Weill, Raymond: Recueil des inscriptions égyptiennes du Sinaï. Bibliographie, texte, traduction et commentaire, précédé de la géographie, de l’histoire et de la bibliographie des établissements égyptiens de la péninsule.
(Paris, Société nouvelle de librairie 1904)
Compte rendu par Alexandre Moret, Revue Archéologique t. 7 (4e série), 1906-1, p. 217-219
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Raymond Weill. Recueil des inscriptions égyptiennes du Sinaï. Bibliographie, texte, traduction et commentaire, précédé de la géographie, de l’histoire et de la bibliographie des établissements égyptiens de la péninsule. Paris, Société nouvelle de librairie, 1904.


          Le titre de l’ouvrage de M. Weill, que j’ai transcrit tout au long, définit le caractère très complet de son étude. L’auteur nous a donné une édition critique des nombreux textes dispersés auparavant dans les publications de Lepsius, de Lottin de Laval et Ordnance Survey of the Peninsula of Sinaï, pour ne citer que les plus importantes. Il y a ajouté le fruit de ses recherches dans les dossiers incomplètement publiés que recelaient les archives du British Museum, dossiers égarés en partie et qui n’ont été retrouvés que sur ses instances (cf. Revue archéologique, 1903, II, p. 1). M. Weill a pu ainsi reconstituer l’histoire complète des établissements miniers des Pharaons au Sinaï, après avoir étudié la composition géologique du sol et son histoire géographique.

          Les Pharaons ont exploité au Sinaï des mines situées dans la vallée de Ouady Magharah et sur le plateau du Sarbout el Khadim. Ce qu’ils y allaient chercher, c’est le mafkaï, autrement dit les minéraux colorés en vert (comme l’émeraude, le malachite [sic], la turquoise, le vert des montagnes), où le carbonate de cuivre donne la couleur recherchée. La turquoise et l’émeraude n’étaient pas seulement utilisées comme pierres précieuses, mais servaient, broyées, à la fabrication des émaux verts et des couleurs dont les Égyptiens faisaient un emploi si abondant pour la décoration des édifices, pour l’orfèvrerie et l’art industriel. L’exploitation minière se faisait en galeries souterraines, mais l’emplacement des mines est jusqu’à présent mal connu ; les noms des mines et les détails d’exploitation ne nous sont révélés que par les bas-reliefs royaux, les stèles particulières et les inscriptions commémoratives.

          Les inscriptions et les tableaux rupestres nous apprennent que l’exploitation des mines par les pharaons commence à Magharah dès les dynasties dites préhistoriques. On savait depuis 1894, par un article de G. Bénédite, que Zosiri, de la IIIe dyn., avait gravé son nom à Magharah ; M. Weill a eu le mérite de découvrir dans les estampages du British Museum un bas-relief de Semerkha, le pharaon connu par les cylindres et les vases archaïques d’Abydos et identifié avec un roi de la Ire dyn. Traditionnelle ; de plus un nouveau bas-relief de Snofrouï a été signalé à M. Weill par Borchardt ; d’autres tableaux archaïques anonymes, retrouvés en estampages, ont permis à l’auteur d’augmenter encore le nombre des documents de cette histoire primitive. Les souverains de l’époque memphite, jusqu’à Papi II, ont laissé plusieurs bas-reliefs et les chefs de mission, de nombreuses listes d’officiers chargés d’encadrer les corps de travailleurs. Il ne semble pas qu’il y ait eu jamais au Sinaï d’exploitation permanente des mines ; de temps à autre une expédition était envoyée pour quérir les matériaux nécessaires à la décoration des édifices égyptiens, et spécialement quand il s’agissait d’élever au roi régnant le temple de la fête Sed, pendant laquelle il subissait un renouvellement de son couronnement et une adoration solennelle. A partir de la XIIe dynastie les monuments de Magharah sont des inscriptions rupestres grossières, dont le nombre va en diminuant, si bien que le dernier texte certain date de l’an 16 du règne commun d’Hâtshopsitou et de Thoutmès III. Il y aurait cependant, d’après Ebers, une inscription de Ramsès II à Magharah ; mais le témoignage d’Ebers est unique et n’est pas appuyé d’une copie. L’exploitation semble avoir cessé dans la suite. Au fur et à mesure que les mines de Magharah sont délaissées, celles du Sarbout el Khadim, inaugurées seulement sous Amenemhâït (XIIe dyn.), reçoivent les expéditions royales. Un temple d’Hâthor y est fondé par Amenemhâït III ; sous le Nouvel Empire il reçoit des accroissements importants; de Thoutmès III jusqu’au milieu de la XXe dynastie les stèles et les débris de temple se multiplient. Puis, après Ramsès IV, les monuments datés font défaut.

