Allinne, M. - Loisel, A.: La cathédrale de Rouen avant l’incendie de 1200. — La tour Saint-Romain. In-8. 88 pages. 6 gravures.
(Rouen 1904)
Compte rendu par Louise Pillion, Revue Archéologique t. 5 (4e série), 1905-1, p. 313-314
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M. Allinne et A. Loisel. La cathédrale de Rouen avant l’incendie de 1200. — La tour Saint-Romain. Rouen, 1904. In-8. 88 pages. 6 gravures.


          Un travail nouveau sur la cathédrale de Rouen est une bonne fortune ; on sait que, comme tant d’autres monuments français, celui-ci attend encore la monographie complète à laquelle il a droit. Aussi faut-il remercier MM. Allinne et Loisel, en nous donnant ce mémoire, de l’annoncer comme le premier chapitre de la monographie attendue.

          La période qui fait l’objet de ce premier fascicule est, entre toutes, la plus intéressante et la moins connue de l’histoire du monument. Nous avons connaissance par les documents d’une consécration de la cathédrale en 1063 et d’un incendie en 1200. Ces deux mentions se rapportent-elles au même édifice, ou y a-t-il eu, comme Viollet-le-Duc l’a affirmé (1), une cathédrale intermédiaire entre celle de 1063 et l’édifice actuel ? Nous verrons comment les auteurs ont renouvelé la question. Un fait est toujours resté en dehors de toute contestation ; la tour N. de la façade O. dite tour Saint-Romain, appartient au XIIe siècle et MM. A. et L., dans la première partie de leur étude, procédant à une analyse très serrée et, sur certains points tout à fait neuve, de cette construction, prouvent, me semble-t-il, de façon péremptoire que la tour Saint-Romain, de style franchement normand, ne procède pas, comme on l’avait toujours affirmé a priori, du clocher sud de Chartres. Du fait, attesté par documents, que les Rouennais, après avoir pris part à des corvées volontaires pour la construction de N[.]-D. de Chartres, se mirent ensuite à travailler dans les mêmes conditions à leur propre cathédrale, il était imprudent de conclure à une filiation de style que dément la comparaison des deux monuments. Notons seulement que les auteurs, qui acceptent la date de 1160 pour l’achèvement de ces travaux, mais qui voudraient en reculer le début jusqu’à la fin du XIe siècle, ont complètement négligé d’appuyer de preuves cette partie de leur thèse, intéressante pourtant au point de vue de l’enquête actuellement ouverte sur l’origine des croisées d’ogives, puisque même la plus ancienne salle de notre tour est ainsi voûtée. — Dans la seconde partie de leur travail, MM. A et L. se proposent de prouver que l’incendie de 1200 ne fut pas aussi destructeur qu’on l’a cru, qu’il n’atteignit que les voûtes et que la cathédrale actuelle date du dernier quart du XIIe siècle. On le voit ; c’est l’hypothèse de la cathédrale du XIIe siècle qui revient sous une forme nouvelle puisqu’il ne s’agirait plus d’un édifice détruit ayant laissé des témoins plus ou moins importants, mais des parties les plus essentielles du monument actuel. Les arguments historiques qu’apportent MM. Allinne et Loisel sont intéressants ; deux fois en 1204 et une fois en 1206 il y a trace de faits se passant dans la cathédrale ; mais on trouverait, je crois, facilement d’autres exemples de telles mentions concernant des monuments en voie d’exécution ou de démolition. L’argument négatif, résultant de l’absence de bulles pontificales ordonnant des quêtes, ne paraît pas non plus irréfutable. — La reprise constatée dans certaines parties des voûtes, avec différence de profil dans le tracé des arcs ogifs, est à étudier de près. Mais rien ne peut dispenser, en pareille matière, d’une comparaison attentive avec des monuments datés ; or, ce complément de preuves fait totalement défaut au travail de MM. A. et L. Peut-être doit-il figurer dans une publication ultérieure ; en ce cas, il est regrettable que la thèse reste ainsi en l’air. Telle qu’elle se présente, elle appelle des contradictions qui ne pourront manquer de se produire.

          Ne nous en plaignons pas, d’ailleurs, car MM. A. et L. n’eussent-ils fait que ramener l’intérêt sur un de nos beaux monuments gothiques, il faudrait leur en savoir gré. Mais ils ont fait plus et mieux et leur travail, dût-on le discuter dans quelques-uns de ses parties essentielles, est de ceux avec lesquels il faudra désormais compter.

                                                                       L[ouise] P[illion]

(1) Son opinion a été combattue avec autorité par M. le docteur Coutan, Coup

d’œil sur la cathédrale de Rouen aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, Rouen, 1896.