu satisfaisante (12). La rédaction abrégée des scènes du tombeau était par contre fort bien dressée. Elle ne faisait que rendre plus regrettable l’absence de tout dessin. Le présent volume ne leur consacre pas moins de cinq planches. La décoration se recommande à l’attention tant pour la perfec­tion de l’exécution matérielle que pour la richesse des détails. La frise en khakirrou est le plus ancien exemple connu de cette ornementation particulière à l’art égyptien. Les détails de cet élément décoratif tel qu’il est figuré ici (pl. ΧΧ), me paraissent tout à fait justifier la thèse proposée jadis par Petrie sur l’origine, si discutée, de ce thème ornemental (13). Les registres supérieurs des parois nord et sud (pl. ΧΧΙ-ΧΧΙΙΙ) sont remarquables pour leur figuration du rituel du sacrifice funéraire (purification et présentation de l’offrande sous la direction du khri-habi), ordinairement trop abrégé dans les compositions memphites de cette période.

           La tombe de Shopsisouphtah Ier (ch. Χ) n’avait pas été mentionnée par Mariette. Elle se distingue des sépultures voisines par la recherche de la décoration ornementale de sa stèle, comparable à celle, bien connue en archéologie, du Phtahâtep, dont l’Archælogical Survey a publié le mastaba il y a quelques années (14). Elle est néanmoins loin de présenter l’intérêt du mastaba de Shopsisouphtah II, que Mariette décrivît jadis en même temps que celui édifié à côté par Sabou, fils du défunt (15). Il s’attacha surtout aux scènes caractéristiques de Sabou et se borna à noter, sans croquis, les bas-reliefs et la stèle de Shop­sisouphtah, dont les pl. XXVIII à ΧΧΧΙ constituent ici, par conséquent, la première reproduction parue à ce jour. La rédaction de la table d’offrande y est à noter, ainsi que les rangs respectifs des fils du défunt et du représentant des domaines du roi dans la présentation du sacrifice. Il y a là des données assez difficiles à accorder sur les droits de succession ; elles ne peuvent être résolues sans plus ample examen ; je me borne à les relever.

            L’auteur se proposait de joindre à sa publication les scènes du tombeau de Sabou, aujourd’hui toutes réunies au Musée du Caire (16). Il suivait ainsi la méthode inaugurée dès le début, consistant à éditer ensemble le mastaba et les morceaux, stèles ou reliefs, qui ont été enlevées  [sic] de Saqqarah. On a ainsi l’ensemble du monument, tel qu’il était au moment où il fut exhumé. Le temps fit défaut cette fois-ci. Il faut d’autant plus le regretter que c’eût été, peut-être, pour longtemps, le seul moyen d’avoir la série de ces représentations, à laisser de côté les croquis de Mariette. Ce sera le seul en bien d’autres cas encore. C’est par la publication actuelle que nous avons enfin, par exemple, la stèle archaïque d’Haïthor-Nofir-Hatpou, dont j’ai parlé au début de ce compte-rendu. Il y a maintenant plus de huit ans que fonctionne la Commission internationale du grand catalogue du Musée du Caire. Nous attendons encore le premier volume qui traitera d’une manière quelconque des classes des monuments de l’époque memphite. Pas une stèle, pas une statue, pas un sarcophage, pas un des objets du mobilier funéraire n’a paru à la date où ceci est écrit. Pourtant, vingt-trois volumes ont déjà paru. Quelqu’intéressantes que soient les séries qu’ils décrivent, on nous persuadera malaisément que toutes réclamaient une publication plus urgente que les monuments de l’Ancien Empire. Quelques-­unes des séries publiées — il est bien inutile de les désigner plus expressément — auraient pu venir après l’inventaire de la période memphite, si nécessaire, d’un intérêt si général, et dont l’importance n’échappe à personne. Aussi ne saurait-on trop encourager ceux qui veulent bien prendre la peine de nous en donner quelques morceaux. Ils nous font ainsi probablement gagner plusieurs années, car les monuments memphites ne sont même pas annoncés comme « en préparation », à l’heure qu’il est, au Catalοgue οfficiel du Caire.

