Moret, A.: Du caractère religieux de la royauté pharaonique (Annales du Musée Guimet ; Bibliothèque d’Études, t. XV). Viii-344 p., in-8°.
(Paris, Leroux 1902)
Compte rendu par Henri Hubert, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 429-431
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A. Moret. Du caractère religieux de la royauté pharaonique (Annales du Musée Guimet ; Bibliothèque d’Études, t. XV). Paris, Leroux, 1902, viii-344 p., in-8°.


          M. Moret rappelle au début, et aussi à la fin de son livre le nom de Fustel de Coulanges et la démonstration qu’il a faite du caractère religieux de la royauté primitive chez les Grecs et chez les Romains. Depuis lors, tant de faits nouveaux ont été rassemblés et interprétés qu’on a pu généraliser ses conclusions. 1° dans les sociétés qui sont à la fois politiques et religieuses, les chefs politiques sont investis de pouvoirs sacerdotaux ; 2° l’autorité politique du chef est difficile à distinguer de ses qualités ou de ses aptitudes religieuses ; 3° enfin, il y a lieu de se demander si les fonctions premières et originales du chef politique ne sont pas des fonctions religieuses. M. M. apporte à l’étude de ces faits une contribution très importante. Les Egyptiens, qu’il étudie par profession, ont constitué avec une logique remarquable la théorie de la royauté ; cette logique a produit tout un ensemble d’institutions parfaitement liées où s’exprime le caractère religieux de la royauté pharaonique.

          M. M. a divisé son travail en trois parties qu’il résume de la façon suivante (p. 3) ; 1° « Le roi est le fils, l’héritier, le successeur des dieux » ; 2° « Comme tel, il rend le culte de famille aux dieux ses ancêtres et devient le chef de la religion » ; 3° « En tant que prêtre, le roi reçoit lui-même les honneurs divins, sans lesquels il n’a pas qualité pour servir d’intermédiaire entre les dieux et les hommes ».

          1° Les premiers rois des Égyptiens furent leurs dieux. Le pharaon régnant est leur successeur de fait, mais il l’est aussi de droit ; car les dieux l’ont constitué leur héritier par testament, par un acte juridique. Il l’est aussi par droit de naissance ; il est l’héritier naturel du trône comme premier né de la famille divine, comme petit-fils des dieux. Ce n’est pas tout ; il est encore considéré comme une incarnation d’Horus ; c’est un Horus vivant ; représentant d’Horus, il est identique à Horus. Ces qualités superposées suffiraient à la rigueur pour lui constituer un droit divin. Cependant les Egyptiens ne s’en sont pas contentés. On a imaginé une filiation directe entre le dieu principal et le roi. Celui-ci est le fruit d’une théogamie laquelle est figurée dans quelques temples. Amon-Ra choisit la mère du pharaon ; il annonce son choix aux dieux ; puis il s’approche solennellement de l’élue ; les paroles qu’elle prononce en le voyant sont relevées par le dieu et fournissent un des noms solaires du fils qui doit naître ; plus tard, les dieux assistent l’accouchée, mondent le nouveau-né du fluide de vie, l’allaitent, et les déesses font son éducation. M. M. démontre que la théogamie n’a pas été imaginée seulement pour quelques pharaons de naissance douteuse, mais qu’elle est de règle. Généralement le futur pharaon est adopté par son père, dès son adolescence. Les cérémonies d’intronisation lui confirment alors son caractère divin ; il est purifié complètement, c’est-à-dire sanctifié, puis présenté aux dieux et à la cour, couronné, ce qui est une nouvelle sanctification, enfin conduit à la statue du dieu principal par un prêtre revêtu du costume divin ; il embrasse la statue et reçoit dans cette accolade sa divinisation définitive[.] M. M., dans un long chapitre, établit que la titulature si compliquée du pharaon porte témoignage de sa divinité. Elle se compose des noms spéciaux qu’il porte comme Horus et comme fils du soleil, puis de titres divins ; de ces noms, il en reçoit une partie à sa naissance, l’autre à son intronisation.

          2° Le Pharaon, fils et successeur des dieux, est tenu de leur rendre le culte ancestral. Comme le culte divin se réduit absolument au culte ancestral le pharaon en est théoriquement le prêtre unique, ou plutôt c’est de lui qu’émanent tous les pouvoirs sacerdotaux ; les prêtres qui l’assistent ou le remplacent sont les auxiliaires réguliers du culte funéraire. En sa qualité de prêtre, le pharaon fonde et consacre, pour le service sacré, des temples avec des rites semblables à ceux de la fondation des tombeaux. Il est en outre chargé de célébrer, suivant les rites osiriens, le culte journalier des divers temples. M. M. a décrit ce culte dans un autre travail, publié dans la même collection. La théologie osirienne qui fait de tout mort, traité suivant les rites osiriens, un Osiris et un dieu a une conséquence importante. Tous les morts osiriens, quels qu’ils soient, appartiennent à la famille du pharaon et, par suite, attendent de lui le culte ancestral. C’est d’ailleurs en vertu du culte journalier et des formules qu’on y prononce qu’ils recouvrent les offrandes qui leur sont destinées ; la personne du pharaon s’interpose entre eux et leur propre famille ; leurs offrandes sont censées figurer sur la table divine et c’est le dieu qui partage entre les morts les mets qui lui sont servis par le roi. Celui-ci fait en outre des fondations funéraires au profit de certains morts privilégiés, officiers de sa cour ou autres : ceux-là étaient sûrs d’un service effectif d’offrandes. Elles restaient au contraire idéales pour ceux qui n’approchaient pas du pharaon et n’étaient pas connus de lui. Pour assurer aux morts des offrandes réelles, on traitait avec les prêtres ; des contrats, des fondations à perpétuité les associaient au culte du temple ; quelquefois on y déposait leur effigie, qui dans les processions, était portée à la suite des images divines.

