Chapot, Victor: La province romaine proconsulaire d’Asie depuis ses origines jusqu’à la fin du haut-empire. 8°, xv-573 pp.
(Paris, E. Bouillon 1904)
Compte rendu par Seymour de Ricci, Revue Archéologique t. 4 (4e série), 1904-2, p. 147-149
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Victor Chapot. La province romaine proconsulaire d’Asie depuis ses origines jusqu’à la fin du haut-empire. Paris, E. Bouillon, 1904, 8°, xv-573 pp.


          La publication par un jeune savant français d’un ouvrage aussi important de synthèse historique ne saurait manquer d’intéresser vivement tous les amis de l’antiquité. Le beau travail de M. Haussoullier sur l’histoire de Milet et du Didymeion nous a donné depuis peu un tableau précis de la côte occidentale de l’Asie Mineure à l’époque hellénistique. Ce livre en appelait un autre, que M. Chapot a écrit : sans craindre d’être noyé par l’ampleur du sujet, il a fait, pour l’époque romaine, non l’histoire d’une ville, mais celle de toute une province ; de plus, il a rempli un pieux devoir, car, tirant parti des matériaux recueillis par Waddington, il a apporté à l’œuvre de ce grand savant son complément nécessaire.

          M. Chapot paraît fort bien connaître les éléments de son étude. Les inscriptions d’Asie Mineure sont sans doute fort dispersées et l’Institut archéologique de Vienne nous rendra un service inappréciable en publiant les

Tituli Asiae Minoris ; en attendant, M. Chapot nous prouve qu’il n’est pas impossible à un travailleur bien outillé de se mettre au courant de presque toutes les publications épigraphiques des soixante dernières années. Pouvait-on lui demander davantage ? 

          Quand on écrit l’histoire d’une province comme celle d’Asie, il ne suffit

pas de connaître les matériaux : il faut aussi connaître les travaux dont ils ont été l’objet ; il faut avoir dépouillé minutieusement quelques centaines de thèses, programmes et dissertations de toute nature. M. Chapot n’a pas manqué de le faire ; ce n’est pas un mérite mince dans un livre qui a la prétention d’être à la fois un manuel et un répertoire. 

          Le plan suivi par M. Chapot est d’une heureuse simplicité ; il a divisé son ouvrage en quatre grandes parties ; histoire de la province, les villes et la vie municipale, l’administration romaine de la province, les institutions religieuses. Peut-être aurait-il pu modifier l’ordre des divisions et mettre la troisième avant la seconde ; l’œuvre aurait ainsi présenté plus d’unité.

          Après une introduction bibliographique, l’auteur aborde l’histoire générale de la province. Son chapitre sur les origines aurait gagné à être écrit après la publication du beau mémoire de M. Foucart, mémoire dont M. Chapot n’a pu profiter que pour les addenda. L’histoire de la province pendant les trois premiers siècles de notre ère tient tout entière dans une dizaine de pages ; l’Asie devait être aussi heureuse que le reste de l’empire, car les autres provinces, l’Égypte et la Syrie exceptées, n’ont guère plus d’histoire qu’elle. Un chapitre sur la géographie générale de cette partie de l’Asie Mineure termine la première partie (1).

          La deuxième partie est relative, avons-nous dit, aux villes et aux institutions municipales. M. Chapot a pu puiser largement dans le copieux répertoire de faits et de documents qu’est la Städteverwaltung de M. Liebenam, en même temps qu’il mettait à profit une série d’articles singulièrement pénétrants publiés par M. Isidore Lévy dans la Revue des études grecques. Il a su tirer un tableau d’ensemble de tous les matériaux qu’il avait réunis. Il nous parle ainsi tour à tour des cités et des bourgs ainsi que de leur physionomie générale, des habitants des villes, des assemblées municipales, des magistratures municipales et des liturgies. On lira avec curiosité (p. 168-170) une liste de corporations ouvrières nommées dans les inscriptions d’Asie. On la comparera avec la liste des professions citées dans les papyrus (Wilcken, Griechische Ostraka, t. I, p. 688-695) ; on constatera que les κηπουροί d’Hierapolis sont connus par des papyrus de Berlin (BGU, 115, I, 21) et de Londres (Kenyon I, p. 175) et qu’une autre inscription d’Hierapolis (Judeich, n. 40), où figurent des ἐριοπλύται, permet de corriger une restitution fausse d’un papyrus de Berlin (BGU, 118, III, 7-8), où l’on lisait à tort [ἱματιο]πλύτης et où nous lirons sans hésiter [ἐριο]πλύτης, laveur de laine. Une autre liste fort intéressante que publie M. Chapot est celle (p. 488-189) des chambres de commerce romaines de la province d’Asie ou, comme disent les inscriptions, cives romani qui negotiantur. Il aurait pu sans inconvénient citer en note une curieuse inscription de Mallus (CIL., III, 1417710) et renvoyer dès la p. 188 (et non p. 192, note 2) aux nombreux textes réunis jadis par Mommsen (CIL., III, 7240). Quant au chapitre sur les Juifs, il n’aurait pas perdu à être un peu plus détaillé ; il y a là des indications pouvant donner lieu à des développements d’un grand intérêt.

