Audollent, A.: Carthage romaine. 1 vol. in-8 de xxxii-850 pages.
(Paris, Fontemoing 1901-1904)
Compte rendu par Paul Monceaux, Revue Archéologique t. 6 (4e série), 1905-2, p. 172-174
Site officiel de la Revue archéologique
Lien avec l'édition numérique de ce livre
 
Nombre de mots : 1162 mots
 
Citation de la version en ligne : Les comptes rendus HISTARA.
Lien : http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=1328
 
 

A. Audollent. Carthage romaine. — 1 vol. in-8 de xxxii-850 pages ; Paris, Fontemoing, 1901-1904.


       La résurrection partielle de Carthage est l’une des conquêtes les plus importantes de l’archéologie contemporaine. Jadis, l’on se contentait de répéter mélancoliquement avec le poète ; etiam periere ruinae. Les temps ont changé ; et M. Audollent vient de publier sur Carthage un livre gros de 850 pages, bourré de faits. Chaque année, depuis un quart de siècle, l’antique cité nous a révélé quelqu’un de ses secrets. Non seulement ses nécropoles, puniques ou romaines, juive ou chrétiennes, qui sont une mine vraiment inépuisable ; mais des ruines de tout genre, ruines de maisons, de temples, de théâtres, de thermes, de basiliques, de chapelles, d’ateliers, même une partie du réseau des rues et des égouts, sans parler des innombrables sculptures, mosaïques, fresques, monnaies, ivoires, terres-cuites ou inscriptions. Les découvertes se sont multipliées si vite et sur tant de points, qu’il est devenu difficile de s’y orienter. En même temps qu’on fouillait le sol, on étudiait la riche littérature latine du pays, et l’on y relevait bien des indications intéressantes. Le moment était venu de tenter une synthèse, dans un de ces ouvrages d’ensemble qui enregistrent les faits acquis, et qui préparent les progrès à venir en marquant une étape, un point de départ pour les recherches futures. C’est cette synthèse qu’a entreprise M. Audollent.

          Il a laissé de côté la Carthage punique, dont l’étude fournirait la matière d’un autre volume et exigerait d’ailleurs une autre méthode, en raison de la rareté relative des sources littéraires ou historiques. Il a concentré son effort sur la Carthage romaine, dont il suit les destins jusque sous l’occupation vandale et la domination byzantine. Il commence à la prise de Carthage par les

Romains en 146 avant l’ère chrétienne, et ne s’arrête qu’en l’année 698 de notre ère, à la prise de Carthage par les Arabes. Huit siècles et demi d’histoire, et d’une histoire très remplie, moins par des événements politiques que par la vie intense d’une grande capitale de province, vie commerciale, industrielle, administrative, mondaine, littéraire, artistique, religieuse ; tel est le cadre du livre de M. Audollent, et l’on avouera qu’il fallait être brave pour s’attaquer à un pareil sujet. 

          L’auteur s’est armé de toutes pièces. Sans négliger les travaux antérieurs, il a réussi à tout voir par lui-même ; résultats des fouilles, ruines, tranchées et sondages, vitrines du Musée Lavigerie, inscriptions, textes anciens. Il a étudié sur place tout ce qui subsiste à Carthage, tout ce qui est sorti du sol ; il a lu tout ce qui s’est écrit là-dessus. On ne saurait trop louer la précision, la curiosité intelligente et la patience jamais lasse qu’il a apportées dans la recherche des matériaux.

