Paris, P.: Essai sur l’art et l’industrie de l’Espagne primitive. 2 vol. gr. in-8, de 359 et 327 p., avec nombreuses planches et figures dans le texte.
(Paris, Leroux 1903)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 5 (4e série), 1905-1, p. 156-160
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P. Paris. Essai sur l’art et l’industrie de l’Espagne primitive. Paris, Leroux, 1903. 2 vol. gr. in-8, de 359 et 327 p., avec nombreuses planches et figures dans le texte.


          Le prix Martorell (20.000 pesetas), décerné tous les cinq ans à Barcelone, l’a été, le 23 avril 1902, à l’ouvrage que nous annonçons. Cela dit suffisamment ’importance [sic] de cette contribution aux études d’archéologie ibérique ; une brève analyse en précisera la nature et la portée.

          I. Avant-propos. L’auteur n’a pas essayé de distinguer entre les différents peuples qui habitaient anciennement la péninsule ; à l’exemple d’Hérodore d’Héraklée (Fragm. hist. Graec., II, p. 34, n. 20), il considère la race ibérique comme « un bloc ». Les textes n’apprennent que peu de chose sur la civilisation des Ibères ; c’est aux monuments qu’il faut demander des informations.

          II. L’architecture. Dans l’intérieur du pays, il y a beaucoup de ruines de maisons en pierres brutes, où la poterie fait défaut ou n’est représentée que par des spécimens très grossiers. Dans les villes maritimes, on trouve les restes de fortifications colossales, cyclopéennes (Gérone, Tarragone), où les pierres sont quelquefois taillées ; on en a signalé aussi à l’intérieur, en Catalogne, en Andalousie, en Portugal. Ce que M. Paris dit des enceintes fortifiées du bassin du Minho (Sabroso, Briteiros, Santa Iria) repose sur les publications de MM. Sarmiento et Monsalud (1) ; pour les constructions des îles Baléares, il suit M. Cartailhac. Les murs en pierres colossales ne peuvent être attribués au même peuple que ceux des villes primitives de l’intérieur. Or, les constructeurs en appareil « cyclopéen » ne sont pas les Phéniciens ; ne seraient-ce pas les Mycéniens? Dans les citanias du Minho, il y a des linteaux sculptés « de pur style mycénien » (p. 32; cf. fig. 22), comme l’a déjà prétendu M. Cartailhac. « Il faut ajouter que les Ibères ont imité, non pas copié servilement leurs modèles... Rarement inventeurs, les Ibères savent pourtant rester eux-mêmes, et l’on verra toujours leur art, qui subit volontiers les influences du dehors, se distinguer par la personnalité de son imitation » (p. 35). Les tombeaux circulaires avec coupole et avenue de l’Andalousie (los Millares) et de Lusitanie sont aussi de libres imitations des « trésors » mycéniens. M. Paris ne cherche pas à préciser comment s’est exercée cette influence. Quant à celle de la Grèce classique, elle est hors de doute, témoin les fragments de corniche « ibéro-grecque » de Bonete, près du Cerro de los Santos, le fragment de chapiteau trouvé à Montealegre, un chapiteau « ibéro-ionique » du Cerro, le chapiteau de pilastre d’Elche (au Louvre), dont les palmettes rappellent celles de l’Erechthéion. Dans la dernière partie de ce chapitre, il y a des observations personnelles et des documents inédits ; le reste est surtout un résumé d’autres livres. On cherche vainement une tentative de classement des murs dits cyclopéens de l’Ibérie.

          III. La sculpture. Sur la côte orientale, l’influence grecque se fait sentir ; à l’intérieur, c’est la barbarie ibérique, représentée par les Toros de Guisando et les Cerros d’Avila (fig. 39-42). On connaît plus de 300 sculptures de ce genre, provenant de près de 50 localités. Quelques-uns de ces animaux portent des inscriptions latines, qui sont des additions postérieures ; ils marquaient sans doute l’emplacement de tombes. A côté des statues d’animaux, il y a celles des « guerriers lusitaniens », assez nombreuses en Galice et en Lusitanie, qui sont figurés debout, tenant un petit bouclier rond contre leur ventre. « Pour le style même de ces statues, ne les ayant pas vues de nos yeux, je m’en rapporte à M. C. Hübner, qui qualifie également ces différentes œuvres de grossières et lourdes » (p. 70). Ces statues sont certainement funéraires et, comme elles sont toutes coupées au-dessus du genou, M. Paris pense qu’elles étaient représentées émergeant du sol, comme les divinités chthoniennes de la Grèce. A la différence de M. Hübner, et malgré quelques incriptions [sic] latines ajoutées, il les croit ibériques, non romaines. Parmi les sculptures de style ibérique, appartenant à la région orientale, que M. Paris passe en revue, la plupart n’ont aucun intérêt ; le bas-relief de Linarès (Rev. arch., 1903, pl. 4) est d’ailleurs certainement romain. P. 86, une singulière erreur : l’auteur parie de sculptures gauloises primitives de l’époque de La Tène découvertes dans les grottes du Petit Morin !