             Deux chapitres fort bien compris suivent la publication proprement dite des dix mastabas. Le premier traite des offrandes figurées sur les scènes murales ou dans la rédaction de la table d’offrande. Trois courtes monographies y sont consacrées aux scènes où se voient les hyènes, au lotus et aux parfums. La hyène élevée, nourrie, engraissée pour figurer comme aliment au repas du défunt, paraît dans nombre de tombeaux égyptiens. L’auteur en a réuni une importante collection (p. 29). Αu moment où il rédigeait son mémoire, de Bissing n’avait pas encore fait paraître son Mastaba de Gem-ni-ka, en sorte que sa série n’est plus tout à fait complète aujourd’hui. La bibliographie donnée par Bissing en son ouvrage ne cite pas non plus, à ce qu’il m’a semblé, toutes les représentations que je connais de cette espèce. Pour avoir le sujet au complet, il faudrait réunir les bibliographies des deux ouvrages et y joindre les exemples tirés des tombes du premier ou du second empire thé­bain. L’auteur des Mastabas me paraît également se tromper lorsqu’il croit (p. 29) que la hyène cessait déjà d’être considérée, à la Ve dynastie, comme un aliment désirable pour le défunt. Les scènes du tombeau de Merrouka, encore non publiées, vont à l’encontre de cette opinion. Il ne voit pas non plus comment on se procurait cet animal. En laissant de côté les scènes de chasse au désert (17) où il figure, mais où il est probablement tué et non capturé, on le voit au moins une fois pris au piège par les chasseurs. L’animal, capturé vivant, est lié par les quatre pattes à une longue gaule, et transporté par eux à la manière dont les pêcheurs égyptiens des bas-reliefs emportent les poissons de grande taille (18).

          La liste des parfums et de leurs éléments constitutifs est l’objet d’une assez longue étude, très documentée (p. 30 ff). Elle n’est pas présentée comme un traité complet de la matière. Autrement, elle aurait rappelé, en toute équité, les savantes recherches de Loret. C’est donc plutôt une « contribution » et une des plus nourries de faits qui aient encore paru.

          Les substances et objets de l’offrande funéraire font ensuite l’objet d’un tra­vail approfondi (p. 32 à 40). Il n’y a pas moins de 90 noms examinés et commentés. Une remarque préliminaire (p. 32) vaut d’être signalée ici même, en raison des phénomènes généraux qu’elle semble refléter dans révolution du rituel funéraire. L’auteur établit que jusqu’à la IVe Dynastie, les listes examinées par lui contiennent surtout la vaisselle, les ustensiles, les étoffes, les parfums et les cosmétiques. Les aliments sont en très petit nombre. Ils aug­mentent à partir de la IVe Dynastie et, à partir de la Ve, relèguent les listes des premières séries d’objets dans les peintures murales. Il y a là un fait que mes recherches personnelles me font considérer comme tout à fait significatif. Il semble concorder de tous points avec ce que je pensais bien avoir tiré de l’examen du Livre de la Mort, de celui des cercueils protothébains, des versions comparées des Pyramides, et de ce qui nous est parvenu des sépultures d’âge thinite ou de la période de Neqqadèh. De pareilles concordances ne sauraient être fortuites. Elles éclairent peu à peu l’histoire religieuse du mobilier funéraire et l’évolution rationnelle des idées dont il n’est que la traduction visible. On comprendra aisément que je ne puisse songer à esquisser ici une thèse de cette ampleur. J’ai voulu seulement prendre note en passant d’un nouvel élément de démonstration.

         Le chapitre ΧΙV et dernier est consacré à l’épigraphie. Quatre planches reproduisent en fac similé 98 signes de récriture memphite, pris dans cinq des mastabas publiés. La plupart des signes pris aux monuments des Dynasties ΙV et V se retrouvent, à très peu près identiques, dans les répertoires déjà publiés par l’Αrchæological Survey pοur la même époque. Ceux des stèles archaïques sont, au contraire[,] en grande partie de physionomie différente. Joints à ceux des sta­tues archaïques, publiées de divers côtés depuis quelques années, et à ceux des panneaux de bois de Hosirî, ils constituent un groupe franchement original dans l’histoire de l’écriture égyptienne. Plusieurs, en raison de leur rareté actuelle de fait, n’ont pu être identifiés ici. Il est significatif que, sur sept des signes mystérieux de la présente liste, cinq appartiennent à la stèle de Sokar-kha-biau. Je ne vois, pas cependant, pour l’un d’eux au moins (le n° 51 pl. ΧΧΧΙΧ), en quoi il diffère tellement du signe habituel de Safkit-aboui, et le ari, ou gardien enveloppé en son manteau, les clefs sur les genoux (n° 3 pl. ΧΧΧVIII), est également assez reconnaissable. Je me borne, pοur le reste du répertoire, à quelques très brèves remarques. L’animal image de Set (n° 24) est identifié depuis quelques années, et avec raison, ce me semble, à l’okapi d’Afrique (19). La plume plantée sur le dos du chacal (n° 27) est l’indice de l’Occident, amentit, et par conséquent du rôle funéraire du dieu Anoupou Amonatiti. Les signes 52 et 55 ne sont pas seulement des déterminatifs ; ils ont, à eux seuls, à cette époque, les valeurs phonétiques sadzou et èrp et peuvent être employés isolément pour ces valeurs. L’explication du signe nouit comme figu­rant le plan d’une ville à l’égyptienne (n° 89) n’est plus acceptable ; c’est un de ces nombreux signes régularisés, schématisés, que l’on trouve dès les pre­miers monuments, provenant d’anciennes images, moins régulières, dont on avait perdu le sens dès cette époque — peut-être dans le cas présent, la corolle ouverte d’une fleur d’eau.