          3° Chaque jour, avant le culte, le caractère divin du roi est renouvelé. La cérémonie se fait dans une chambre spéciale du temple où sont déposées les images du, ou des doubles royaux ; à défaut du roi, ce sont les doubles qui sont divinisés. Cette cérémonie comporte les mêmes phases que l’intronisation, purifications par Horus et Set, embrassement de la statue divine par le roi ou le double royal, remise des couronnes et insignes sacrés. M. M. nous fait remarquer que ce sont précisément les phases du culte divin ou du culte funéraire ; pour diviniser le roi, on le traite comme un mort osirien.

Cette cérémonie s’accomplissait avec plus de solennité les jours de grande fête où le roi devait rendre le culte en personne, mais surtout lors de grandes panégyries, dont le sens est resté jusqu’ici obscur, les fêtes sed. Le rituel, de ces cérémonies se compose des mêmes actes que celui de la divinisation journalière ; mais la fête n’est pas ici renfermée dans la chambre royale d’un temple, elle se déroule dans toute retendue d’une enceinte sacrée, elle est publique ; les délégués de l’Egypte entière, hommes et dieux, y assistent. M. Maspero avait supposé déjà que la fête était liée à l’inauguration d’un temple spécial ; M. M. démontre qu’elle a lieu à l’inauguration du temple que le roi élève, au commencement de son règne, à sa propre divinité ; elle a pour but de lui assurer des millions d’années de vie divine. 

          Pour finir, M. M. oppose à la divinité pharaonique la théocratie sacerdotale qui s’est établie en Egypte à la fin de la XXe dynastie. Le roi n’est plus alors un véritable dieu, mais c’est le dieu qui est roi. C’est sa statue qui tranche les affaires, à l’aide de signes qu’interprète le pharaon en exercice ; c’est également la statue qui, mécaniquement, élit le roi, en abaissant ses bras sur l’un des princes royaux qui défilent devant elle. Le portrait tracé par Diodore de la royauté égyptienne, dont la vie est, selon lui, minutieusement réglée par une discipline sacerdotale, s’applique aux pharaons de Napata.

          M. M. oppose également à la solution égyptienne du problème de la religiosité royale ce qu’on sait de la solution chaldéenne du même problème. Les anciens rois de Chaldée sont des « vicaires » de leur dieu ; ils se dépouillent de leurs insignes royaux dans le culte, alors que précisément les rois égyptiens se revêtent de leurs insignes royaux quand ils doivent agir comme prêtres.

          M. M. s’est placé dans son livre au point de vue des théologiens d’Héliopolis et autres lieux, qui ont élaboré la doctrine solaire et la doctrine osirienne, dans lesquelles la plus grande partie des croyances égyptiennes paraissent englobées et systématisées ; ce sont leurs idées qu’il nous expose ; leur point de départ étant admis, il nous fait accepter leurs conclusions. Dans ses dernières pages, il ajoute que la croyance au caractère divin était beaucoup plus profondément enracinée et que ce n’était pas seulement une croyance sacerdotale, mais une croyance populaire. On peut dire, sans qu’il soit nécessaire de le démontrer, que la notion du caractère divin de la royauté est logiquement antérieure au mythe des dynasties divines ; celui-ci est un produit naturel de l’évhémérisation régulière de la mythologie. Dans quelques phrases obscures de sa conclusion, M. M. paraît nous dire que c’est parce que les dieux ont été conçus sur le modèle des morts que le roi a été regardé comme leur fils et leur héritier. Je ne pense pas que cette conclusion s’impose ; il faudrait d’ailleurs expliquer encore pourquoi c’est le roi, chef politique, et non pas un prêtre, qui a été chargé du culte et tenu pour le fils des dieux. Ce qui ressort immédiatement des faits c’est que l’idée de pouvoir royal et celle de pouvoir divin se confondent dans une idée générale d’autorité sainte, qui n’est pas encore analysée. Quant à la divinisation qui précède le culte, nous n’avons pas lieu de nous en étonner ; ce n’est pas autre chose que la sanctification nécessaire du prêtre avant le rite ; elle résulte de l’application parfaite de la logique rituelle.

                                               H[enri] H[ubert]