          Le sarcophage anthropoïde de Cadix est une œuvre en pierre indigène, mais d’inspiration grecque ; les objets recueillis par M. Bonsor dans la vallée du Bétis sont d’inspiration orientale. M. Paris signale brièvement (par discrétion) quelques sculptures indigènes inédites, d’imitation phénicienne, qui appartiennent à M. Siret. Il publie à nouveau (cf. Mélanges Perrot, p. 255) le bijou d’or de la collection Vivès, dont la provenance précise est inconnue, mais qui paraît bien phénicien ou plutôt punique. Comme l’une des rondelles qui la compose offre des motifs mycéniens, M. Paris écrit : « Pourquoi les Mycéniens, qui apprirent certainement beaucoup à leur contact [au contact des Phéniciens], ne les auraient-ils pas instruits à leur tour ? Pourquoi, après avoir emprunté, n’auraient-ils pas rendu? Ce serait ici un nouveau phénomène d’action en retour, comme ceux qu’a si bien mis en lumière M. Heuzey ». L’auteur ne devrait pourtant pas ignorer que ce premier phénomène d’action en retour a été signalé à maintes reprises depuis 1888 et il serait bien bon de nous dire ce que les Mycéniens ont pu apprendre des Phéniciens. A la p. 102, il publie un intéressant ornement de bronze d’Elche, formé de deux Chimères affrontées, et le revendique pour l’art phénicien ou carthaginois ; ce pourrait être tout simplement un travail grec. Plus loin, il parle des statues de marbre et de bronze trouvées à Dénia (Artémision), mais sans les reproduire. En revanche, M. Paris donne une liste bien illustrée des statuettes de bronze de style grec archaïque qui ont été découvertes en Espagne. Le Centaure, dont la provenance est connue (Rollos, près de Caravaca), peut avoir été importé dans l’antiquité ; quant au Silène de Montealegre et à toutes les autres figurines citées, rien ne prouve qu’ils aient été exhumés dans le pays.

          Le taureau à tête humaine de Balazote (pl. IV) est un monument ibérique, mais inspiré d’un type oriental ; il en est de même des sphinx d’Agost et du Salobral, dn [sic] griffon de Redobán (au Louvre), du sphinx de Bocairente (à Valence), du fauve dévorant un bélier de Cartina (à Malaga), de plusieurs fragments de grandes figures de taureaux, des trois têtes de taureau en bronze trouvées à Costig (à Madrid), etc. Le mélange, à doses inégales, d’influences phéniciennes ou puniques, grecques et même gréco-romaines, dont témoignent ces œuvres et d’autres encore, n’est assurément pas facile à débrouiller ; M. Paris a eu raison d’y faire intervenir les bronzes de Sardaigne (p. 161). Mais la phrase que voici m’a étonné (p. 159) : « L’Espagne doit sans doute aux Mycéniens l’importance religieuse et symbolique du taureau et de la vache ». L’auteur ignore-t-il que, partout où il y a eu des animaux domestiques, ces animaux ont été l’objet d’un culte, d’où a résulté la domestication, et que ce culte a laissé pour résidu ce que nous appelons assez improprement du symbolisme?

          L’influence grecque paraît, avec une évidence irrécusable, dans les sculptures du Cerro de los Santos, déjà souvent étudiées, mais qu’on trouvera réunies commodément dans le travail de M. Paris (p. 162 et suiv.). Il a fait la part des contrefaçons dues à l’horloger de Yecla, Vicente Juan y Amat, et je ne crois pas qu’il l’ait faite trop large. Parmi les morceaux inédits qu’il a publiés, il y en a de remarquables, comme la tête de femme de la collection Bosch à Alicante (p. 188). Ces sculptures étranges du Cerro sont inséparables de celles du Llano de la Consolacion, situé tout près de là, aux portes de Montealegre ; on y a trouvé une statue assise qui fait songer à celles de l’antique Ionie (p. 260). Dans l’appréciation de leur caractère, M. Paris a suivi M. Heuzey ; il conclut, comme son guide, à des influences orientales sur fond ibérique, mais en insistant sur ce qu’il appelle les « analogies ibéro-chaldéennes », les ressemblances entre Cerro et Tello.

