Clerc, Michel - Arnaud d’Agnel, G.: Découvertes archéologiques à Marseille. 111 pages, 3 pl. en couleur, 6 photographies et 20 fig.
(Marseille 1904)
Compte rendu par Joseph Déchelette, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 181-183
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Michel Clerc et G. Arnaud d’Agnel. Découvertes archéologiques à Marseille. Marseille, 1904 ; 111 pages, 3 pl. en couleur, 6 photographies et 20 fig.


          Après l’opuscule de M. Vasseur, voici un nouveau volume sur les divers types de céramique antique, recueillis sur le sol marseillais. Les deux auteurs les ont classés en cinq chapitres. I. Périodes néolithique et ligure. II. Poteries grises à décor estampé. III. Vases peints grecs. IV. Poteries d’époque romaine. V. Poteries chrétiennes. Le chapitre VI est relatif à divers objets, marbre, terre cuite, verres, or et monnaies.

          Au cours des grands travaux de voirie exécutés à Marseille il y a un certain nombre d’années, les observations archéologiques ont été très clairsemées. Pour combler les lacunes des collections du Musée et grâce à un crédit alloué par la ville de Marseille, MM. Clerc et Armand d’Agnel [sic] ont eu la bonne pensée de pratiquer des sondages sur un point parsemé de débris de poterie, à savoir les deux talus en terre qui surmontent la montée de la Tourette. La céramique peinte de la Grèce n’est représentée que par des tessons, mais ce sont d’intéressants témoins de l’occupation hellénique. On avait recueilli autrefois dans les tombeaux du bassin de carénage des vases de style géométrique antérieurs au VIIe  siècle et, par conséquent, à l’établissement de la colonie. Une lacune subsistait jusqu’à ce jour entre ces vases primitifs et les vases à figures rouges du IVe siècle. Elle est aujourd’hui comblée par la découverte de spécimens de style géométrique ionien et de vases à figures noires.

          Les types de l’époque romaine démontrent une fois de plus l’importance de l’exportation des grands ateliers de la Gaule méridionale. Quant aux officines d’Arles, leur existence ne me semble pas démontrée.

          Au sujet des poteries grises à décor estampé, je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit à propos de l’opuscule de M. Vasseur, et cela avec d’autant plus d’assurance et de certitude que les planches excellentes de ce nouveau recueil nous procurent des documents plus abondants et plus typiques encore que les précédents. Ligures, pour M. Vasseur, ces vases seraient, suivant les conjectures des deux auteurs, le produit de fabriques sises à Marseille et dans le voisinage immédiat. Leur décor dériverait de types préhistoriques, influencés par la céramique grecque du VIIe siècle.

          Or, il faut tout uniment rajeunir ce groupe céramique d’un millier d’années, pour le moins. L’an dernier, un explorateur des stations antiques de l’Auvergne, M. Delort, publiait, sous la rubrique Époque Gauloise, une série de sépultures mérovingiennes. Je crus devoir faire observer à l’auteur que ce classement était erroné et M. Delort reconnut que ma rectification était exacte. Il avait était induit en erreur par ces mêmes poteries à décor estampé. Consulté récemment par MM. Clerc et Arnaud d’Agnel, je leur ai fait connaître mon opinion sur cette question. Ils affirment dans leur ouvrage qu’elle leur semble inadmissible. Je regrette qu’ils n’aient pas insisté, en me demandant sur quels faits je m’appuyais. Mes raisons, les voici indiquées en quelques mots ;

          1° Il est inexact de dire que cette céramique est localisée en Provence. Il n’existe encore, il est vrai, aucune étude d’ensemble sur cette matière, mais si MM. Clerc et Arnaud d’Agnel consultent les notices de Parenteau et de M. Girault (1) sur les trouvailles de Nantes et de Bordeaux, ils acquerront la conviction que les vases de la Provence sont de même espèce.

          2° Les spécimens les plus importants de cette série, encore inédits, sont les vases du musée de Narbonne. Un exemplaire a été recueilli dans un sépulcre avec des monnaies de Valérien (253-360) et d’Arcadius (395-408).

          3° Les fouilles de Martres-Tolosanes en ont livré quelques échantillons typiques. L’un d’eux est reproduit à très petite échelle sur une des planches de l’ouvrage de M. Joulin (Etablissements gall.-rom. de Martres-Tolosanes, pl. 7,

78).

          4° Comme la statistique des découvertes ne comprend que des localités situées au sud de la Loire, on doit classer cette céramique parmi les produits de l’industrie visigothique.

          Je m’étonne d’autant plus de l’erreur commise par MM. Clerc et Arnaud

d’Agnel qu’ils ont consacré un chapitre de leur ouvrage aux poteries chrétiennes, rentrant précisément dans ce même groupe. Comment n’ont-ils pas remarqué que le curieux fragment, estampé de médaillons représentant un cerf (pl. II, 5)[,] n’a rien à voir avec la poterie préhistorique ? C’est un des divers emblèmes chrétiens qui décorent les vases visigothiques. Il suffit, pour le démontrer, de le rapprocher d’un motif des poteries bordelaises, ou l’annimal [sic] est accompagné d’un nom barbare sans doute mal orthographié. La plume de paon, le soleil, la croix, etc. sont encore d’autres symboles similaires qui accompagnent, sur les exemplaires de Bordeaux, le cerf, la colombe et l’oiseau. La technique est d’ailleurs antérieure à l’époque chrétienne.

          Dans quelles conditions et sous quelles influences cette céramique estampée a-t-elle pris naissance ? C’est une question très complexe et c’est sans doute dans la région du Danube qu’elle pourra être résolue. M. Hampel, directeur du Musée de Budapest, estime que cette technique est due à une survivance des traditions industrielles celtiques dans les régions germaniques et son opinion me paraît tout à fait fondée. Elle explique précisément les confusions que je viens d’indiquer. Ce n’est pas la première fois que l’on attribue aux Celtes ou à leurs contemporains ce qui appartient aux Germains, et de ces erreurs se dégagent des constatations intéressantes sur un des éléments constitutifs de l’art barbare, à l’époque mérovingienne.

                                                             J[oseph] D[échelette]

(1) Parenteau, Catal. du Musée de Nantes ; — Girault, Actes de la Soc. archéol. de Bordeaux, t. III, p. 38. Cf. C. Jullian, Inscriptions de Bordeaux, t. II, p. 56.