Boutaric, Edgard: Institutions militaires de la France avant les armées permanentes, suivies d’un aperçu des principaux changements survenus jusqu’à nos jours dans la for­mation de l’armée. 1 vol. in-8°
(Paris, Henri Plon 1863)
Compte rendu par H. B., Revue Archéologique 9, 1864-5, 2e série, p. 79-80
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Institutions militaires de la France avant les armées permanentes, suivies d’un aperçu des principaux changements survenus jusqu’à nos jours dans la for­mation de l’armée, par Edgard Boutaric, archiviste aux archives de l’Empire, membre de la Société des antiquaires de France. Paris, Henri Plon. 1 vol. in-8, 1863.


Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié un curieux article, publié dans le numéro d’octobre, sur l’armement, la tactique et la force des armées françaises aux XIIIe et XIVe siècles. L’ouvrage, d’où cet article était extrait, vient de paraître sous le titre que nous transcrivons plus haut, et le public lettré peut en apprécier maintenant l’intérêt et le mérite beaucoup mieux que sur un fragment détaché. L’auteur, M. Boutaric, familiarisé de longue main avec l’étude des sources, sait joindre aux détails les plus précis ces vues générales qui permettent de tirer, d’un grand nombre de faits habi­lement rapprochés et groupés, des résultats concluants. Les deux premiers livres, consacrés à la composition des armées sous les Gaulois, les Romains et les Francs, renferment à peu près tous les témoignages, malheureuse­ment trop rares, que les monuments écrits de ces temps reculés nous ont transmis sur ce sujet. Mais à partir de l’époque féodale, l’histoire des in­stitutions militaires prend un développement en rapport avec la nature des institutions politiques de la société. M. Boutaric montre fort bien que le service militaire étant à vrai dire la seule obligation des fiefs, cette obligation existait à tous les degrés de la hiérarchie sociale, puisque le fief était la condition même de la propriété. Dès le XIIIe siècle, le service féodal noble étant devenu insuffisant, les rois prirent l’habitude de semondre les vilains des feudataires ; et les milices roturières entrèrent dans la com­position des armées royales où elles se signalèrent fréquemment par un courage héroïque. Mais au moment de la réaction aristocratique qui si­gnale l’avénement de Charles VI, on craignit de laisser des armes entre les mains du peuple ; et on revint au système, qui n’avait jamais été entièrement abandonné, des compagnies d’aventures. Les excès commis par les Armagnacs, les écorcheurs et autres bandes ne firent que trop comprendre le danger des compagnies soldées non permanentes. Enfin la permanence fut appliquée par Charles VII et Louis XI aux compagnies d’ordonnances (cavalerie) et aux francs-archers (infanterie). L’ancienne répugnance des nobles pour le service militaire à pied cessa à l’époque des guerres d’Italie, et l’exemple alors donné par Bayard trouva de nom­breux et brillants imitateurs. Toutefois, l’organisation des francs-archers, ou celle des légions de François 1er était encore si imparfaite, que le gouvernement se vit sans cesse obligé d’enrôler des bandes étrangères; troupes vaillantes, mais peu sûres. La constitution définitive de l’infanterie française ne date que des derniers Valois, par la création des quatre vieux régiments (Picardie, Champagne, Piémont, et plus tard Navarre), base de l’établissement d’une armée régulière et réellement permanente. L’infan­terie; qui vainquit à Rocroi, est une infanterie vraiment nationale, sortie du peuple, se retrempant dans le peuple, et dont les succès militaires préparent l’avénement politique du tiers-état.

Tel est le cadre que s’est tracé M. Boutaric, et qu’il a complétement rempli, en y introduisant aussi des notions exactes sur les armes spé­ciales, sur l’administration militaire, sur les mesures ayant pour objet le bien-être et l’instruction de l’armée. Toutefois, il ne s’y renferme pas absolument, et, conformément à son programme, il suit l’histoire de l’armée, depuis Louis XIV jusqu’à la Révolution. C’est l’objet d’une conclusion très-vivement écrite, où il se déclare, mais dans une juste mesure, par­tisan du système de l’enrôlement forcé, qui a fini par triompher dans notre conscription moderne. Tout en acceptant cette institution de l’an­cien régime, il signale énergiquement l’inégalité choquante que le prin­cipe exagéré des exemptions avait introduite dans la levée de ce qu’on a appelé l’impôt du sang. L’immunité des autres impôts accordée à la no­blesse n’est pas moins inique aux yeux de l’auteur, puisque les nobles n’acquittaient plus leur dette, comme par le passé, en exposant leur vie ou en consumant leur patrimoine au service du pays. Depuis longtemps déjà le service féodal, devenu l’arrière-ban, n’était plus exigé ou était converti en taxe volontaire qui, la plupart du temps, ne produisait rien. Dès 1545 les officiers et les hommes de l’arrière-ban étaient soldés. Quant à l’armée régulière, les nobles y servaient au même titre que les roturiers, c’est-à-dire aux frais de l’État, et avec ce privilége que les hauts grades leur étaient presque exclusivement réservés. Par conséquent l’immunité n’avait plus sa raison d’être. L’auteur insiste sur ce point avec l’intention bien arrêtée de combattre un préjugé trop répandu ; et ce n’est point une des moins remarquables entre toutes les considérations neuves et justes qu’il a su introduire et développer dans son ouvrage. H. B.