Falke, Otto von - Frauberger, Heinrich: Deutsche Schmelzarbeiten des Mittelalters und andere Kunstwerke der Kunsthistorischen Ausstellung zu Düsseldorf 1902. In-4°, vi-152 pages avec 25 pl. en couleurs, 130 pl. et 55 fig.
(Frankfurt-am-Main, J. Baer und C°, und H. Keller 1904)
Compte rendu par Jean-Joseph Marquet de Vasselot, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 285-287
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Deutsche Schmelzarbeiten des Mittelalters und andere Kunstwerke der Kunsthistorischen Ausstellung zu Düsseldorf 1902. Herausgegeben von Otto von Falke und Heinrich Frauberger. Frankfurt-am-Main, J. Baer und C°, und H. Keller, 1904, in-4°, vi-152 pages avec 25 pl. en couleurs, 130 pl. et 55 fig.


          L’un des principaux attraits de l’exposition rétrospective de Dusseldorf avait été la réunion d’une suite nombreuse de châsses allemandes des XIIe et XIIIe siècles. L’heureux succès de cette exposition ayant permis d’entreprendre un ouvrage abondamment illustré, destiné à en perpétuer le souvenir, il sembla que rien ne serait plus utile que de publier une étude sur l’émaillerie allemande, dont les grandes châsses constituent les monuments les plus importants. M. Otto von Falke, l’actif et savant directeur du Musée des arts industriels de Cologne, fut chargé de ce travail, dont la partie matérielle fut surveillée par M. Frauberger, directeur du Musée des Arts industriels de Dusseldorf  ; le livre qu’ils nous donnent aujourd’hui leur fait le plus grand honneur. 

          Depuis longtemps, sans doute, l’émaillerie rhénane avait été étudiée ; mais les conclusions données dans des articles épars n’avaient jamais été réunies et contrôlées. La question, à vrai dire, était délicate, car il s’agissait non seulement de grouper les émaux rhénans dans un ordre logique, mais encore de les séparer des émaux mosans avec lesquels ils sont trop souvent confondus.

          M. von Falke a divisé son travail en quatre chapitres. Il a étudié d’abord les émaux cloisonnés sur or, exécutés à Trêves dès le Xe siècle à l’imitation de modèles byzantins ; puis les pièces d’orfèvrerie niellées, dont les plus importantes ont été fabriquées durant la première moitié du XIe siècle par le moine Rogkerus, du couvent bénédictin de Helmershausen dans le diocèse de Paderborn ; ensuite les émaux sur cuivre du XIIe et du XIIIe siècle ; enfin les émaux translucides sur argent, du XIVe siècle.

          De ces quatre chapitres, le plus important, et de beaucoup, est le troisième, qui ne comporte pas moins de cent pages.

          M. von Falke montre d’abord que le centre de l’émaillerie rhénane a été la ville de Cologne, et plus particulièrement le couvent de Saint-Pantaléon. Les plus anciennes de ces œuvres colonaises peuvent se grouper autour de l’autel portatif du trésor des Guelfes à Vienne, qui est signé « Eilbertus Coloniensis me fecit » ; l’une d’entre elles, la châsse de saint Victor à Xanten, date de 1129, et l’on peut croire que toutes ont vu le jour durant le second quart du XIIe siècle.

          Un peu plus tard apparaissent les premières œuvres du moine Frédéric, de Saint-Pantaléon, parmi lesquelles il faut citer l’autel portatif de Siegburg, la châsse de Darmstadt, et les châsses à coupoles de Vienne et du South-Kensington Museum, vers 1160-1170.

          Le même style, mais plus développé, se retrouve dans un second groupe, qui comprend notamment la croix de Saint-Pantaléon, la châsse de sainte Ursule à Cologne, et la châsse de saint Maurin à Cologne, où le moine Frédéric a pris soin de se figurer lui-même. Toutes ces pièces, dont la dernière compte parmi les chefs-d’œuvre de l’émaillerie médiévale, ont dû être fabriquées durant le troisième quart du XIIe siècle.

          La production de l’atelier de Saint-Pantaléon à la fin du XIIe siècle est représentée par la châsse de saint Anno à Siegburg, terminée en 1183, celle de saint Albin à Cologne, et enfin la grande châsse des Rois Mages, à Cologne, dont la fabrication, achevée vers 1210, parait avoir duré près de trente ans.

          En face de cet atelier colonais si fécond, qui a travaillé pendant trois quarts de siècle à l’ombre d’un cloître et n’a guère produit que des œuvres de grandes dimensions, se place celui des bords de la Meuse, dirigé par Godefroi de Claire. C’est une curieuse figure d’artiste que celle de cet orfèvre laïque, qui, né à Huy vers 1100 ou 1110, voyagea en divers pays, travailla à Liège, à Deutz, à Maestricht et, devenu vieux, rentra dans sa ville natale en 1173, après vingt-sept ans d’absence, pour finir ses jours dans un monastère. Son œuvre principale, le retable de Stavelot, a été presque entièrement détruite ; mais il reste de lui, outre une quantité considérable de petits monuments et de pièces secondaires (comme le reliquaire du bras de Charlemagne, au Louvre), l’admirable châsse de saint Héribert de Deutz, datée de 1155 environ.

