Promis, Carlo: Le Antichità d’Aosta (Augusta Prœtoria Salassorum), con atlante di XIV tavole
(Torino, Stamperia Reale 1862)
Compte rendu par E. Aubert, Revue Archéologique 7, 1863-4, 2e série, p. 140-144
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Le Antichità d’Aosta (Augusta Prœtoria Salassorum), misurate, disegnate, illustrate da Carlo Promis, con atlante di XIV tavole. – Torino, 1862.


M. Charles Promis, professeur à l’Académie de Turin, vient de publier sous ce titre une étude savante et consciencieuse des monuments antiques qui couvrent le sol de la vallée d’Aoste. On ne saurait trop encourager les auteurs de semblables travaux, car, en élucidant les questions de détail, ils rendent les plus vrais services à la science et aplanissent ainsi la voie devant les écrivains qui tenteront un jour de résoudre les grands problèmes d’histoire générale.

L’ouvrage dont nous voulons entretenir les lecteurs de la Revue archéo­logique se compose d’un beau volume in-4° d’environ deux cents pages et d’un album de quatorze planches gravées sur cuivre et exécutées avec un soin et une précision remarquables.

En tête du volume, l’auteur a placé une inscription en l’honneur de Charles-Albert. Cette inscription est à la fois une dédicace et un hommage rendu à la mémoire de ce roi qui a su donner une si puissante impulsion aux travaux historiques commencés sous son règne.

M. Ch. Promis entre ensuite en matière, et dans un premier chapitre il énumère les ouvrages qui traitent de la vallée d’Aoste. Cette longue série de savants, de chroniqueurs ou de simples touristes a dû coûter de labo­rieuses recherches : elle commence à Dalmazzo Berardenco, né à Valoria, près Coni, en 1414, qui le premier a parcouru la vallée en relevant les inscriptions, et nous conduit jusqu’à nos jours. Nous trouvons-là les noms de plus de vingt auteurs, parmi lesquels nous avons reconnu Philibert Pingon, Samuel Guichenon, De Tillet, Jacopo Durandi et l’abbé Gazzera.

Le deuxième chapitre est consacré à l’histoire du val d’Aoste : c’est un exposé complet du système de l’auteur, qui prend les premiers habitants connus de la vallée à leur arrivée dans le pays et les conduit jusqu’à l’avé­nement de la maison de Savoie. Quelques-unes des opinions de M. Promis nous paraissent contestables et auraient besoin d’être appuyées par des preuves plus solides que celles offertes au lecteur ; mais une discussion approfondie nous entraînerait hors des limites assignées à cet article, et nous nous contenterons d’analyser la série des faits présentés.

Les Salasses, dit M. Promis, tribu de la nation des Taurisques « gens gallica, » quittent la contrée située entre le Danube et l’Adriatique et vien­nent se fixer dans la vallée de la Doire. Peu de temps après leur établisse­ment, ils deviennent indépendants, divisent leur territoire en cantons « pagi » selon la coutume des Gaulois, des Helvètes, des Germains, peuples de même origine, et forment un gouvernement fédératif. Ils vivent ainsi, pratiquant le culte druidique, cultivant leurs champs, exploitant les riches minières des Alpes, jusqu’au moment où ils se trouvent en contact avec la puissance romaine et entrent ainsi dans l’histoire.

Avant d’aborder la période vraiment historique de la vie des Salasses, M. Promis dit son mot à propos du passage des Alpes par Annibal, ques­tion vivement controversée, et adopte l’opinion de ceux qui fixent au mont Genèvre le col par lequel le célèbre Carthaginois a pénétré en Italie.

L’an 611 de Rome, Appius Claudius veut attaquer les montagnards ; les Salasses écrasent son armée et lui tuent dix mille hommes. Rome consulte les livres sibyllins, fournit une nouvelle armée au consul, qui prend une revanche éclatante et impose un traité aux habitants du val d’Aoste. Les Salasses vaincus, mais non soumis, ravagent la plaine ; Rome, pour les contenir, fonde la colonie d’Ivrée en 654.

