Svoronos, J. Ν.: Das Athener Nationalmuseum. Livr. 1 et 2. In-4°, 85 p. et 20 planches.
(Athènes, Beck et Barth 1903)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 189-192
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J. N. Svoronos. Das Athener Nationalmuseum. Livr. 1 et 2. Athènes, Beck et Barth, 1903. In-4°, 85 p. et 20 planches.


           Dans les deux premières livraisons de cet utile ouvrage, dont on promet 6-8 fascicules par an, M. Svoronos a publié et commenté l’importante collection de statues en bronze et en marbre qui, en 1900 et 1901, ont été retirées de la mer près de Cerigotto. Les travaux de sauvetage, fort difficiles et poursuivis avec des ressources insuffisantes, n’ont pas été achevés ; M. Svoronos demande, et tous les archéologues s’associeront à son vœu, qu’ils soient repris le plus tôt possible, avec tous les moyens dont dispose actuellement la science.

          Ces objets d’art formaient la cargaison d’un navire dont on a retrouvé quelques restes. Les bronzes n’ont pas été trop maltraités par un séjour d’au moins quinze siècles au fond de la mer ; le plus beau de tous, connu sous le nom d’Hermès, a pu être parfaitement restauré par M. André. Malheureusement, à une exception près, les marbres sont dans un état pitoyable ; on ne reconnaît guère que les silhouettes des statues. Mais ces silhouettes mêmes sont fort intéressantes et il faut savoir gré à M. Svoronos d’avoir tout publié.

          Après avoir raconté en détail l’histoire presque romanesque de ces fouilles sous-marines, l’éditeur expose une hypothèse nouvelle et ingénieuse sur la provenance du petit Musée qu’elles nous ont rendu. Ce serait l’ensemble des œuvres d’art qui, à l’époque de Pausanias, ornaient la ville et les temples d’Argos ; tout cela fut volé en bloc au IVe siècle et englouti dans une même catastrophe. M. Svoronos est revenu plusieurs fois sur cette hypothèse, qui mérite une très sérieuse attention. Je vais résumer brièvement ses notices en signalant, au passage, les arguments de l’auteur à l’appui de sa théorie argienne.

          1 (pl. I et 2 [sic]). Le grand bronze dit Hermès représente, suivant M. S., Persée tenant de la main droite étendue la tête de la Gorgone ; le même motif se voit sur des pierres gravées, des monnaies et des vases. Une des monnaies est précisément un bronze impérial d’Argos. Comme moi (Chronique des arts, 2 mars 1901), M. S. reconnaît dans cette belle statue le style de Lysippe, alors que d’autres ont songé à Praxitèle, Myron et même Alcamène.

          2 (pl. III et IV). A l’aide d’une tête barbue et de deux bras de bronze, M. S., avec le concours du dessinateur Lekas, a restitué une « statue de philosophe » du IIIe siècle avant J.-C. Le même type paraît sur des monnaies d’Argos ; ce serait celui d’une statue de Deinias, l’ami d’Aratos, l’auteur des Argolika, signalée par Pausanias sur l’agora d’Argos (Αἰνείου... ἀνδριάς, dans Pausanias, devrait être corrigé en Δεινίου ; c’est très plausible). 

          3 (pl. V, 4). Bras droit en bronze d’un pugiliste — Kreugas, suivant M. S. (Pausanias, II, 20, 1 ; cf. VIII, 40, 3).

          16 (pl. IX, 5). Lyre en bronze à 7 cordes, fragment d’une statue d’Apollon qui est reproduite sur certaines monnnaies [sic] impériales d’Argos.

          17 (pl. VI, 1-2). Statuette en bronze de jeune fille, du type des Caryatides de l’Erechthéion. Suivant M. S., ce serait une réplique de la Chloris mentionnée par Pausanias dans le temple de Latone à Argos, type qui parait sur des monnaies de cette ville.

          18 (pl. VIII, 2). Statuette en bronze d’Apollon, du Ve siècle et du style de Polyclète.

          19 (pl. VII). Statuette en bronze de Diomède, le héros argien ; le même type paraît sur une monnaie impériale d’Argos.

          20 (pl. VIII, 1). Hermès discobole, peut-être (comme l’a supposé M. Bosanquet) d’après le discobole de l’Argien Naucydès.

          21 (pl. IX, 6 et X). Singulier instrument du bronze, où M. S. a reconnu un astrolabe et qui a été décrit avec détail par le lieutenant de vaisseau Périclès Rediadis. Il porte une inscription mutilée où M. Wilhelm a lu ou restitué les mots μοιρογνωμόνιον, ἡλίου ἀκτῖνα, ἥλιον. 

          22 (pl. IX, 1-4). Lit de bronze, analogue à ceux qu’on a trouvés à Boscoreale (Arch. Anz., 1900, p. 178) et à Priène (Jahrb. des Inst., t. XVII, 125).

