Durrieu, P.: Les très riches Heures de Jean de France, duc de Berry. In-fol., dans un carton avec fermoirs ; 66 p., 64 pl. d’héliogravure et une planche en couleurs.
(Paris, Plon 1904)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 5 (4e série), 1905-1, p. 316-317
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P. Durrieu. Les très riches Heures de Jean de France, duc de Berry. In-fol., dans un carton avec fermoirs ; 66 p., 64 pl. d’héliogravure et une planche en couleurs. Paris, Plon, 1904. Poids : dix kilos.


          Grâce à cette somptueuse publication, également honorable pour l’auteur et pour l’éditeur, les miniatures du plus beau manuscrit du monde, jusqu’à présent plus célèbres que connues, sont enfin reproduites dans les dimensions des originaux, avec une finesse qui ne laisse rien à désirer. La planche en couleurs, donnée en fronstispice, est seule médiocre ; mais où donc exécute-t-on aujourd’hui de bonnes planches en couleurs ?

          L’introduction et la description des planches, où M. P. Durrieu s’est révélé une fois de plus connaisseur à la fois très informé et très prudent, mériteraient de trouver beaucoup de lecteurs ; elles en auront peu, vu le format et le prix de l’ouvrage ; mais il n’est pas interdit d’espérer qu’une fois l’édition originale placée — elle l’est peut-être déjà à l’heure où j’écris — on en donnera une autre dans le format in-8, comme l’editio minor du Bréviaire Grimani par Ongania, et qu’on réimprimera en tête, sans y rien changer, les excellentes études de M. Durrieu.

          Les miniatures du manuscrit, acquis à Gênes par le duc d’Aumale sur le conseil de Panizzi, appartiennent, les unes, à l’époque comprise entre 1410 et

1416 — ce sont les chefs-d’œuvre attribués aux frères de Limbourg —, les autres aux années 1485-1489 ; de ces dernières, œuvres de Jean Colombe, fils ou neveu de Michel Colombe, M. Durrieu n’a reproduit que des spécimens ; bien que ce soient d’assez médiocres peintures de l’école de Fouquet, on aurait voulu les trouver toutes ; car qui jamais songera à publier celles que M. Durrieu a omises ? 

          M. Durrieu admet, mais sans être trop affirmatif, que les enlumineurs appartenaient à une famille de Limborch en Gueldre, qu’ils étaient les neveux du peintre gueldrois Malouel et qu’ils vinrent très jeunes à Paris. Il n’attribue pas toutes les anciennes miniatures à la même main, mais renonce prudemment à distinguer l’œuvre de chaque frère ou de leurs auxiliaires éventuels. L’unité d’inspiration de l’ensemble est incontestable ; M. Durrieu rappelle très justement, à ce propos, la galerie du Luxembourg de Rubens, qui est bien de Rubens, quoique de nombreux artistes y aient travaillé sous ses ordres. Sur le caractère français du style, M. Durrieu n’éprouve aucun doute ; il est vrai que l’on constate l’influence de Taddeo Gaddi, de Simone di Martino et d’autres encore ; mais ces influences italiennes ont été transformées et comme digérées dans un milieu français. Peut-être même les influences italiennes que les enlumineurs ont subies ne se sont-elles pas exercées directement ; M. Durrieu émet une hypothèse très intéressante sur la possibilité d’une influence venue de Bohême, où un peintre italien, Tommasodi Modena, alla s’établir au XIVe siècle. A Paris, vers 1400, il existait de nombreux artisans italiens ; mais, jusqu’à présent du moins, on n’y a pas signalé de peintres ultramontains ; la France du début de [sic] XVe siècle donne encore plus à l’Italie qu’elle n’en reçoit.

          La question si difficile et si délicate des relations entre les peintres du duc de Berry et les Van Eyck n’a été touchée qu’en passant par M. Durrieu. Il se garde d’affirmer que le génie des Van Eyck dérive de l’école des miniaturistes parisiens ; il admire et il attend. Pour moi, plus j’y réfléchis, plus je regarde ces chefs-d’œuvre, plus je me convaincs que l’art des enlumineurs du manuscrit de Chantilly marque l’apogée d’un certain développement, tandis que celui du Rétable de l’Agneau marque le début d’un autre ; il a dû y avoir des relations entre les deux écoles de la Seine et de la Meuse ; mais la première n’est pas la mère de la seconde, qui malgré des analogies superficielles, semble manifester des tendances différentes et parfois presque opposées (1).

                                                             S[alomon] R[einach]

(1) Pl. LXI, je ne crois pas que la figure de Lazare dérive de l’antique ; ni elle ni aucune autre du manuscrit n’a rien à voir avec la statue d’Aix, découverte au début du XVIe siècle. — M. Durrieu a reconnu le premier, sur la miniature représentant le mois d’avril (pl. IV), une représentation du château de Dourdan.