Bissing, Wilhelm von - Weigall, A. E. P.: Die Mastaba des Gem-ni-kai. Bd. I, 42 p. et XXXIII pl.
(Berlin, Alexander Duncker )
Compte rendu par Édouard Naville, Revue Archéologique t. 6 (4e série), 1905-2, p. 373-375
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Die Mastaba des Gem-ni-kai, im Verein mit A. E. P. Weigall herausgegeben von Friederich Wilhelm von Bissing. Bd. I, 42 p. et XXXIII pl. Berlin, Alexander Duncker.


          En 1893 M. de Morgan alors directeur du Service des Antiquités en Égypte, faisait des fouilles près de la pyramide du roi Teti. Il découvrit plusieurs « mastabas » dont l’un est l’objet de la publication que nous annonçons aujourd’hui. Lepsius avait vu une partie de ce monument, et avait publié un petit fragment d’inscription qui en provenait. Mais Mariette ne s’en était pas occupé. C’est M. de Morgan qui l’a fait déblayer entièrement, et qui a consolidé avec du ciment ce qui menaçait ruine. M. de Bissing a achevé les travaux de protection, et comme il avait reconnu l’intérêt du monument, il s’est décidé à le publier entièrement, en particulier à reproduire d’une manière complète les sculptures qui ornent les murs. Il s’est fait aider dans ce travail par un jeune égyptologue anglais, M. Weigall, actuellement inspecteur du Service à Thèbes.

          Des deux volumes dont doit se composer l’ouvrage il n’a paru encore que le premier, qui renferme de très belles héliogravures, des planches au trait et une introduction explicative. De telles publications sont d’une grande utilité quand, comme celle-ci, elles sont complètes, qu’on n’y a omis aucun détail ni d’architecture ni d’ornementation, et quand, ce dont nous savons grand gré à M. de Bissing, on y a joint un répertoire indiquant tous les endroits ou se trouvent des scènes analogues ou parallèles à celles qu’on décrit. Nous voudrions voir se multiplier ces publications pour les tombes de l’Ancien Empire, parmi lesquelles se range celle de Gem-ni-kai.

          On sait quelle richesse et quelle variété de représentations il y a sur les murs de ces tombes. Presque toujours ce sont des tableaux de la vie présente ; aussi, on a longtemps cru que c’était l’image de l’existence que le défunt avait menée sur la terre, et l’on en a tiré des renseignements fort intéressants sur la civilisation de cette époque, sur les travaux agricoles, les occupations ou les distractions des Égyptiens contemporains de la construction des pyramides. Mariette, frappé de la grande ressemblance qu’il y a souvent entre ces tombes, et en particulier de l’identité qu’il avait constatée, en plusieurs cas, entre les chiffres des troupeaux ou des oiseaux de basse-cour, avait déjà mis en doute que ces scènes fussent le tableau de l’opulence ou de la prospérité passée du défunt. Il y voyait une sorte de Livre des Morts, un monde idéal commun à tous les Égyptiens, où le défunt était transporté. Ces richesses, ces occupations variées, ces travaux de toute espèce, ces chasses, ces pêches[,] tout cela était la vie d’outre-tombe à laquelle le défunt était parvenu.

          A cet égard, nous sommes arrivé à une idée un peu différente de celle de Mariette, et que nous avons déjà développée ailleurs. Il nous semble que les tableaux des tombes de l’Ancien Empire sont le produit de ce que MM. Salomon Reinach et Frazer ont appelé la magie imitative. La représentation d’un être est le plus sûr moyen de faire naître l’objet représenté. Si les contemporains de Gem-ni-kai se donnaient tant de peine pour peindre ou sculpter sur les murs d’un tombeau tout ce qui constituait la vie d’un grand seigneur du temps, cela ne veut pas dire que nécessairement de son vivant le défunt eût joui de cette prospérité, mais c’est qu’on la lui souhaitait ; peut-être avait-il mérité cette récompense, et l’on n’avait pas de moyen plus certain de la lui procurer. Rien d’étonnant donc à ce qu’il y ait une grande analogie d’une tombe à l’autre. Cette félicité d’outre-tombe qu’on voulait assurer aux défunts se présentait à l’esprit des anciens Égyptiens d’une manière fort semblable pour tous. C’était la vie large et opulente, telle qu’elle était déterminée par la civilisation de l’époque, par le caractère du pays et les conditions climatériques. A l’occasion on pouvait faire une place à certaines particularités auxquelles le défunt avait tenu, et qu’on savait qu’il désirait retrouver. Nous pouvons peut-être reconnaître l’une des fantaisies de Gem-ni-kai.

          M. de Bissing nous donne d’abord une description de l’architecture de la tombe. Elle se compose d’un vestibule d’entrée et de cinq chambres avec les couloirs qui y conduisent ; et il fait à ce sujet deux remarques intéressantes.

Il constate que les trois dernières chambres ont été décorées par une main différente de celle qui a travaillé aux deux premières ; et ensuite que les sculptures sont particulièrement soignées sur les murs que frappait la lumière venant des portes. Cela montre que ces chambres devaient être peu éclairées, qu’elles ne l’étaient pas par le haut, et que la décoration a été exécutée après que le toit du mastaba était achevé. 