Ici l’auteur entame une longue discussion pour prouver que la voie romaine a été construite après la victoire d’Appius Claudius, sous le tribunat de C. Gracchus, telle que nous la voyons aujourd’hui dans les restes nombreux qui ont résisté aux efforts du temps ; il établit que cette route a dû être faite en vertu d’un traité conclu par ce consul avec les Salasses ; que les Romains avaient un « Campum stativum » là où plus tard s’est élevée la cité d’Aoste ; que César prenait cette route par préférence à toute autre pour se rendre dans les Gaules, et que la vallée de la Doire était habituellement parcourue par les armées romaines. M. Promis se demande si Dion, lorsqu’il dit : « Valerius Messala domuit Salassos, » veut parler des Salasses des Alpes, et il arrive à cette conclusion que les « Salassos » cités par Dion étaient une tribu habitant les montagnes de l’Illyrie et la souche primitive de la peuplade des Alpes. Enfin, les troubles incessants qui signalèrent les dernières années de la République poussent les peuples opprimés à secouer le joug romain. Les Salasses courent aux armes et essayent de briser leurs chaînes. Térentius Varro Muréna, envoyé par Auguste, pénètre dans la vallée de la Doire, enlève la population virile, la fait vendre sous la haste à Ivrée, et accomplit ainsi la soumission définitive du pays.

Cette dernière campagne est présentée de façon à fournir un nouvel argument à l’appui de la pensée dominante du livre, c’est-à-dire l’ouver­ture de la voie sous le tribunat de C. Gracchus. Nous ne pouvons pas accepter complétement ce système absolu, et malgré notre désir d’éviter toute controverse, nous sommes forcé de dire que dans un pays sans cesse en lutte contre la domination étrangère, il est impossible d’admettre que le premier acte des habitants n’ait pas été de détruire la voie et de couper les ponts : il en résulte que les monuments subsistant encore aujourd’hui, sans laisser apercevoir la moindre trace de reprise dans la maçonnerie, ne peuvent pas appartenir à une époque antérieure au jour de la conquête définitive. Nous ajoutons qu’en comparant les travaux de la voie aux édi­fices de la cité, – et ceux-ci appartiennent sans conteste au règne d’Au­guste, – nous les trouvons tellement semblables quant aux procédés de construction, que l’hésitation ne nous paraît pas permise.

Sous l’Empire, la vallée d’Aoste fit toujours partie des provinces gauloises ; elle suivit la fortune des pays des Alpes jusqu’à la défaite des Lombards, qui la cédèrent à Gontran, roi d’Orléans, avec les vallées de Suse et de Lanzo, puis elle passa successivement sous la domination des Carlovingiens et des rois de Bourgogne transjurane pour devenir enfin le plus beau fleuron de la couronne d’Humbert aux Blanches mains, le chef de la dynastie de Savoie. La langue française, dont l’usage s’est conservé intact dans le val d’Aoste, prouve l’origine gauloise des habitants et dé­montrerait, à défaut de l’histoire, qu’ils ont bien longtemps vécu sous le sceptre des rois de France.

Dans le troisième chapitre, M. Promis transcrit les quarante-deux inscriptions romaines et les trois pierres tombales chrétiennes trouvées dans la vallée. L’auteur ne se contente pas de rappeler celles qu’il a vues et relevées lui-même, il a étudié tous les écrivains qui se sont occupés d’épi­graphie, et il a rassemblé toutes les inscriptions qui existaient au moment où les chroniqueurs ont commencé à parler du val d’Aoste. M. Promis analyse chacune de ces pierres avec sagacité, et restitue celles qui sont incomplètes. Ce chapitre est terminé par la liste des familles auxquelles appartenaient les personnages dont les inscriptions nous donnent les noms et qui, selon toute apparence, étaient venus se fixer dans la vallée en même temps que la colonie prétorienne ou peu après.

Le quatrième chapitre fait connaître au lecteur les tablettes votives du grand Saint-Bernard, au nombre de trente et une. L’auteur les a étudiées avec le même soin et le même scrupule que les inscriptions lapidaires ; il les explique, les traduit, les restitue avec l’autorité que lui donnent ses longues recherches, et les divise en tablettes gravées au burin, frappées au marteau, ou ponctuées à jour, tirant de chacune de ces manières de fabriquer des conclusions judicieuses sur l’époque à laquelle ces monu­ments ont été exécutés. M. Promis donne ici une nouvelle preuve de sa modeste impartialité en citant les noms de tous ceux qui ont publié quel­ques-unes des tablettes votives du Saint-Bernard. Le quatrième chapitre est clos par une nomenclature complète de tous les fabricants de briques, tuiles, vases et lampes en terre cuite retrouvés sur le territoire d’Aoste.