          A côté de ces deux ateliers principaux, M. von Falke en a déterminé de moins importants ; d’abord celui de Verdun (avec le célèbre retable de Klosterneubourg, daté de 1181), ceux de Trêves et de Coblenz ; puis celui d’Aix-la-Chapelle (châsse de Charlemagne, vers 1200-1215 ; châsse des Grandes reliques, avant 1238 ; châsse de sainte Elisabeth à Marburg, vers 1250 ; châsse de saint Remacle à Stavelot, vers 1265) ; enfin l’atelier de Hildesheim, dont la pièce la plus caractéristique, le reliquaire de saint Henri, est conservée au Louvre.

          Le dernier chapitre est consacré aux émaux du XIVe siècle, soit encore champlevés, comme ceux de l’atelier dit de Vienne, soit translucides sur argent. L’ouvrage se termine par une liste descriptive des objets reproduits dans les planches.

          Le plan de cet important et très intéressant travail, commandé par les divisions mêmes du sujet, est clair et logique ; pourtant certains chapitres laissent une impression un peu confuse. Cela tient sans doute à ce que M. von Falke, croyant ses lecteurs très avertis, n’a pas toujours pris soin de bien préciser d’abord les données certaines d’où il partait, ni de montrer comment il procédait du connu à l’inconnu ; plusieurs fois (p. 26, 61-63), il s’est appuyé sur des documents essentiels qu’il n’avait pas encore mentionnés.

          Peut-être aussi s’est-il laissé parfois un peu entraîner à vouloir trop préciser, en reconnaissant dans certaines pièces des œuvres, non seulement d’un même atelier, mais d’une même main. Si habiles qu’aient été Godefroi de Glaire et le moine Frédéric, l’on ne doit pas oublier que la personnalité artistique (v. p. 20, 42, 68) n’avait pas encore, au XIIe siècle, pris un très grand développement, et que le travail, dans ces ateliers féconds, devait conserver souvent un caractère relativement collectif.

          Parmi les points de détail, il en est un qui aurait mérité quelques explications. A propos de diverses pièces colonaises, M. von Falke a signalé (p. 28, 30) l’aspect particulier de certaines fleurs stylisées, employées par les émailleurs, qui dérivent de modèles byzantins. Peut-être aurait-il fallu revenir sur cette question d’origine à propos d’autres pièces de l’atelier de Saint-Pantaléon, notamment du reliquaire à coupole du South-Kensington Museum (p. 36) ; car cette fois encore l’influence byzantine est indéniable ; de nombreux manuscrits grecs présentent les mêmes fleurs stylisées, qui ont été reproduites d’une part par les émailleurs et les enlumineurs occidentaux, tant d’Allemagne que de France, et d’autre part par les musulmans, qui ont employé à profusion ce motif dans toutes les branches des arts industriels.

          Nous aurions voulu également que l’auteur s’expliquât moins brièvement au sujet d’un objet bien connu, dont la nationalité à été discutée ; la crosse du musée du Bargello. M. von Falke serait assez disposé à la considérer comme française, mais l’influence mosane y semble indéniable (ainsi que dans les deux coupes du même style conservées en Angleterre), et dans aucune pièce limousine l’on ne retrouve ni ces formes, ni ces dispositions de sujets, ni ces longues légendes.

          Il ne faudrait d’ailleurs pas attacher trop d’importance à ces critiques, qui ne portent que sur des points de détail. Le livre de M. von Falke abonde, au contraire, en idées générales très justes et en observations nouvelles.

          Ainsi M. von Falke paraît avoir pleinement raison d’attribuer aux ateliers rhénans ces figures d’applique en os, d’un style très grossier, qui décorent soit certains coffrets, soit certaines pièces émaillées. Les arguments qu’il donne en faveur de leur origine germanique (p. 33) réfutent l’hypothèse de M. Emile Molinier, qui supposait que ces figures étaient l’œuvre d’artistes occidentaux travaillant à Constantinople.

          Il faut louer également la prudence dont l’auteur a fait preuve dans le bref chapitre qu’il a consacré aux émaux translucides du XIVe siècle. La question, en effet, est très obscure, et les attributions qui ont cours actuellement semblent absolument fantaisistes, car l’on n’a pas hésité à donner à l’Allemagne des pièces portant des poinçons français, et à l’Angleterre ou à l’Allemagne d’autres pièces sûrement italiennes. Nous ne pouvons que mentionner ici ce fait, sur lequel nous comptons revenir ailleurs.

          Ces trop longues observations voudraient montrer quel intérêt considérable présente, pour l’histoire générale des arts industriels, le beau livre de M. von Falke. Il serait à souhaiter qu’un savant français étudiât avec autant de méthode notre émaillerie limousine, pour laquelle une histoire raisonnée et critique fait encore défaut.

                                        J[ean]-J[oseph] Marquet de Vasselot