Tournier, Edouard: Némésis et la jalousie des Dieux, in-8°
(Paris, A. Durand 1863)
Compte rendu par A. M., Revue Archéologique 8, 1863-4, 2e série, p. 189-190
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Némésis et la jalousie des Dieux, par Ed. Tournier, ancien élève de l’École normale. Paris, 1863, in-8°.


M. Ed. Tournier appartient à cette phalange, déjà assez nombreuse, de jeunes professeurs qui ont pris les religions antiques pour sujet de leurs études. Il a consacré tout un livre, destiné à servir de thèse pour le docto­rat, à l’examen d’une question qui tient à la fois à l’histoire de la mythologie et à celle de la philosophie dans l’antiquité, celle de la doctrine que résume et personnifie le nom de Némésis. L’homme a souvent prêté à la divinité un sentiment de jalousie à son égard. On en a la preuve dans la fable de Prométhée. Mais M. Tournier constate qu’il faut remonter jusque chez les Aryas pour en saisir la première apparition, car, ainsi qu’il le remarque, cette idée semble contemporaine des premières plaintes de l’homme, en lutte avec un sol ingrat et un ciel inclément. M. Tournier suit attentivement, les auteurs à la main, les destinées de la Jalousie des dieux dans l’antiquité. Elle ne s’y montre d’abord que comme une plante exotique, mais elle finit pas s’y naturaliser. Elle trouve alors des contra­dicteurs chez les écrivains les plus fidèles à la tradition nationale des Hel­lènes. Eschyle, Pindare n’y adhèrent que sauf exceptions et réserves. La vie générale du peuple grec n’en reçoit aucun contre-coup sensible. Le culte n’emprunte point aux poëtes cette jalousie divinisée. La philosophie en combat la conception, sans la pouvoir détruire, et elle dure autant que l’anthropomorphisme. Il ne faut pas confondre cette idée avec l’idée de Némésis proprement dite, que l’auteur va chercher dans l’art, dans la littérature, dans la vie privée des Grecs, comme il la cherche dans leur mythologie. Cette Némésis, elle est toute hellénique de caractère ; elle se montre dès les premiers monuments de l’âge épique ; elle donne naissance à un culte ; la philosophie la respecte et Rome l’adopte sans savoir lui trouver un nom. C’est cette opposition entre la Jalousie divine et la Némésis, sentiment de la désapprobation à tous les degrés, depuis l’indignation jusqu’au murmure, que M. Tournier fait surtout ressortir.

Son livre, composé avec soin, est une monographie étendue, d’un intérêt véritable, et qui ajoute une page des plus importantes à l’histoire de la religion hellénique. Nous eussions aimé voir l’auteur associer à sa riche connaissance des textes les témoignages que lui aurait fournis l’étude des monuments. On ne saurait séparer dans l’antiquité les croyances de leurs représentations plastiques. L’art était le vrai langage des Grecs et·leurs chefs-d’œuvre sont des commentaires dont la pensée, même purement philosophique, ne peut se passer ; sur tout le reste, le savant professeur est on ne peut plus complet. Nous voyons avec satisfaction un jeune homme du mérite de M. Tournier appliquer la solide érudition qu’il pos­sède à éclairer des questions de mythologie et d’histoire religieuse, et nous attendons de son savoir et de son zèle des fruits excellents ; celui qu’il nous apporte aujourd’hui est déjà d’une maturité parfaite ; il dénote, non une de ces cultures hâtives qui ne donnent que des productions sans durée, mais un soin prolongé et patient pour réunir tout ce qui permet le développement régulier et l’entière éclosion de la pensée. A. M.