          Ces cinq salles ne sont que la chapelle funéraire du défunt. La chambre dans laquelle son cercueil avait été déposé n’a pas été trouvée. Elle devait être au fond d’un puits qui ouvrait quelque part dans le mastaba. Cette habitude de séparer la partie de la tombe destinée au culte, du réduit qui contenait le défunt, doit être fort ancienne. Nous croyons qu’elle remonte à l’époque thinite, aux rois des premières dynasties desquels on a retrouvé les chapelles funéraires à Abydos.

          Le volume publié ne nous donne les représentations que du vestibule d’entrée et de la première chambre. Nous y voyons la chasse au filet des oiseaux d’eau, la pêche, et ce qui tient une grande place, l’engraissement artificiel de plusieurs espèces d’animaux, des oies, des bœufs, même ce qui est beaucoup plus curieux, et ne laisse pas que de nous étonner, des hyènes. Une fois déjà on avait pu voir l’hyène figurer parmi les viandes offertes à un défunt, à côté de divers gibiers tels que la gazelle ou l’antilope. Mais ce que nous ne savions pas, et ce qui nous a été révélé par la tombe de Gem-ni-kai, c’est qu’on traitait les hyènes comme des animaux domestiques dont la viande était particulièrement recherchée. On les engraissait en leur donnant de la chair d’oie. Nous assistons à toutes les opérations ; on s’empare de l’hyène, on lui attache les pattes, on l’étend sur le dos, et on lui fait avaler quelque chose qui ne peut être que de l’oie, car tout à côté se voient plusieurs de ces oiseaux, troussés et tout prêts à servir de nourriture au carnassier.

          Comme nous le disions, à notre connaissance, il n’y a pas d’autre exemple de ces scènes. Il faut probablement y voir un trait spécial, un goût particulier du défunt. Sans doute il aimait la viande d’hyène. En avait-il souvent goûté pendant sa vie ? les hyènes à engraisser étaient-elles soignées dans ses écuries comme les bœufs où les moutons ? nous ne le savons. Toujours est-il que ses successeurs ont voulu qu’il pût avoir de ces animaux à sa disposition dans l’autre monde, et c’est pourquoi on a sculpté tout cela sur les murs du tombeau.

          La pêche faite à l’aide de divers engins, en particulier la nasse, occupe aussi une large place dans ces représentations. On prend en quantité des poissons de plusieurs espèces ; ils sont sculptés avec beaucoup de soin, ce qui permet aux naturalistes de les identifier. On les entasse dans des paniers, ou on les porte suspendus à des perches. Des employés sont spécialement préposés à faire le compte de ce qui a été pris. Cela constitue probablement le revenu du défunt.

          Au-dessus de la porte qui mène à la seconde chambre, se trouve un tableau d’un genre un peu différent. Gem-ni-kai est assis sur un fauteuil bas, porté par un grand nombre de ses serviteurs ; il a le coude droit appuyé sur l’un des bras du fauteuil. La main gauche appuyée sur le genou tient un bâton. Cette figure où la disproportion entre le maître et les porteurs est plus exagérée que d’habitude, est intéressante à étudier, parce que cette pose n’est pas très fréquente. On y voit une fois de plus le peu de cas que les sculpteurs égyptiens faisaient de l’anatomie, et combien peu ils se préoccupaient de la correction dans le dessin, pourvu qu’on les comprît. La tête, comme d’habitude, est tout à fait de profil, sauf l’œil ; le torse jusqu’à la ceinture est de face ; quant aux jambes qui sont repliées, et dont l’une est plus rapprochée du corps que l’autre, il est impossible de voir comment elles se joignent à la ceinture, et d’où elles partent. Peu importait à l’artiste qui a donné au personnage cette apparence, de commettre une faute grave, que nous ne supporterions plus. Personne ne s’y tromperait, chacun reconnaîtrait que c’était Gem-ni-kai sur un fauteuil, et cela lui suffisait.

          M. de Bissing a ajouté aux héliogravures une série de planches au trait dans lesquelles il a dessiné exactement tous les détails de chaque tableau, les coiffures, les pièces de l’habillement, les instruments et ustensiles, les vases, les bijoux et ornements, les fleurs, puis tous les animaux, oiseaux, quadrupèdes, poissons ; tout cela fait un ensemble de plus de deux cents vignettes dont l’étude est aussi intéressante qu’utile pour nous faire connaître la menue monnaie de la civilisation, ce qui constituait la vie domestique.

          Nous espérons que M. de Bissing et son collaborateur nous donneront bientôt le second volume, qui sera certainement aussi riche que le premier, si, comme nous avons tout lieu de le croire, les auteurs suivent le même plan. Nous voudrions même que la publication du mastaba de Gem-ni-kai fût le commencement d’une série, dans laquelle on reproduirait aussi fidèlement et avec autant de détails plusieurs des grandes tombes, telles que celles de Ti ou de Meri dont nous n’avons encore que les textes ou quelques fragments.

                                                       É[douard] N[aville]