Louandre, Ch.: Les Arts somptuaires, histoire du costume et de l’ameublement, des arts et des industries qui s’y rattachent. 4 vol. in-4, dont 2 de gravures en couleur
(Paris, Hangar­-Maugé )
Compte rendu par Alphonse Feillet, Revue Archéologique 7, 1863-4, 2e série, p. 276-279
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Les Arts somptuaires, histoire du costume et de l’ameublement, des arts et des industries qui s’y rattachent, par M. Ch. Louandre. 4 vol. in-4, dont 2 de gravures en couleur. – Médaille de première classe à l’Exposition universelle. – Hangar­-Maugé, éditeur, 5, rue Honoré-Chevalier.


Au milieu des diverses recherches que les études archéologiques sus­citent avec tant de succès depuis un certain nombre d’années, le costume et l’ameublement étaient réellement négligés, lorsqu’un dessinateur français, M. Ferdinand Seré, entreprit de réparer cet oubli, de combler cette lacune. Enlevé prématurément, à l’âge de trente-sept ans, au moment où il venait enfin d’établir son nom dans un bon rang par une série de publi­cations les·plus splendides de l’archéologie pittoresque, le Livre des Métiers, in-4 ; le Moyen âge et la Renaissance, publié avec le concours du bibliophile Jacob. 5 vol. in-4, M. F. Seré a laissé inachevée son Histoire du costume et de l’ameublement. M. Louandre, dont l’érudition est aussi variée que sûre, est venu reprendre la tâche et la conduire heureusement à terme, sous le titre de les Arts somptuaires (1). M. Louandre nous a semblé mieux résoudre le problème que la plupart de ses devanciers : les uns, comme Maillot, Recherches sur les costumes, 1804, 3 vol. in-4., avaient vieilli et n’étaient plus dans le courant des idées actuelles, ni au niveau des découvertes récentes ; d’autres, excellents comme Viollet Le Duc, dans son Dictionnaire raisonné du mobilier français, depuis les Carlovingiens jusqu’à la Renaissance, 1855, ou comme Bonnard, Costumes des XIIIe, XIVe et XVe siècles, etc., réédité tout récemment par M. Ch. Blanc, 3 vol. in-4, s’étaient circonscrits et cantonnés dans certaines époques déterminées, et n’embrassaient pas l’ensemble des arts somptuaires. Faut-il parler de ceux qui se bornaient à reproduire des personnages isolés et qui souvent même, au lieu de donner les types tels qu’ils nous ont été conservés par le moyen âge (essentiellement réaliste dans les détails, on le sait) sur les monuments ou dans les manuscrits, ont composé des figures de fantaisie, qui n’avaient d’historique que le nom dont on les étiquetait, presque toujours au hasard ? Une autre lacune se trouvait encore trop fréquente : dans l’histoire de l’art comme dans l’histoire politique, et particulièrement au point de vue de l’ameublement, on ne s’occupait que des grands et des rois ; on analysait les inventaires royaux et princiers, et on négligeait les gens de moyen état, de position intermédiaire, le bourgeois ; et cependant, pour avoir de précieux et curieux renseignements sur les habitudes domestiques de nos ancêtres, on n’avait qu’à ouvrir les donations par testaments qui se trouvent en si grand nombre dans toutes les archives hospitalières, et par­ticulièrement dans celles de l’assistance publique de Paris, archives dont l’habile directeur général, M. Armand Husson, fait en ce moment dresser l’inventaire. M. Charles Louandre a voulu faire œuvre d’érudit sérieux, un livre que l’artiste, l’historien, l’homme de lettres et souvent même l’archéologue pût consulter avec sécurité et profit : dans l’Introduction générale ou dans les Notes explicatives des figures, il ne s’appuie que sur des textes authentiques ; c’est une mosaïque d’érudition, si nous pouvons nous exprimer ainsi, rehaussée encore par l’habile et intéressante mise en œuvre.

Pour les trois cent vingt-quatre miniatures en couleur tirées à part et qui représentent plus de cinq mille costumes, meubles, armes et objets divers, M. Ciappori a donné un décalque fidèle des miniatures, des tableaux, des vitraux du moyen âge ou la représentation rigou­reuse des différents objets conservés dans nos musées nationaux ou les collections les plus célèbres, et il a toujours eu soin, pour favoriser les recherches des travailleurs, d’indiquer la date et la provenance de chaque objet. Le récit de l’histoire du costume est plein d’intérêt : quelles piquantes leçons Charlemagne et saint Louis don­nent, à propos d’habillements, à leurs courtisans prodigues, leçons qui valaient mieux que les lois somptuaires de. Philippe IV et de Louis XIV (p. 67 et 157). A propos de la barbe et de la chevelure, le poëme que le moine Hucbald composa, sous le règne de Charles le Chauve, en l’honneur des têtes dénudées, montre que l’art du courtisan est éternel ; ce n’était pas seulement à Alexandrie (chevelure de Bérénice) que les poëtes savaient vanter des cheveux absents (p. 74). S’il est un sceptre que la noblesse française a toujours été jalouse de tenir haut et ferme, c’est celui de la mode ; qu’on lise (p. 224) la description de l’habit du beau Bassompierre, on verra que s’il le cède, c’est de bien peu, au fameux costume que « l’entrepreneur de la misère publique, » Buckingham, vint étaler à tous les yeux charmés dans les bals d’Anne d’Autriche, M. Louan­dre finit l’histoire de la mode et du costume en France par les longues conférences de Marie-Antoinette et de la célèbre couturière-modiste, ma­demoiselle Bertin, conférences qui « eurent, d’après les mémoires de madame de Campan, des résultats funestes pour Sa Majesté ; » en répan­dant de proche en proche, dans toutes les classes, le goût pour les futilités de la coquetterie féminine, elles donnèrent naissance au bruit public « que la reine ruinerait toutes les dames françaises, » et furent une des causes de la désaffection générale qui poursuivit Marie-Antoinette aux approches de la révolution française.

C’est par cet art que M. Louandre ranime les siècles écoulés en mettant les hommes et les femmes du passé dans le milieu même où ils ont vécu, et offre par son texte et ses dessins un intéressant panorama où repa­raissent les personnages, les villes, les églises, les châteaux, les apparte­ments. Nous aurions cependant désiré que la partie de l’ameublement fût traitée avec une étendue égale à celle que M. Ch. Louandre a si juste­ment donnée au costume et dont l’historique est des plus complets. Nous ferons encore à M. Louandre une p[e]tite chicane à propos du secrétaire d’État de Richelieu, Sublet de Noyers, qu’il met au nombre des protecteurs de l’art. Peut-on réellement accorder ce titre à l’homme d’État qui, conseillé par une fausse pudeur, détruisit plusieurs chefs-d’œuvre trop nus, et entre autres la fameuse Léda, de Michel-Ange ? Nous aurions au moins voulu une réserve contre ce zèle iconoclaste. Cette légère dissidence, on le comprend, n’ôte rien à l’estime sérieuse que nous professons pour le beau et important travail de M. Louandre, qui a justement été récom­pensé d’une médaille de première classe à l’Exposition universelle.

Alphonse Feillet

 

(1) Rendons exactement à chacun ce qui lui est dû : M. Seré avait réuni avant sa mort soixante-trois planches ; les autres planches furent choisis par M. Louandre, qui a écrit le texte tout entier ; M. Ciappori a dessiné toutes les planches, sauf les soixante-trois premières ; à M. Hangar Maugé reviennent l’impression et l’exécution lithochromique faites avec soin et talent.