Joulin, Léon: Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosanes. In-4°, 300 p. et XXV pl. Extrait des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1re série, t. XI, p. 217-516.
(Paris, Klincksieck 1900)
Compte rendu par Seymour de Ricci, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 165-169
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Léon Joulin. Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosanes. Paris, Klincksieck, 1900, in-4°, 300 p. et XXV pl. (18 fr. 80). Extrait des Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1re série, t. XI, p. 217-516.


          Martres-Tolosanes est une commune, située à soixante kilomètres au sud de Toulouse, sur les bords de la Garonne, à l’endroit précis où le fleuve, sortant des montagnes pour entrer dans la plaine, cesse d’être un torrent impétueux pour devenir un cours d’eau navigable. C’est là que se trouvait, à l’époque romaine, la station de Calagurris de l’Itinéraire d’Antonin dont la situation exacte est mal déterminée. Là s’élevait aussi une somptueuse villa à la description de laquelle M. Joulin a consacré la meilleure partie de son ouvrage.

          Dès le XVIIe siècle (1634), on avait recueilli quelques sculptures à Martres-Tolosanes ; on les trouvera décrites dans les Lettres diverses de Lebret, qui les avait vues dans l’Orangerie de l’Évêché de Rieuz. C’est sans doute aussi de Martres que provient une inscription publiée au XVIIe siècle par Lancelot et Muratori (1) et qui serait mieux à sa place dans le t. XIII du Corpus Inscriptionum Latinarum que dans le t. XII. Les découvertes se poursuivirent isolées pendant le XVIIIe siècle, en 1709, en 1760, en 1786. En 1826, dans un champ appelé Chiragan, situé au sud du bourg, sur la rive gauche de la Garonne, un cultivateur découvrit un grand bas-relief et quelques médaillons en marbre, ce qui, dit Dumège, « montra toute la richesse archéologique de ce lieu. Des fouilles commencées alors et qui ont duré près de trois années, aux frais de la ville de Toulouse, ont produit la découverte d’une immense série de beaux monuments » (sic). Le produit des fouilles de Dumège vint enrichir le musée naissant de la ville de Toulouse. On en trouvera un inventaire en style pompeux dans la Description du Musée des Antiques de Toulouse par M. Alexandre du Mège de la Haye (Toulouse, 1835, in-8°, 271 p.). On consultera encore les Recherches sur Calagurris des Convenae par Dumège dans les Mémoires de l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, t. II, 2 (1830), p. 246 suiv. (2). De nouvelles fouilles furent faites de 1840 à 1843 sous les auspices de la Société Archéologique du Midi de la France : le résultat en est consigné dans une assez courte notice parue dans les Mémoires de la Société, t. V (1847), p. 113 et suiv. avec plan. Enfin, en 1890 et 1891, Lebègue fouilla à Martres aux frais du Ministère de l’Instruction publique (3). Il ne déblaya pas de nouveaux édifices ; il se contenta de fouiller dans les mêmes salles que Dumège ; il découvrit cependant un nombre considérable de sculptures qui vinrent rejoindre les précédentes au Musée de Toulouse.

          Malgré toutes ces fouilles, l’exploration méthodique de Martres-Tolosanes restait à faire ; Dumège y voyait une ville et Lebègue une école de sculpture (sic). C’est à M. Léon Joulin qu’est revenu l’honneur d’établir que nous nous trouvons en présence d’une grande villa, d’une somptueuse habitation de campagne. Subventionné à la fois par le Ministère, le département et la ville de Toulouse, M. Joulin a pu fouiller systématiquement un terrain de près de vingt hectares, en retirer jusqu’aux moindres fragments de marbre et en relever un plan minutieusement exact. Ses fouilles ont duré depuis avril 1897 jusqu’à la fin de 1899 ; elles lui ont permis, en joignant les marbres nouvellement trouvés à ceux découverts par ses prédécesseurs, de constituer au musée de Toulouse une grande salle de Martres-Tolosanes qui n’a d’égale dans aucun musée de province. J’ai pu la visiter en 1902, avant qu’elle fût ouverte au public, grâce à l’obligeance de M. Joulin qui a tenu à me la montrer lui-même.

