Foucher, A.: L’art gréco-bouddhique du Gandhâra. Étude sur les origines de l’influence classique dans l’art bouddhique de l’Inde et de l’Extrême-Orient. Tome I. Introduction. Les édifices. Les bas-reliefs. Gr. in-8°, 639 p. avec 300 gravures dans le texte, une héliogravure et une carte.
(Paris, Leroux 1905)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 6 (4e série), 1905-2, p. 369-371
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A. Foucher. L’art gréco-boudhique [sic] du Gandhâra. Étude sur les origines de l’influence classique dans l’art boudhique [sic] de l’Inde et de l’Extrême-Orient. Tome I. Introduction. Les édifices. Les bas-reliefs. Paris, Leroux, 1905. Gr. in-8°, 639 p. avec 300 gravures dans le texte, une héliogravure et une carte.


          Le Gandhâra est l’ancien nom du district de Pêshawar, sur la frontière nord-ouest de l’Inde, qui a fourni la plupart des monuments dits gréco-bouddhiques. M. Foucher les a étudiés sur place, ainsi que dans les musées de l’Inde, de Londres et de Berlin depuis bientôt dix ans. Le volume, richement illustré, qui présente les résultats de son enquête, est d’une importance capitale pour l’histoire de la diffusion de l’art classique ; il intéresse également la tradition religieuse de l’Inde, qui a emprunté à l’art occidental les éléments de ses formules graphiques, mais s’en est servi pour figurer des sujets strictement indous. » L’originalité et l’intérêt de ces œuvres singulières consistent justement dans cette union intime du génie antique et de l’âme orientale, dans cette sorte de fusion de la légende bouddhique coulée à même les moules importés d’Occident » (p. 2). L’archéologue au fait de l’art grec constate aisément les ressemblances extérieures (1) ; l’indianiste seul peut aller au delà et interpréter, à l’aide des textes bouddhiques, le sens intime des sculptures du Gandhârâ [sic]. Il en est d’elles comme d’une bonne partie de celles de la Gaule romaine, qui expriment des idées purement celtiques, mais avec des motifs plastiques dérivés du grec.

          L’édifice bouddhique par excellence est le stûpa ou tumulus sacré, à la fois ou successivement tombeau, chapelle à reliques et sanctuaire. « Nous possédons des spécimens réels ou figurés qui nous permettent de suivre révolution du stûpa depuis la simplicité des vieux dômes en forme de bulbe jusqu’aux complications du style le plus flamboyant... Le soubassement et le couronnement augmentent parallèlement d’importance aux dépens du dôme qui constituait primitivement tout l’édifice » (p. 64). « Comme il y avait des stûpa de toutes dimensions, on en faisait aussi de toutes matières, les plus rares comme les plus communes, depuis la glaise jusqu’à la bouse de vache, en passant par l’or » (p. 81). Cette matière précieuse a été notamment employée pour la fabrication de petits reliquaires en forme de stûpa.

          Le vihâra est la maison d’un religieux ou celle d’une idole, une habitation privée ou un temple ; c’est « l’unité architecturale dont la répétition et la disposition en forme de cours, de cellules ou de chapelles constituent le sanghârâma ou monastère » (p. 100). On trouve dans les vihâra des portes trapézoïdales, des portes et des fenêtres voûtées, des baies ogivales bien caractérisées. « Il va de soi que la ressemblance apparente entre leur double arc brisé et l’ogive de nos cathédrales est purement accidentelle et la résultante forcée de leur système de construction. Il n’y a pas davantage de conséquences à tirer du fait que ce système est incontestablement celui de l’arche dite pélasgique, à Mycènes et ailleurs » (p. 110). D’accord !

          Un établissement bouddhique complet comprend un stûpa et un sanghârâma, c’est-à-dire un assemblage de cellules et de chambres ; à côté du monument sacré, servant de tombe, de reliquaire, de monument commémoratif ou de simple ex-voto, doit s’élever la résidence pour les desservants du culte. S’il existe quelques stûpa solitaires, il n’y a pas de monastère sans stûpas [sic] (p. 146).

          Les sculptures qui décoraient les stûpa et les vihâra étaient les unes en pierre, les autres en chaux ; il y avait même des statues en chaux de grandeur colossale. Toute cette sculpture était d’ailleurs polychrome, rehaussée non seulement de couleurs, mais de dorure ; les statues de Bouddha étaient souvent entièrement dorées.

          Alors que M. Foucher considère l’architecture des édifices comme foncièrement indienne, il concède que leur décoration est d’inspiration iranienne et grecque (p. 200). Dans la deuxième partie de son travail, il étudie les bas-reliefs, tant au point de vue de leur style composite qu’à celui de la légende sacrée dont on peut y reconnaître les épisodes, nativité et enfance du Bodhisattva, transformation en Bouddha, apostolat, mort et funérailles de ce saint personnage. Il termine par des pages intéressantes sur la technique et la composition des bas-reliefs, leurs relations avec la tradition bouddhique (sur laquelle ils ont influé à leur tour) et leur chronologie relative. Quant à la chronologie absolue, M. Foucher se montre très prudent ; tout au plus laisse-t-il deviner qu’il place l’évolution de cet art entre l’ère chrétienne et l’an 500 ap. J.-C. (p. 41-42). S’il en est ainsi, ce n’est pas d’art gréco-bouddhique, mais d’art romano-bouddhique ou peut-être syro-bouddhique qu’il faudrait parler. Parmi les nombreuses sculptures reproduites par M. Foucher, je n’en vois pas une, pour ma part, dont le prototype soit nécessairement antérieur à l’ère chrétienne (1) et je considère comme des illusions les analogies qu’il signale (p. 214, 222) avec des œuvres de l’ancien art assyrien.

          Dans son explication des bas-reliefs, souvent fragmentés ou indistincts, par la littérature religieuse du bouddhisme, l’auteur a fait preuve d’une vaste érudition et d’une ingéniosité qui n’est pas moins admirable. Nous lui devons un ouvrage de premier ordre ; s’il s’en dégage parfois des impressions différentes des siennes, c’est toujours à M. Foucher que reviendra l’honneur d’avoir mis les archéologues non indianistes en possession des éléments du problème que soulèvent les sculptures du Gandhâra.

                                                             S[alomon] R[einach]

(1) C’est la seule partie faible du livre ; les analogies ne sont pas toujours marquées avec toute la précision qu’il faudrait.

(2) Les personnages qui soutiennent les sabots du cheval de Bouddha (fig. 

182) sont à comparer avec une figure analogue de l’ivoire Barberini au Louvre ; c’est de l’art romain de très basse époque. En revanche, le cheval qui s’agenouille pour permettre à Bouddha d’en descendre est un motif grec qui parait dès le Ve siècle av. J.-C. (fig. 184, 185), mais qui n’a pas été ignoré à l’époque romaine. — La plupart des sculptures reproduites dans ce livre n’ont aucune valeur artistique ; il y a cependant de belles exceptions (fig. 87, 123, 131, 136, 213, 257, 261, 272).