           Cinq planches (XLI-XLV) ont été finalement consacrées à classer les couleurs de ces hiéroglyphes. J’hésite à penser que l’on puisse tirer des conclusions bien certaines de ces tableaux. J’en ai donné autrefois les raisons, lors­qu’ont paru, en égyptologie, les premiers répertoires de signes (20). Deux ans de conférences sur l’histoire de l’écriture égyptienne m’ont obligé à les revoir de plus près, et l’examen a confirmé mes premières impressions. Bien plus nette­ment qu’au début, et avec les preuves nécessaires à l’appui, on peut dire aujourd’hui : ni les couleurs d’un signe, ni ses détails linéaires internes ne peuvent constituer un élément d’appréciation décisive, lorsqu’il s’agit d’identifier un signe douteux, de retrouver sa forme originale ou de déterminer la nature des substances dont il est la figuration. L’écriture des tombes memphites est déjà beaucoup trop vieille ; elle est le produit, le résidu de trop de notations graphiques antérieures ; elle est déjà, au plus haut degré, trop conventionnelle et surtout elle est trop décorative. Je crois que les lecteurs seront du même avis, s’ils prennent la peine de contrôler les résultats obtenus cette fois à Saqqarah et de noter les divergences qui existent entre les signes identiques de cinq mastabas, pourtant contemporains. Ce serait plus évident encore, s’ils avaient sous les yeux une série de quelque ampleur.

          Un mémoire annexe est consacré, dans ce même volume, aux fouilles exécutées à Médinet Gorâb (Gurob) par L. Loat. Elles ont ramené au jour les ves­tiges d’une nécropole préhistorique, qui se trouve la plus septentrionale connue actuellement en Égypte. Jusqu’ici, il rallait remonter jusqu’à Sohag pour arriver à la première de la série géographique. Le cimetière historique a donné un certain nombre de poteries, scarabées, ouashbitiou de diverses époques (ΧVΙΙIe Dyn. à la période romaine). Mais les deux points saillants de ces fouilles sont la découverte d’un petit sanctuaire consacré au culte d’une statue de Tahoutmos III, et celle d’un cimetière d’animaux. Le quartier le plus curieux est celui qui était réservé aux poissons. Une nécropole de poissons n’est pas chose communément décrite en nos ouvrages. Aussi est-ce travail fort utile d’en avoir relevé méthodiquement le contenu (p. 4 sq.) et d’en avoir reproduit la physionomie caractéristique (pl. ΙΧ-Χ). Le gigantesque lates niloticus y est le poisson le plus souvent retrouvé. Certains spécimens atteignent cinq pieds et demi de longueur et devaient, vivants, peser 150 kilog. environ. Il faut remonter aujourd’hui en amont de Khartoum pour retrouver des latus de cette taille. Leur existence à Gorâb est intéressante ; elle confirme, en effet, l’exactitude absolue de certaines scènes de pêche memphites, où l’on aurait pu croire que le dessinateur avait singulièrement exagéré les dimensions réelles des poissons capturés (21).

           La chapelle de Tahoutmos III a fourni, de son côté, un certain nombre de stèles, dont les meilleures ont été reproduites aux pl. XV à ΧVΙΙΙ. La série se termine sur un monument isolé, trouvé dans le voisinage du cimetière des animaux. C’est une stèle mentionnant la constitution d’un wakf de cinquante aroures de terre, au profil d’Amοn-Ra thébain (pl. ΧΙΧ) par le premier pro­phète du dieu. L’acte est passé en présence de deux fonctionnaires de la pro­vince. Il est regrettable que la suite du texte soit perdue.