          Le chef-d’œuvre de la sculpture ibéro-grecque, c’est le buste découvert à Elche (Herna ?) en 1897 et qui est entré au Louvre, non sans le concours de M. Paris. Ce morceau, avec un fragment de statue de même provenance (p. 305), est le seul ouvrage vraiment artistique de toute la série. Est-il phénicien, carthaginois, grec, ibéro-grec, phénico-ibère ? La discussion engagée à ce sujet est sans issue : c’est comme si l’on demandait de conclure, de l’aspect d’un monument, à la langue que parlait son constructeur. M. Paris conclut que l’œuvre est « gréco-asiatique », mais pourtant « espagnole », et combat longuement M. Théodore Reinach, suivant lequel elle est l’œuvre d’un Grec d’Ionie travaillant en Espagne. Je ne saisis pas bien la différence. Quant à la date, M. Paris propose 440, alors que M. Th. Reinach s’arrêtait « au premier tiers du Ve siècle ». En réalité, personne n’en peut rien savoir, puisqu’il s’agit d’une pièce unique et exceptionnelle. Il y a de bonnes observations, vers la fin de ce chapitre, sur la persistance du style ibéro-grec du Cerro jusque dans des œuvres d’époque romaine.

          IV. La céramique (t. II, p. 1 et suiv.). Ici, nous sommes en présence de nouveautés de la plus haute importance, d’une céramique à motifs mycéniens, mais dont pas un tesson ne pourrait être attribué à un atelier de la Grèce héroique [sic] ; c’est vraiment du mycéno-ibérien ou de l’ibéro-mycénien, comme on voudra. Il est indispensable d’admettre que cette céramique a rayonné autour d’un centre, sans doute un port de la côte orientale d’Espagne, où le commerce mycénien, vers l’an 1200, apportait des produits céramiques. Parler à ce propos de Phéniciens n’a pas plus de sens que d’attribuer aux mêmes Phéniciens l’introduction de la céramique mycénienne en Sicile ou en Egypte. Le Louvre, grâce à M. Paris, possède aujourd’hui une petite collection de ces tessons ibéro-mycéniens, ramassés sur les emplacements de vieilles citadelles comme Amarejo et Meca. C’est une nouvelle province conquise à l’histoire de la céramique ; il est bon que cette conquête soit l’œuvre d’un Français et d’un Athénien (2).

          V. Les figurines de bronze. On trouvera, dans ce chapitre, des figures de style barbare ou ibérique, d’autres où paraît l’influence grecque, bien peu qui offrent une valeur d’art ou un intérêt quelconque.

          VI. Les bijoux, les armes. Les bandeaux d’or de Cacérès sont connus depuis longtemps ; M. Paris en a donné une bonne héliogravure (pl. IX). A cette occasion, il transcrit une lettre personnelle que j’écrivis il y a bien des années à M. G. Schlumberger, lorsque cet archéologue publia les bandeaux de Cacérès ; cette lettre fut amicalement imprimée par son destinataire ; je n’avais pas à m’en plaindre et ne m’en plaignis point ; mais avant de déclarer « assez superficielles » les analogies que j’y signalais au courant de la plume, M. Paris aurait pu me demander si je maintenais ces observations improvisées.

          Il y a des indications sur les fibules espagnoles, encore mal connues, mais sans les rapprochements qui les auraient rendues plus intéressantes ; M. Paris ne semble pas connaître la question des fiibules [sic] pré-romaines. Parmi les armes, on peut noter des poignards triangulaires, des sabres et une épée à antennes de Galice (p. 276). M. Paris s’étend sur les affinités mycéniennes des sabres d’Almedinilla au musée de Madrid ; pour ma part, je ne les aperçois point et je me demande, après comme avant cet ouvrage, de quelles armes de fer se servaient d’habitude les guerriers des tribus ibériques du temps d’Annibal.

          VI. Les monnaies. Elles trahissent toutes l’influence des ateliers grecs, mais témoignent d’une inhabileté singulière à les imiter.

          Dans sa conclusion, écrite avec chaleur, M. Paris insiste sur le contact de la civilisation mycénienne avec l’Espagne, fait nouveau qu’il a eu l’honneur d’établir solidement. On ne peut que l’en féliciter.

 

S[alomon] R[einach]

 

(1) P. 24 ; on lit deux fois Carnat pour Carnac.

(2) P. 3, personne, en 1903, ne place plus la céramique mycénienne aux VIIIe et VIIe siècles. P. 125, n. 4, ce ne sont pas des élans, mais des rennes ; la caverne s’appelle Lorthet, non Lortet. P. 126, le svastika n’est pas « venu d’Orient sans doute », car il ne se trouve pas très anciennement en « Orient », mais en Europe. La sûreté de l’information générale, en matières archéologique, n’est pas le caractère le plus frappant de l’ouvrage de M. Paris.