          Les différents textes traduits par M. Weill contiennent d’importants détails sur l’organisation des missions temporaires qui allaient aux mines du Sinaï. Pendant quelques semaines l’arrivée des mineurs mettait dans ces vallées une activité intense ; la durée d’une campagne n’excédait pas deux ou trois mois. Suivant le nombre des hommes (il peut varier de 20 à plus de 700 personnes), suivant la quantité de mafkaï qu’il fallait rapporter, on exigeait pour chaque chantier un rendement par jour plus ou moins considérable ; un des textes rapporte qu’une équipe de 15 hommes rapportait environ 6 litres par jour du minerai précieux. Les chefs de mission se vantent avec complaisance quand ils ont mené rapidement et sans perte d’homme leur besogne à bien sous ce climat meurtrier. Parfois des détails sont donnés sur la division des missions en corps techique [sic] et corps administratif entre lesquelles il semble que des rivalités naissaient parfois (p. 47) ; à l’occasion, tel chef de mission nous fait connaître le chiffre des approvisionnements qu’il avait dû constituer pour ravitailler ses hommes.

          Le Sinaï devait aussi fournir quelques renseignements géographiques importants. M. Weill a donné une attention spéciale aux noms qui désignent la contrée, « les Échelles du Mafkaï », le pays d’ « Orient » ; il note, au Sarbout sous la XIIe dynastie, le nom de Sati (Asie), et le titre « régent du Lotanou », qui apparaît par ailleurs dans des documents de même époque (stèle d’Ousirtasen III ap. Garstang, El Arabah, pl. 4, et Pap. de Berlin, n° I, l. 30, 142). Ce nom de Lotanou semble dans l’exemple cité (n° 75) s’appliquer à un chef de la péninsule sinaïtique ; le Lotanou aurait donc une extension plus grande que celle qu’on lui avait assignée d’abord, en le confinant à la marche syro-égyptienne. 

          Ce bref résumé montre quel est l’intérêt historique, en même temps que l’utilité spéciale, de la monographie de M. Weill. Il faut ajouter que l’auteur a traité son sujet avec une rigueur de méthode, une sûreté d’investigation et une précision de détails vraiment remarquables. Il a montré par son exemple qu’on peut faire des fouilles fructueuses et trouver de l’inédit non pas seulement en allant sur place, mais aussi en compulsant les archives des expéditions scientifiques où bien des matériaux restent inutilisés par les premiers pionniers. Le Recueil de M. Weill, en dehors même des importants commentaires de l’auteur, donne aux égyptologues une collection fidèle et complète (jusqu’à l’heure actuelle) de textes spéciaux, se rapportant à un sujet bien défini et riches en termes techniques. Grâce aux textes corrects, aux reproductions exactes et à la bibliographie savante que nous devons à l’auteur, l’étude de ces documents sera très grandement facilitée à ceux qui entreprendront la tâche d’élucider quelques titres administratifs encore mal définis et quelques-uns des problèmes variés que l’auteur a posés avec clarté et précision.

                                               A[lexandre] M[oret]