           Tel est le contenu de ce mémoire, un des plus substantiels qui aient paru. J’ai désiré en rendre compte avec quelque détail. C’est le premier d’une série nouvelle qu’entreprend l’Egyptian Research Account, et pour ce premier volume tout au moins, il fallait montrer à combien de questions importantes ou simplement très intéressantes il apportait sa contribution. On ne saurait trop le répéter ; ni pour l’histoire des institutions, ni pour celle des religions, nous ne pourrons rien faire de certain en Égypte tant que nous n’aurons pas en nombre suffisant les documents thinites et memphites. C’est, de ce côté qu’il faut avant tout porter l’effort de la publication des monuments. On ne saurait savoir assez de gré au professeur Petrie et à ses collaborateurs de l’avoir compris, et il faut souhaiter l’apparition très prochaine du second volume des Mas­tabas.

G[eorges] F[oucart]

(1) Arch. Survey of Egypt. The Mastaba οf Phtahhetep and Akhethetep at Saqqarah. London, Quaritch, 1900.

(2) Von Bissing, Die Mastaba des Gem-ni-Kai. Band Ι. Berlin, Duncker, 1905.

(3) La stèle de Sokar-kha-biou a été reproduite en héliogravure dans le Guide du Visiteur au Musée de Boulaq, p. 31. Aujourd’hui dans la salle Α du Musée du Caire, n° 16. Dans la même salle (n° 11 et 12) les montants de la stèle de Νofir­hotpou, séparés sans raison bien apparente du panneau central. Cf. Maspero, Guide du Visiteur au Musée du Caire, p. 18.

(4) Cf. Mariette, Mastabas, p. 127.

(5) Musée du Caire. Salle B. Partie Nord. Reproduit pour la première fois dans l’Αrchéologie de Maspero, p. 210 et depuis dans le Musée Égyptien, t. Ι, pl. 14.

(6) Maspero, Musée Égyptien, t. I, pl. 14, admettait d’abord cette provenance, et a ensuite exprimé l’opinion contraire dans son Guide du Visiteur au Musée du Caire (p. 20, n° 19 et p. 21, n° 35).

(7) Das Re-Heiligtum des Königs Ne-Woser-Re, t. Ι, p. 3, où le témoignage de Roubi est tout ce qui reste aujourd’hui des recherches de Mariette à Abousir.

(8) Mastabas, p. 125.

(9) Mastabas, Tombe D. 62, p. 351-356.

(10) La théorie en a été dégagée, pour la première fois à ma connaissance, par Maspero, le Musée égyptien, t. Ι. p. 23, à propos de la stèle de Nofirnotirou (ibid. pl. XXIV). On trouvera la reproduction de celle de Mirrouka au tome Ier de son Histoire, p. 253.

(11) Mastabas, p. 357. C’est en ce tombeau que Mariette trouva, mais irrémédia­blement pourris, tout un matériel funéraire en bois, barques, statues, etc. L’exis­tence de ce mobilier canonique était déjà établie, par ailleurs, pour les sépultures d’âge memphite. Son existence à Saqqarah même, à la Ve Dynastie, n’en était pas moins un argument assez précieux, dont il faut déplorer la disparition matérielle.

(12) Mastabas, p. 173.

(13) Petrie, Egyptian Decorative Art, p. 701 ff.

(14) Archæological Survey οf Egypt-Eight ; [sic] Memoir 1900. The tomb οf Phtahhetep, t. Ι, pl. XlX, ΧΧ, ΧΧa. Perrot, Histoire de l’Αrt, t. Ι, pl. ΧΙΙΙ, en a donné une très belle et très fidèle reproduction en couleurs.

(15) Mastabas, p. 373 à 385.

(16) Musée du Caire. Galerie d’honneur. Colonnade sud, n° 99 et colonnade nord nos 29 et 30.

(17) Voir par exemple Wilkinson, Manners and Customs, t. II, p. 90 à 92 et Mis­sion, t. V, p. 77 et planches en couleurs correspondantes (tombe d’Amânamhabi).

(18) Wilkinson, Manners and Customs, ΙΙ, 78.

(19) Wiedemann, Umschau, 1902, Ν° 51, 1002.

(20) G. Foucart, L’histoire de l’écriture égyptienne, etc. Revue archéologique, 1898, t. XXII, p. 20 ff.

(21) Cf., par exemple, Petrie, Medum, pl. ΧΙΙ.