Hulin, G.: L’atelier de Hubrecht van Eyck et les Heures de Turin (extrait de l’Annuaire de la Soc. pour le progrès des études phil. et hist., séance du 16 novembre 1902). — Le portrait d’Isabelle de Portugal au Louvre (extr. du Bull. de la Société d’histoire de Gand, 9 juin 1903). — Quelques peintres brugeois de la première moitié du XVIe siècle (extr. de Kunst on Leven, juin 1902, Gand).
( 1902-1903)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 2 (4e série), 1903-2, p. 369-371
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G. Hulin. L’atelier de Hubrecht van Eyck et les Heures de Turin (extrait de l’Annuaire de la Soc. pour le progrès des études phil. et hist., séance du 16 novembre 1902). — Le portrait d’Isabelle de Portugal au Louvre (extr. du Bull. de la Société d’histoire de Gand, 9 juin 1903). — Quelques peintres brugeois de la première moitié du XVIe siècle (extr. de Kunst on Leven, juin 1902, Gand).


          Trois brochures aussi introuvables qu’instructives. Pourquoi M. Hulin refuse-t-il à ses enfants l’air et la lumière ? Ils y ont plus de droit pourtant que beaucoup d’autres.

          I. La publication, par M. Durrieu, des Heures de Turin « constitue pour l’histoire de l’art flamand le fait nouveau le plus important qui se soit produit depuis de longues années ». Ces miniatures appartiennent à trois groupes ;

1° époque de Jean, duc de Berry ; 2° groupe de Bavière-Hainaut ; 3° atelier brugeois vers 1440-1450. M. Durrieu a prouvé que le groupe de Bavière-Hainaut doit être peu postérieur à 1416 ; en effet, une des minatures [sic] représente le débarquement en Zélande de Guillaume IV, comte de Hainaut et de Hollande, de la maison de Bavière, miraculeusement sauvé d’une tempête ; or, ce fait est rapporté par un chroniqueur à la date du 22 juin 1416 et le comte de Hainaut est mort en mars 1417. Une autre miniature représente un roi de France dans son camp ; parmi les bannières qui y figurent est celle de Brabant. Ce duché n’étant pas vassal de la France, la chose serait inexplicable à moins que la miniature n’ait été exécutée pour Jacqueline de Bavière, fille de Guillaume IV, après son mariage avec Jean IV, duc de Brabant (10 mars 1418).

          Tout le monde reconnaît, avec M. Durrieu, que les plus belles miniatures du groupe Bavière-Hainaut sont sorties de l’atelier des Van Eyck, qui était, par suite, déjà connu et estimé vers 1417. M. Hulin distingue trois mains ; celle de Jean van Eyck, dessinateur admirable, celle de son frère aîné Hubert, peignant « par valeurs lumineuses » et doué d’une entente merveilleuse du paysage, enfin une main plus faible, peut-être celle de leur sœur Marguerite.

          Ainsi l’atelier familial des frères Van Eyck était contemporain de celui des rères [sic] de Limbourg, auteurs du magnifique livre d’Heures de Chantilly ; il n’y a plus lieu de considérer les Van Eyck comme les élèves des enlumineurs du duc de Berry. M. Weale a produit un acte qui montre que Hubrecht van Eyck était déjà célèbre en Flandre en 1413 ; né vers 1365-1370, il est probable qu’il visita l’Italie (peut-être y connut-il Pisanello, 1380-1451).

          M. Hulin voit, dans les Heures de Turin, un nouveau motif de ne pas admettre que l’art des frères van Eyck sorte de la sculpture ; il est, en effet, essentiellement pictural et triomphe dans le paysage. L’école de Claus Sluter n’a pas exercé d’influence directe, « mais il y a entre eux une parenté morale ».

          II. Le Louvre possède un portrait dit d’Isabeau de Bavière, qui, datant de 1430-1440, ne peut représenter cette princesse, alors sexagénaire. M. Hulin a prouvé, par le rapprochement avec un portrait du musée de Gand, que la personne en question est Isabelle de Portugal, femme de Philippe le Bon. Ce n’est pas le portrait perdu que J. van Eyck avait fait d’Isabelle au Portugal, mais l’œuvre d’un peintre flamand de la cour de Philippe le Bon. A ce propos, M. Hulin met en garde contre l’abus de l’étiquette « école française ». Au Louvre, on a réuni dans la salle de l’école française primitive les œuvres de maîtres des Pays-Bas ayant travaillé en France, mais qui sont arrivés tout formés dans ce pays ; ainsi Beauneveu était un Hennuyer, Malouel un Gueldrois, Bellechose un Brabançon. « Il en est tout autrement de Jehan Fouquet, de Jehan Perréal, de Jehan Bourdichon ; ceux-ci sont des Français pur sang ».

          III. Jean Provost, mort en 1529, est un peintre brugeois de l’entourage de Gérard David, mais offrant une physionomie très personnelle ; on a de lui une œuvre certaine, le Jugement dernier de Bruges, grâce à laquelle M. Hulin a pu reconstituer le catalogue de son œuvre. Il faut lui rendre la Deipara Virgo de l’Ermitage, attribuée jusqu’à présent à Quentin Metsys et datant de 1524 environ. Si M. Hulin a raison de donner à Provost le tableau de la collection Sutton-Nelthorpe représentant saint François d’Assise renonçant au monde (il le fait d’ailleurs avec hésitation), le Louvre posséderait depuis peu un tableau de la même main, l’Invention de la croix par sainte Hélène. Mais je crois qu’il faudra chercher d’un autre côté l’origine de ces deux peintures énigmatiques.

          A la fin de son mémoire sur Provost, M. Hulin aborde une question très intéressante, celle de l’influence de la Renaissance sur l’art flamand. Il faut distinguer la Renaissance du romanisme. Metsys est le coryphée de la Renaissance dans les Pays-Bas, mais ce n’est pas un romaniste, un italianiste, comme Floris ou Mabuse. « Surtout il faut distinguer l’action intellectuelle du renouvellement des idées de cette chose technique, matérielle et servile ; l’imitation des formes italiennes. Les romanistes étaient des peintres flamands qui allaient terminer leurs études à Rome et s’efforçaient ensuite d’imiter les Michel-Ange ou les Raphaël. L’influence italienne est antérieure au romanisme. Mabuse et Orley furent ceux qui montrèrent la voie ».

          Le peintre du XVe siècle est avant tout un ouvrier, un peintre. « Celui de la Renaissance devient un intellectuel, un artiste mêlé aux gens de lettres, aux humanistes, aux musiciens, aux poètes... Les peintres de la Renaissance, Metsys en tête, étaient en rapports étroits avec les littérateurs des Chambres de Rhétorique. A Anvers, la confrérie de Saint-Luc s’était même unie à la Chambre des Violieren. Aux concours des rhétoriciens, nous voyons des peintres remporter les prix ». L’art porte alors, inévitablement, l’empreinte de la littérature ingénieuse et un peu pédantesque de son temps.

          J’ai multiplié les extraits, car il serait fâcheux que des idées aussi justes restassent enfouies dans les in-4° d’une Revue flamande, assurément digne de toute estime, mais que beaucoup d’historiens de l’art peuvent ne point avoir sous la main.

                                               S[alomon] R[einach]