Littmann, Enno: Zur Entzifferung der thamudenischen Inschriften (Mitteilungen der Vorderasiatischen Gesellschaft, 1904, 1 ; 112 p. et 13 pl.).
( 1904)
Compte rendu par René Dussaud, Revue Archéologique t. 3 (4e série), 1904-1, p. 440-442
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Enno Littmann. Zur Entzifferung der thamudenischen Inschriften (Mitteilungen der Vorderasiatischen Gesellschaft, 1904, 1 ; 112 p. et 13 pl.).


          L’activité de la Vorderasiatische Gesellschaft est remarquable. A côté de brochures à l’usage d’un assez large public, vulgarisation féconde où les savants s’essayent de première main à extraire des textes la matière historique, la Vorderasiatische Gesellschaft publie chaque année, depuis 1896, cinq ou six mémoires originaux de format et de grosseur variés. M. Enno Littmann ouvre l’année présente avec une excellente étude sur le déchiffrement des inscriptions proto-arabes. 

          Tout le monde connaît l’Essai sur l’histoire des Arabes avant l’islamisme de Caussin de Perceval qui, depuis 1847, reste le meilleur travail d’ensemble sur le sujet. Malheureusement les sources arabes, pour cette période, sont d’une autorité souvent incertaine ; on ne peut s’y fier que pour les événements les plus voisins de l’hégire. Mais voici que surgit toute une épigraphie arabe antéislamique, bien localisée puisqu’elle est gravée sur les rochers de basalte qui parsèment le désert de Syrie entre Damas et La Mecque. Si le lihyanique est plus voisin comme langue et comme écriture des langues sud-sémitiques (sabéen et himyarite), par contre le safaïtique et le thamoudéen écrits dans un alphabet sud-sémitique, sont des dialectes très voisins de l’arabe du Coran. Et à ce point de vue déjà, ces dialectes sont d’un grand intérêt. Dans les graffites qui nous les ont conservés, on est frappé de la longueur des généalogies. Cette constatation a son prix ; elle nous donne quelque confiance dans les généalogies que nous transmettent les auteurs arabes — bien entendu dans les limites où elles peuvent être historiques. D’autre part, ces noms propres sont des mots au sens facile à reconnaître (substantifs, adjectifs et même, formes verbales) ; ils enrichissent d’autant le lexique de la langue. A la suite de la généalogie apparaissent souvent quelques détails concernant la vie au désert et surtout des formules religieuses. Nous connaissons aujourd’hui le panthéon des Safaïtes et des Thamoudéens, ces païens endurcis contre lesquels le Prophète jettera l’anathème ; nous pouvons contrôler les renseignements assez maigres des sources arabes que Wellhausen a précieusement recueillis et magistralement commentés dans ses Reste arabischen Heidentums. Nous pénétrons d’autant mieux dans la vie des habitants du désert, que parfois un dessin illustre le texte. L’histoire trouve aussi à glaner. La mention des Romains, l’indication des résistances que les nomades offrent à leur pénétration, nous expliquent que les postes fortifiés, échelonnés par les autorités romaines le long des routes commerciales et à la limite des territoires sédentaires, servirent à contenir ces nomades. La résistance ne fut pas longue. La vassalité dans laquelle était tombé le royaume nabatéen amena sa disparition sous Trajan. La constitution de la province romaine d’Arabie marque un essor dans la colonisation des confins désertiques de la Syrie. Peu à peu, les Arabes safaïtes se répartissent en villages sur le versant Est du Djebel-Haurân, reculant les limites du désert. En même temps, ils abandonnent leur dialecte et, n’était leur onomastique bien caractérisée, on ne les reconnaîtrait plus dans les inscriptions grecques qu’ils gravent à l’envi. Cet apport de populations arabes qui, continuellement, s’infiltrent en Syrie, est un des phénomènes les plus constants ; mais il ne faudrait pas, comme le fait M. Winckler, modeler tous ces mouvements sur la brusque invasion suscitée par l’Islam. Bien au contraire, le plus souvent, la pénétration de l’élément arabe en Syrie s’est faite sans grand fracas, par l’attrait du sol cultivable. Hébreux, Nabatéens, Palmyréniens, Safaïtes, dynastes d’Émèse, se sont plus ou moins facilement frayé un passage, ils ont pénétré plus ou moins avant dans le territoire sédentaire, les caractères de leur immigration sont les mêmes : ils gardent leur culte sans négliger les cultes locaux, ils adoptent la langue du pays, mais ils restent longtemps groupés en colonies. 