          Dans la portion du livre consacrée à l’étude de l’administration romaine de la province, M. Chapot avait des prédécesseurs illustres dont les œuvres, pour n’être pas définitives, ne lui laissaient pourtant que peu à glaner. Il est difficile d’être original quand on vient après Waddington. Le chapitre sur le gouverneur est suivi d’un chapitre prosopographique où M. Chapot trouve moyen de ne pas se servir de la Prosopographia Imperii Romani. A-t-il même dépouillé très minutieusement le Le Bas-Waddington ? En identifiant avec le consul suffect de 127 le proconsul L. Aemilius Juncus, tient-il compte des réserves formelles de Waddington (p. 633, n. 2726) ? Les chapitres suivants concernent les finances et la monnaie, l’administration juridique, la voirie, l’armée, les domaines impériaux et la chronologie.

          Le volume se termine par une quatrième partie relative aux « nouvelles religions », car l’Empire, semble-t-il, ne laissa subsister que peu de chose en

Asie des institutions religieuses de l’époque hellénistique. Rome contrôla minutieusement l’organisation et les privilèges des temples, notamment le droit d’asile et l’hiérarchie des prêtres, et associa partout aux cultes grecs le culte des dieux romains, de Rome et de la famille impériale. De là, les cités néocores et la constitution du κοινὸν Ἀσίας, avec des fonctionnaires au rôle mal défini comme l’Asiarque et l’ἀρχιερεὺς Ἀσίας ; de là encore, l’organisation de jeux publics, auxquels leur caractère mi-politique, mi-religieux donnait une réelle importance. 

          Après avoir étudié tour à tour ces différentes institutions dans une série de chapitres d’une heureuse clarté, M. Chapot a cru nécessaire de parler en vingt- cinq pages du christianisme asiatique et de ses caractères particuliers. Malgré une documentation bien fournie et très moderne par endroits, une certaine inexpérience se fait sentir dans tout ce chapitre. Je n’en veux pour exemple que les quelques lignes consacrées à l’épitaphe d’Alexandros (p. 513) qui, selon M. Chapot, « nous montre à merveille les timidités, les réticences auxquelles étaient condamnés les fidèles de la Nouvelle Église ». Quant à Abercius (p. 514), ce serait « un païen dont le langage est déjà imprégné de formules chrétiennes ». M. Chapot ne se serait-il pas, par hasard, aperçu que l’épitaphe d’Alexandros contient plusieurs vers copiés mot pour mot dans celle d’Abercius? La christianité de l’une entraîne celle de l’autre et, si la deuxième est païenne, la première l’est aussi. M. Conybeare, dont l’attention n’a pas cessé depuis plusieurs années de se porter sur ce texte curieux, me renvoie à Methodius pour la phrase où Abercius représente l’Église comme une « reine aux vêtements d’or », phrase dont M. Chapot demeure fort embarrassé. M. Dieterich, paraît-il, « ne croit pas que l’inscription soit proprement chrétienne ». M. Chapot use là d’une litote qui serait fâcheuse, si un court exposé de la tentative manquée du savant allemand ne venait atténuer l’obscurité et l’inexactitude de la phrase. 

                                                   Seymour de Ricci

(1) P. 65, note 4. Le papyrus 412 d’Oxyrhynchus nous parle de la bibliothèque de Nysa en Carie, confirmant ainsi, par le plus grand des hasards, une hypothèse erronée de Liebenam.