          Je me garderai bien de décrire ici en détail les corps de bâtiment découverts par M. Joulin et dont il a publié un plan minute au 1 : 500 et trois plans coloriés au 1 : 1000. Bâtie sans étages, sans plan régulier, cette villa présentait une enfilade inextricable de cours, petites et grandes, de salles de toute dimension, d’hémicycles et de galeries, qui, au gré des propriétaires, se sont augmentés, agrandis de siècle en siècle pendant toute la domination romaine. Je préfère aborder immédiatement la description des sculptures exhumées, ensemble si riche et si varié qu’il forme un véritable musée. M. Joulin ne leur a consacré que soixante pages de son mémoire. La Vénus de Martres n’obtient que cinq lignes et demie, sans un renvoi bibliographique (4). Pour les nombreuses statues publiées par Clarac ou par M. Salomon Reinach, on ne trouve qu’un nombre restreint de références au Musée de sculpture et l’on n’en trouve aucune au Répertoire de la Statuaire, où beaucoup de marbres découverts à Martres ont été gravés d’après des photographies. Si l’on doit regretter que M. Joulin ait volontairement abrégé une des parties les plus importantes de son travail, il est permis également d’espérer que son catalogue prochain du Musée lapidaire de Toulouse nous dédommagera à cet égard.

          M. Joulin a eu le grand mérite d’étudier minutieusement les marbres employés. Il a ainsi reconnu que les sculptures architecturales, frises, chapiteaux et grands bas-reliefs étaient seuls en marbre des Pyrénées, marbre blanc ou gris de Saint-Béat et d’Arguenos ; la presque totalité des statues sont en marbre d’Italie et, par conséquent, ne peuvent fournir aucune indication sur le talent des sculpteurs toulousains à l’époque romaine.

          Les sculptures architecturales sont en assez grand nombre ; on y remarque plusieurs chapiteaux corinthiens, des portions de pilastres richement ornées de rinceaux ou de feuilles d’acanthe, des antéfixes, des pilastres cannelés, des fragments de frises et de corniche. Pour la petite décoration architectonique de l’intérieur des pièces, on avait fait usage de marbres de couleur (griotte verte et rouge, brèche jaune et diaprée), toujours des Pyrénées. Citons aussi les restes de plusieurs vases décoratifs en marbre d’Italie ou même en onyx oriental.

          Nous trouvons ensuite une série importante de bas-reliefs en marbre des Pyrénées. D’abord, une suite de médaillons circulaires (diam. 0m,80 ou 90) portant en haut-relief le buste des douze grands dieux (?), auxquels ont dû être ajoutés quelques autres comme Mithra (5) et Hygie. Ensuite une série de panneaux rectangulaires (1m x 1m,40), portant sculptés en haut relief les travaux d’Hercule. La conception ne manque pas d’énergie, mais l’exécution est par endroits bien médiocre ; le dessin notamment est très fautif. Il reste des portions considérables de sept travaux et de petits fragments des autres.

          Citons pour mémoire huit masques bacchiques et une curieuse plaque rectangulaire contenant dix-sept masques scéniques, pour en venir aux œuvres en ronde bosse en tête desquelles il faut placer l’admirable tête de la Vénus de Martres, excellente réplique de la Cnidienne. Énumérons rapidement deux têtes et un petit torse de Vénus, ce dernier rappelant les marbres alexandrins, une tête d’Arès, une tète et deux statuettes d’Athéna, deux torses d’Artémis, un joli bas-relief de l’enlèvement de Proserpine, un fragment d’un enlèvement de Ganymède, une tète de Niobide (?), une statue acéphale d’Asklepios, deux statuettes d’Hygie, cinq statuettes de Héraclès, plus ou moins mutilés, dont l’une d’Héraklès enfant, quatre têtes et deux torses de Dionysos, six Ariane (une statue et cinq têtes), deux hermès (Dionysos Indien et Ariane), toute une série de Satyres, de personnages bacchiques, une Naïade, un Fleuve, une Tyché, une Niké, un bas-relief mithriaque très mutilé. Ajoutons-y une triade égyptienne formée par les statues de Sarapis debout, Isis et Harpocrate et nous aurons à peu près terminé la liste des sculptures religieuses. Puis, quelques sculptures de divers genres ; un bas-relief avec le portrait de Socrate (?), un torse de philosophe ; une tète de Démosthène, dont j’ai longuement admiré l’énergie, deux tètes de barbare, un groupe très mutilé de Rome entre deux captifs (6), une curieuse réplique du pêcheur noir du musée Pie-Clémentin, enfin, une série d’animaux ainsi que de fragments non identifiés.

          Nous trouvons ensuite une série très importante de soixante-treize bustes d’époque romaine. Les empereurs représentés sont Auguste, Trajan (quatre bustes), Hadrien, Antonin, Marc-Aurèle, deux Annius Verus (?), deux Commode, quatre Septime-Sévère, Caracalla, Pupien, Gordien III, et peut-être Volusien et Gallien. Une suite de bustes de personnages inconnus nous donne évidemment les portraits d’un certain nombre d’habitants ,ou de propriétaires de la villa.

