Arbois de Jubainville, H. d’: La famille celtique. Etude de droit comparé. In-8, xx-221 p.
(Paris, Bouillon 1905)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 5 (4e série), 1905-1, p. 446-448
Site officiel de la Revue archéologique
Lien avec l'édition numérique de ce livre
 
Nombre de mots : 1036 mots
 
Citation de la version en ligne : Les comptes rendus HISTARA.
Lien : http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=1378
 
 

H. d’Arbois de Jubainville. La famille celtique. Etude de droit comparé. Paris, Bouillon, 1905. In-8, xx-221 p.


          D’après le droit irlandais, quatre groupes de parents peuvent être contraints à payer la composition ; la gelfine (famille de la main, in manu, in mancipio), la derb-fine (famille certaine), la iarfine (famille d’après), l’indfine (famille de la fin). Cette division était encore usitée au XVIe siècle. Le Senchus Mor (grand recueil d’antiquités, antérieur au Xe siècle) nous apprend que lorsque la saisie a pour but l’indemnité due par le fait d’un descendant au quatrième ou au troisième degré, elle précède de cinq jours le jugement et qu’il en est de même pour les parents les plus éloignés jusqu’au dix-septième homme. Il y a cinq hommes dans la gelfine et quatre seulement dans chacune des trois autres sections de la famille. Cela tient à un jeu de mots ; gel signifiant main, les anciens légistes goidéliques ont pensé aux cinq doigts. Dans le droit gallois, la gelfine ne compte que quatre hommes, l’ancêtre, son fils, son petit-fils et son arrière petit-fils.

          En Irlande, les quatre branches de la fine sont théoriquement propriétaires ndivis [sic] de la succession laissée par l’auteur de ces quatre branches ; il y a là quelque chose d’analogue à la propriété collective du sol par la gens romaine.

          Le droit irlandais connaît une expression comlebaid, signifiant « lit commun » des cohéritiers, tenanciers d’une propriété indivise. On pourrait en conclure (p. 50) que la communauté des femmes entre frères a existé d’une manière générale, ce qui confirmerait un texte de César (Bell. Gall., V, 14, 4) et excuserait une exagération de S. Jérôme (Adv. Jovin., II, 7).

          Le système de dévolution, en Irlande, était celui que les jurisconsultes anglais ont appelé tanistry, suivant lequel les dignités indivisibles (royauté, etc.) passaient au plus âgé des membres de la famille.

          La dot, en Irlande, est obligatoire pour que l’union soit régulière. L’usage en existait chez les Celtes au temps de César (B. G., VI, 18, 1) ; il se trouve déjà dans le code d’Hammurabi (vers 2500), chez les Juifs et chez les peuples dits indo-européens, à l’exception des Arméniens. Partout, à l’origine, la fille dotée est exclue de la succession paternelle. Chez les Celtes, dès le Ier siècle, la fille paraît avoir hérité à défaut du fils (Tacite, Annales, XIV, 31). En Irlande, le droit d’hériter est accordé au fils de la fille et il semble que les filles héritent à défaut des fils ; le père peut toujours, par testament, assurer une part de la succession à ses filles, mais la propriété que la fille acquiert ainsi doit revenir aux agnats du père. L’importance du fils de la sœur, attestée d’ancienne date chez les Celtes continentaux (Tite Live, V, 34), se constate dans les droits gallois et irlandais, mais plus encore chez les Pictes ; M. d’Arbois n’en conclut pas que ces derniers soient étrangers au groupe indo-européen.

          Les diverses législations relatives au mariage découlent d’un fait social facile à expliquer ; il y a plus de femmes à marier que d’hommes. D’où une difficulté qui a reçu deux solutions ; la polygamie (Juifs, Musulmans), la monogamie avec un résidu de filles non mariées, de condition plus ou moins précaire (Babyloniens, Indo-Européens). Les Celtes avaient une seule femme légitime, mais ils pouvaient entretenir à côté d’elle des concubines. En Irlande, lorsque la femme légitime est atteinte d’une maladie incurable, le mari a le droit d’en prendre une seconde ; en tout état de cause, il peut lui donner une concubine pour rivale ; mais si la femme légitime frappe celle-ci jusqu’à faire couler le sang, la concubine n’a droit à aucune indemnité. L’achat primitif de la femme et de la concubine existe dans le vieux droit d’Irlande. Chez les

Gallois, le prix d’achat de la femme, perçu par le père ou le parent qui la mariait, était transmis au roi ou au seigneur immédiat qui s’interposait entre le roi et lui. Le prix d’achat de la femme devenait en Galles la rançon du jus

primae noctis (p. 125). Ce droit existait encore en Irlande à l’époque où se forma le cycle épique. 

          L’usage du douaire (donatio ante nuptias) est inconnu des textes légaux irlandais, mais non des textes littéraires ; il paraît de bonne heure chez les Germains (Tacite, Germ., 18), bien plus tôt encore dans la loi d’Hammourabi.

          En droit irlandais, comme dans le Code d’Hammourabi, toute union formée entre homme et femme sans l’assentiment du chef de famille de la femme est nulle quant aux biens ; si la femme enlevée a emporté quelques objets de valeur, ils doivent être restitués à sa famille. L’épouse légitime irlandaise est considérée comme la propriété du mari qui l’a achetée de son beau-père ; mais elle a des droits importants, en particulier à une sorte de composition que doivent lui payer son mari s’il prend une concubine et cette concubine elle-même. On a un exemple, en Irlande, d’une femme légitime qui, voyant sa rivale enceinte, menace son mari de reprendre son douaire et de le quitter ; sur quoi le mari vend sa concubine, qui était esclave ; l’enfant qu’elle mit au monde fut sainte Brigitte.

          Le Senchus Mor n’admet pas seulement le mariage annuel avec une concubine ; il permet le divorce par consentement mutuel. Dans le pays de Galles, la volonté d’un des époux suffit également à motiver la rupture du mariage. Chose plus singulière encore ; en Irlande, le chef de famille peut exiger une part dans les gains de la prostituée.

          Le dernier chapitre de cet ouvrage, si riche en faits nouveaux, dont mon analyse ne donne qu’une idée bien imparfaite, concerne l’accusation de mœurs antiphysiques formulée contre les Celtes dans cinq textes grecs, mais que César n’a pas répétée, peut-être parce qu’il ne lui convenait guère d’en blâmer autrui. M. d’Arbois conclut que les Celtes ne devaient pas être plus coutumiers de ces vices que les Grecs et les Romains. Il n’y en a pas de trace dans les textes irlandais ; pourtant, on ne croira pas facilement qu’ils fussent inconnus en Irlande. Vitia haec sunt hominum, non temporum, disait le sage Sénèque (1).

                                                             S[alomon] R[einach]

(1) M. d’A. n’a pas compris (p. 188) que le blâme de Diodore s’adresse aux pathici ; les anciens étaient plus indulgents que nous pour les cinaedi.