          Les statues suivantes sont en marbre ;

          23 (pl. XI, 1). Réplique acéphale de l’Héraklès Farnèse, de même grandeur (2m,50 de haut). M. S. fait observer que la plus ancienne monnaie où paraisse ce type a été frappée vers 300 av. J.-C. à Argos ou à Sicyone. Quel moment de la vie du héros a voulu représenter Lysippe ? La question est encore litigieuse. M. S. attribue beaucoup d’importance au rocher sur lequel Héraklès appuie sa massue ; ce serait ἀγέλαστος πέτρα à l’entrée de l’Enfer, près de laquelle il se repose avant d’y descendre. Il va tout à l’heure franchir la porte infernale, πύλος, dont Aristarque voulait trouver la mention dans Iliade V, 397, là où d’autres lisaient Πύλος, villle de Messénie. A Lerne en Argolide, il y avait justement une des nombreuses entrées de l’Enfer (Pausanias, II, 36, 7). M. S. conclut que l’original de l’Héraklès Farnèse était à Argos, qu’il trouvait son explication dans la mythologie locale et que la statue de Cerigotto est une copie en marbre du grand bronze de Lysippe. Je ne crois pas du tout à l’histoire de l’ἀγέλαστος πέτρα, mais M. S. paraît y tenir beaucoup. Le rocher sur lequel l’Hermès du type dit Jason appuie sa jambe levée serait aussi l’ἀγέλαστος πέτρα, car Hermès est psychopompe de son métier et va ainsi pénétrer dans les Enfers. Poséidon parait dans la même attitude ; c’est qu’Amymone est la nymphe éponyme de la source chthonienne de Lerne. Et Melpomène ? Mais c’est la muse de la tragédie, du « chant de la mort » (Todesgesang). Orphée et Odysseus ont aussi parfois le pied sur un  rocher ; c’est toujours cette pierre « sans rire ». Faut-il ajouter : Risum teneatis ? Mais M. S., que je n’ai pas toujours pris au sérieux, a décidément beaucoup de savoir et beaucoup d’esprit ; c’est le plus original des archéologues grecs. 

          24 (pl. XI, 2). Grand Apollon déplorablement conservé ; même type sur des monnaies d’Argos, où l’on a reconnu l’Apollon lycien de l’Athénien Attale (Paus., II, 19, 3).

          25-26 (pl. XII, 1, 2). Deux statues-portraits de jeunes guerriers combattant, groupe identifié à celui que décrit Pausanias (II, 20, 7) au théâtre d’Argos et qui représentait le combat de l’Argien Perilaos et du Spartiate Othryadas. Le prétendu Othryadas a été pris d’abord pour un ἀποσκοπεύων. 

          27-28 (pi. XIII, 1, 2). Deux grandes statues représentant Diomède et Ulysse, dans l’épisode du vol du Palladion.

          29 (pl. XIV, 4). Statue colossale représentant peut-être Diomède casqué et cuirassé (statue de l’agora d’Argos, Paus., II, 4, 5).

          30 (pl. XIV, 3). Archer, analogue à Rép., II, 99, 8.

          31 (pl. XIV, 2). Homme casqué, suivant M. S. Aegyptos ou Danaos.

          33 (pl. XIII, 4). Tireur d’arc, peut-être Héraklès combattant les oiseaux de Stymphale, peut-être aussi un joueur de lyre (?).

          34 (pl. XIII, 3). Homme marchant, comme s’il traînait un fardeau ; peut-être Cléobis ou Biton d’Argos ?

          35 (pl. XV, 1). Statue du type de l’Hermès d’Aegion.

          36 (pl. XV, 2). Hermès au repos.

          40 (pl. XVI, 2). Fragment d’une réplique de l’Aphrodite de Cnide.

          92-95 (pl. XX). Quatre chevaux ayant fait partie d’un quadrige romain analogue à celui de Venise ; les encolures sont décorées de reliefs parmi lesquels on aperçoit (pas sur la photographie) un A de forme argienne. Une monnaie impériale d’Argos semble prouver qu’il existait, dans cette ville, un arc de triomphe romain surmonté d’un quadrige.

          Je laisse de côté nombre d’autres statues horriblement abîmées, où l’on peut reconnaître Apollon, Asklépios, Hermès, un guerrier, etc. Parmi les petits objets recueillis, le plus joli est une charmante boucle d’oreille en or (fig. 68) ; il y a aussi une ancre de fer (fig. 71) et des vases.

          L’hypothèse que le navire naufragé aurait été celui de Sylla dont parle Lucien (Zeuxis 3) ne soutient pas l’examen, car, parmi les œuvres décrites plus haut, il y en a qui sont évidemment postérieures à cette époque. M. S. a rappelé que Constantin, lors de la construction de sa nouvelle capitale, réunit, par voie de pillage, une foule de statues de bronze et de marbre tirées de diverses villes (Codinus, Περὶ ἀγαλμάτ., p. 16). Cela est confirmé par saint Jérôme et d’autres auteurs. Eusèbe dit que Constantin fit aussi enlever les tuiles des temples païens ; or, précisément, il y avait un grand nombre de ces tuiles dans la cargaison du navire de Cerigotto. Je considère que M. S. est parfaitement justifié à maintenir l’hypothèse que cette cargaison provient du pillage d’Argos, organisé sur l’ordre de Constantin ; elle ne sera évidemment prouvée que le jour, où de nouvelles fouilles auront fait découvrir, parmi les débris du bateau, des monnaies du IVe siècle, qui ne pouvaient manquer à bord ; mais, jusque-là, ou même en l’absence de trouvailles de ce genre, il faudra reconnaître que la théorie de M. S. n’est pas seulement intéressante, mais vraisemblable. Le fait que Cerigotto n’est pas sur la route d’Argos à Constantinople ne peut être allégué comme une objection, à l’époque de la navigation à voiles ; M. S. rappelle à propos qu’un des navires de Lord Elgin, après avoir atteint le cap Tenare, fut jeté par un formidable vent d’ouest sur la côte de Cythère.

                                               S[alomon] R[einach]