          A cet afflux souvent répété correspond une émigration des populations de la côte de Syrie et du Liban, émigration dont on peut mesurer encore l’importance puisque certains États d’Amérique ont décidé de proscrire les Syriens à l’égal des Chinois et que nous-mêmes, à Konakry, nous serons peut-être obligés de prendre des mesures à leur égard.

          Ces mouvements, l’un d’immigration venant de l’Est, l’autre d’émigration vers l’Ouest, étaient si intimement liés qu’il n’y a pas à rechercher lequel des deux commandait l’autre. Déjà, quand Alexandre descendit vers l’Egypte en suivant la côte de Syrie, ce sont des Arabes qu’il reconnaît dans les populations de la montagne. Plus tard, sous le nom d’Arabes ituréens, on les signale jusque dans les environs de Tripoli de Syrie. La prétention des grandes familles libanaises de s’attribuer une origine arabe est des mieux fondées. On rencontre encore fréquemment, surtout chez les Druzes, la division entre parti yamanî et parti qaisi, qui dit assez qu’en se transplantant et malgré les croisements, les Arabes ont conservé le levain des vieilles querelles.

          Les inscriptions du désert de Syrie ne serviraient-elles qu’à nous fournir un exemple typique de la marche de l’élément arabe, des circonstances dans lesquelles il se déverse sur les territoires sédentaires pour se mêler à la population agricole et combler les vides de l’émigration qui atteint partout les populations montagnardes, achèveraient-elles ainsi de discréditer le roman historique d’Hérodote sur l’origine des Phéniciens venus avec armes et bagages du Golfe Persique pour caboter sur la Méditerranée, elles justifieraient le soin qu’on prend à les recueillir et à les déchiffrer.

          Le déchiffrement des textes safaïtiques, brillamment amorcé par M. Joseph Halévy, est devenu définitif en 1901 avec l’opuscule Zur Entzifferung der Safd-Inschriften de M. Enno Littmann. Du même coup l’alphabet thamoudéen était déterminé à quelques signes près. M. J. Halévy (Revue sémitique, 1901-1903) et M. Lidzbarski (Ephem. f. sem. Epigraphik, II, p. 29) ont utilisé à cet effet les copies rapportées par Huber et publiées dans son Journal d’un voyage en Arabie. M. Littmann a pu utiliser en plus les copies de M. J. Euting qui lui ont été cédées par M. D.-H. Müller, et rendre ainsi un nouveau et signalé service aux études d’épigraphie orientale. On pourra discuter sur tel ou tel mot ; le déchiffrement est acquis. Resterait à découvrir des textes en meilleur état que ceux relevés jusqu’ici.

          En appendice M. L. nous donne une étude sur les wasm ou signes de tribus. On sait que les tribus arabes marquent chacune d’un ou de plusieurs signes particuliers, soit leurs chameaux, soit les lieux qu’elles ont coutume de fréquenter. Couder avait émis l’avis que ces signes conservaient la forme des lettres des alphabets de l’Arabie méridionale. M. L. croit qu’il vaut mieux les rapprocher des alphabets safaïtique et thamoudéen. De fait, le tableau très complet qu’il en donne, s’explique bien ainsi et il est assez significatif que ces wasm se retrouvent déjà comme signes adventices dans les textes sinaïtiques. Ce n’est évidemment pas jeu du hasard.

                                                       R[ené] D[ussaud]