          A de rares exceptions, par exemple l’Isis, toutes ces statues et statuettes, tous ces bustes sont, je le répète, en marbre grec ou italien ; il faut y voir, par conséquent, des œuvres importées.

          Après avoir décrit les sculptures, M. Joulin cherche à déterminer la chronologie des constructions successives de la villa ; il y distingue quatre états, qu’il est arrivé à reconnaître par une étude minutieuse des maçonneries et qu’il rapporte respectivement aux époques d’Auguste, de Trajan, d’Antonin et de Constantin.

          Un dernier chapitre contient le résultat des fouilles et sondages opérés par M. Joulin dans une série de villas ou de villages romains de la plaine de Martres, à Sana (mosaïque), à Saint-Cizy (nécropole), à Marignac, à Bordier et au Tuc de Mourlan.

          Deux longs appendices, d’un intérêt moins vif, contiennent, l’un la description détaillée des maçonneries et des aires des bâtiments et des ouvrages, l’autre, l’inventaire des objets recueillis dans les fouilles et répartition par bâtiments, ouvrages et amas de décombres.

          Vingt-deux planches en phototypie, reproduisent d’une façon très fidèle les moindres fragments de sculpture trouvés à Martres-Tolosanes, non seulement par M. Joulin, mais aussi par tous ses prédécesseurs. Les lettres A, B, G, D, E jointes à chaque figure indiquent la date de la découverte (A = av. 1800 ; B = 1826 ; C = 1840 ; D = 1890 ; E = 1897).

          Les épigraphistes regretteront que les inscriptions soient reproduites sur la pl. V en photographies minuscules (cf. aussi pl. XXIV, n. 307), avec un texte très insuffisant et très dispersé (p. 77-78, p. 168, 170, 175-178, cf. p. 15), où ne manquent que les noms de Sacaze et de Hirschfeld. C’est ainsi que personne ne peut deviner que les inscriptions nn. 42 et 45, 46, 47 de la pl. V sont inédites, tandis que les nn. 40, 41 et 48 figurent déjà dans le t. XIII du Corpus. Les quelques lignes de la p. 74 sur les marques de potier sont aussi bien laconiques ; comment M. Joulin sait-il que ces noms « n’offrent rien d’intéressant » ? Je les ai copiés en 1902 et j’ai cru constater qu’il y avait là de la poterie de Banassac (ou de la Graufesenque) et non de la poterie de Lezoux. Le graffite CRAXSANII doit se lire CRAXSANTI. M. Valadier m’a donné deux fragments d’inscriptions trouvés à Saint-Cizy et que M. Joulin a trouvés trop insignifiants pour être reproduits.

          En résumé, l’ouvrage de M. Joulin offre quelques lacunes ; les chapitres qui y manquent (peut-être faute de place) figureront sans doute dans le futur catalogue du musée de Toulouse. L’érudition archéologique de M. Joulin est sobre et de bon aloi. On ne relève dans son ouvrage ni enthousiasmes exagérés, ni hypothèses aventureuses et l’on peut affirmer que jamais emplacement gallo-romain n’a été exploré avec plus de soin et de compétence. Les connaissances spéciales de l’auteur l’ont admirablement servi dans l’exécution de ces relevés difficiles ; si, dans la description des sculptures recueillies, M. Joulin s’est montré un peu avare de détails, il a fait preuve, là comme ailleurs, d’un goût tout scientifique de la précision.

                                                             Seymour de Ricci

(1) C. I. L. XII, 5411 ; Sacaze, Inscr. (1829), p. 105, n. 55 ; Dumège, Descr.mus. Toulouse (1835), p. 93, note. 

(2) Une description beaucoup meilleure de ces marbres, ainsi que de ceux trouvés en 1840-1843, est donnée par Roschach, Musée de Toulouse, catalogue des antiquités et des objets d’art (Toulouse, 1865, in-8°), pp. 15-35.

(3) Bull. arch. du Comité des trav. hist., 1891, p. 396-423 et Notice sur les fouilles de Martres dans la Revue des Pyrénées, 1891, p. 573.

(4) Cf. maintenant S. Reinach, Recueil de têtes antiques, p. 136-137, pl. 173-174. 

(5) Manque ainsi que celui cité plus bas dans le grand ouvrage de M. Cumont, 

Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra

(6) M. Joulin y voit un Empereur et ne renvoie pas au groupe identique publié dans S. Reinach, Répertoire, II, p. 272, n. 7.