Le cinquième chapitre contient l’étude de la voie romaine qui reliait Ivrée à Aoste, et là, se divisant en deux branches, conduisait à l’ouest dans le pays des Ceutrons par le petit Saint-Bernard, et au nord dans la vallée du Rhône par le grand Saint-Bernard. Après avoir dit quelques mots sur la colonie romaine d’Ivrée et sur les restes d’antiquités qu’il y a décou­verts, l’auteur reprend le thème développé déjà dans le second chapitre, et multiplie les arguments pour prouver que la voie remonte à l’époque des Gracques ; puis il passe à la description des monuments restés debout. Il nous fait voir tour à tour le pont de Saint-Martin, le passage taillé au·travers des rochers de Donnas, les ponts de Saint-Vincent, de Châtillon, d’Aoste, de Liverogne, les murailles de soutènement, les substructions du petit Saint·Bernard, et les restes du plan de Jupiter au grand Saint-Bernard, enfin tous les débris que son œil exercé a su retrouver, et qu’il a mesurés et dessinés avec une conscience et un talent auxquels nous nous plaisons à rendre un juste hommage. M. Promis donne les plus grands détails sur les appareils de construction, sur les matériaux employés, et nous ne nous étonnons que d’une chose, c’est qu’après une étude aussi sérieuse et ’aussi approfondie, le savant architecte ait persisté à vouloir vieillir d’un siècle cette voie vraiment monumentale.

Dans les chapitres VI, VII, VIII, IX, X et XI, l’auteur passe en revue les ruines splendides des édifices de la cité d’Aoste, sans oublier les moindres fragments de mosaïque ou de pavage, en indiquant jusqu’au plus mince débris de muraille ou d’égout. Voici d’abord le plan de la ville avec son enceinte si bien conservée de remparts romains munis de leurs tours et de leurs bastions. Viennent ensuite : la porte, dite Prétorienne, avec son double rang d’arcades et sa place d’armes, les magasins militaires, les substructions de temples, le théâtre, l’amphithéâtre et l’arc de triomphe. Ces chapitres, traités avec la plus scrupuleuse érudition et accompagnés de planches exécutées de main de maître, offrent au lecteur un vif et sérieux intérêt. Avouons cependant que nous sommes contraire à l’usage des restitutions, et sans vouloir contester à M. Promis la vraisemblance de ses ingénieuses reconstructions des magasins militaires avec les temples ren­fermés dans leur enceinte, et de la porte dite Prétorienne, ajoutons que nous redoutons toujours d’être forcé d’attribuer à l’imagination la plus grande part dans un pareil travail.

Le douzième et dernier chapitre est consacré à un édifice romain con­struit à l’entrée du val de Cogne, à deux kilomètres du point où le torrent qui parcourt cette vallée se jette dans la Doire. L’auteur, se fondant sur l’existence d’une galerie établie à l’intérieur, dans toute la longueur du monument, ne veut voir dans cette construction qu’un pont à double voie. Les savants du pays sont persuadés que c’était là un aqueduc élevé par deux simples particuliers, propriétaires des campagnes voisines, pour fournir à leurs terres les eaux nécessaires à l’irrigation ; cet aqueduc, suivant leur hypothèse, aurait servi en même temps de passerelle pour l’utilité des habitants des deux rives du torrent, grâce à la galerie dont nous avons parlé. La découverte faite il y a peu d’années des débris d’un canal construit dans la montagne qui borde le val de Cogne au midi, et dirigé évidemment vers le pont, semble justifier cette supposition, corro­borée à notre avis, par le peu de largeur du passage (1m, 058 entre les pa­rapets). En dépit des arguments si habilement groupés par M. Promis pour soutenir sa thèse, nous partageons entièrement l’opinion des archéologues valdôtains. Au-dessus de la clef de voûte, sur la façade qui regarde le nord, on lit une magnifique inscription qui donne la date du monument et les noms des fondateurs. Ces deux noms « Aimus et Avilius » sont par­venus jusqu’à nos jours à travers les siècles écoulés ; car le village et les terres que l’aqueduc devait arroser sont appelés la commune et le village d’Aymavilles.

Si nous avons analysé un peu longuement l’œuvre de M. Promis, c’est que nous la considérons comme l’une des monographies les plus impor­tantes qui aient été publiées depuis longtemps sur les antiquités des vallées des Alpes. Malgré nos réserves, ce livre est le fruit d’intelligentes et labo­rieuses études ; sa place est marquée dans la bibliothèque de tous ceux qui s’occupent d’histoire, d’archéologie et d’architecture.

E. Aubert