          De cette enquête approfondie, il a tiré un livre d’histoire. Avant tout, il indique ses sources, dans un riche répertoire bibliographique. Puis, dans une intéressante Introduction, il passe en revue les recherches antérieures sur la topographie de la ville antique. L’ouvrage comprend sept livres. Le premier résume ce que nous savons sur l’histoire proprement dite de la Carthage romaine, vandale ou byzantine. Le second livre est consacré à l’étude topographique ; d’abord, les alentours de la cité ; puis, la ville basse, la ville haute, les localités incertaines. Dans le livre III, l’auteur a réuni les renseignements que nous possédons sur l’organisation municipale, sur les fonctionnaires impériaux qui résidaient à Carthage, sur l’armée, la marine et le commerce. Dans le livre IV, il trace le tableau des religions païennes dont nous constatons l’existence dans la capitale de l’Afrique latine ; cultes de Caelestis, de la Cérès africaine, de Saturne, d’Esculape, de Sérapis, de la Victoire, culte impérial, usages religieux et superstitions. Dans le livre V, il marque les étapes du christianisme à Carthage ; origines, premiers martyrs, épiscopat de Cyprien, donatisme, destinées de l’Eglise sous les Vandales et les Byzantins, hiérarchie catholique et organisation du culte. Le livre VI traite des beaux-arts : architecture et peinture, sculpture, mosaïque, arts industriels. Le livre VII, de la littérature ; esprit public, société lettrée, langue, auteurs païens, auteurs chrétiens, poètes de l’époque vandale. Dans un long Appendice, qui sera fort utile, sont reproduits les textes anciens ou modernes qui se rapportent à la topographie ou aux ruines de Carthage. Comme l’ouvrage est resté longtemps sur le métier et que les découvertes se multipliaient dans l’intervalle, quinze pages d’additions et corrections suivent la table des matières. Au volume sont joints deux plans de Carthage.

          On voit comme ce livre est riche de faits et varié. L’enquête est partout méthodique, toujours menée à coups de textes et de documents. Naturellement, l’on pourrait discuter bien des détails, notamment plusieurs des hypothèses relatives à la topographie. Mais l’on ne réussit guère à prendre l’auteur en défaut.

          Les résultats de l’enquête sont fort inégaux. Pour certaines parties, comme le christianisme, les documents abondent, et M. Audollent a pu tracer de larges tableaux d’histoire. Pour d’autres sections, comme la topographie ou les beaux-arts, les données précises sont plus rares ou sans lien entre elles, et l’étude tourne à la nomenclature ou au catalogue. Ce n’est pas la faute de l’auteur, mais du sujet ou plutôt des sources.

          Le seul tort de M. Audollent, c’est peut-être d’avoir choisi un sujet trop vaste. Il a voulu étudier sous tous ses aspects la Carthage romaine : huit siècles d’histoire politique, administrative, commerciale, religieuse, artistique, littéraire. En face d’un tel programme et d’une telle abondance de documents, on aura beau multiplier les pages ; on n’arrivera point, sur toute chose, à dire tout l’essentiel. L’inconvénient est visible dans les livres sur le christianisme et la littérature, où l’enquête, si étendue qu’elle soit, devait être fatalement ncomplète [sic].

          L’auteur a vu le danger, et la difficulté qu’il y avait à délimiter un sujet ainsi compris ; « Trop dire ou rester incomplet, avoue-t-il dans son Avant-Propos, voilà les deux écueils à craindre dans un travail comme celui-ci. Je me suis efforcé de cheminer à égale distance de l’un et de l’autre, sans pourtant me flatter de n’avoir jamais dévié. » En effet, il ne semble pas que M. Audollent ait toujours réussi à éviter les deux écueils. C’est que Carthage n’était pas un municipe ou une colonie comme les autres ; c’était la capitale de l’Afrique romaine, le foyer d’une vie provinciale intense. Bien des événements qui se sont déroulés à Carthage, intéressent surtout l’histoire générale de la contrée. Il y avait donc quelque chose d’artificiel et de contradictoire dans la conception d’une monographie, où l’on essaierait de reconstituer toute l’histoire de la capitale, et où cependant l’on isolerait la capitale du reste de l’Afrique : c’est comme si l’on prétendait enfermer dans Paris toute l’histoire de la monarchie française ou de la Révolution. Mieux eût valu s’en tenir à l’étude topographique et purement municipale. M. Audollent ne s’y est pas résigné ; il a voulu dire tout ce qu’on savait sur Carthage. Il a péché par excès de conscience ; c’est un défaut peut-être, mais un généreux défaut. Et tous ceux qui travaillent à restaurer l’histoire de l’Afrique romaine, lui seront reconnaissants d’avoir pris pour eux tant de peine.

                                                       P[aul] M[onceaux]