Dieterich, Albrecht: Eine Mithrasliturgie. In-8, x-230 p.
(Leipzig, Teubner 1903)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 2 (4e série), 1903-2, p. 377-378
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Eine Mithrasliturgie erläutert von Albrecht Dieterich. Leipzig, Teubner, 1903. In-8, x-230 p.


          M. A. Dieterich écrit avec raison (p. 172) ; « Les rituels magiques sont toujours des restes de véritables liturgies cultuelles, alors même qu’ils sont très défigurés ». En appliquant ce principe, il a essayé de retrouver les éléments d’un rituel mithriaque dans un papyrus magique de la Bibliothèque Nationale publié par M. Wessely en 1888, mais dont il a, le premier, donné une recension critique et une traduction. Ce document, où il est question dès les premières lignes du grand dieu Hélios Mithra et de son archange, avait déjà été étudié par M. Cumont dans son ouvrage sur Mithra (t. II, p. 55) ; mais le savant belge ne lui a pas attribué la même importance que M. Dieterich ; « Il semble, écrivait-il, que le nom de Mithra ait simplement été placé en tête de ce texte magique pour en rehausser la valeur ». M. Dieterich paraît avoir démontré que les formules et les conceptions du papyrus sont d’accord avec ce que nous savons des mystères mithriaques, de ce qu’ils enseignaient sur les divers degrés de l’initiation et sur l’ascension de l’âme vers le ciel ; mais il est difficile de dégager ce qui est vraiment ancien du « galimatias triple » où l’auteur du papyrus de Paris a noyé les éléments liturgiques qu’il possédait. 

          L’intérêt du travail de M. Dieterich ne tient pas seulement à la publication correcte d’un texte difficile ; il l’a fait suivre de quantité d’observations sur les croyances mystiques relatives à l’union matérielle de Dieu avec l’homme, à la renaissance physique de l’initié, précédée d’une mort feinte, sur les analogies frappantes que présentent avec le mysticisme hellénique, comme avec celui des primitifs de nos jours, les théologies johannique et paulinienne. M. Dieterich a lu le Golden Bough, que les Allemands commencent à découvrir après l’avoir longtemps ignoré ; il a lu aussi nombre d’ouvrages récents d’ethnographie, mais il est facile de s’assurer qu’il n’est pas encore tout à fait « chez lui » sur ce terrain. On lui souhaite de « découvrir » bientôt l’ouvrage de Spencer et Gillen sur les indigènes du centre de l’Australie ; il y trouvera de nouveaux motifs de croire au parallélisme des efforts de l’esprit humain dans son ascension lente du mysticisme vers la raison.

          Je signale quelques passages particulièrement intéressants, auxquels les historiens de la pensée religieuse et des rituels auront profit à se reporter ; mais je dois avertir que les développements où entre M. Dieterich sont loin de lui appartenir tous en propre et qu’il est assez difficile, parfois même impossible, vu le style particulier de l’auteur, de savoir où commence sa part personnelle d’observation et de combinaison. P. 42, sur le caractère religieux du silence, σιγή ; p. 69, imitation des cris d’animaux dans les rituels ; p. 77, explication d’un monument mithriaque de Carnuntum (Cumont, t. I, p. 335) ; l’objet que Mithra élève de la main droite n’est pas « une outre à moitié dégonflée », mais l’épaule d’un bœuf, ὦμος μόσχου, conformément à un passage du texte magique (p. 14, l. 16) ; p. 100, l’idée de la communion par la manducation du dieu ou de la nourriture divine ; p. 104, explication de κερνοφορεῖν dans la formule citée par Clément, Protr. II, 15 ; M. D. nous apprend que dans l’Église grecque, à Pâques, l’eucharistie est dans un plat que le diacre porte sur sa tête (Goar, Euchol., p. 120) ; p. 110, explication réaliste des expressions ἐν Χριστῷ, εἰς Χριστόν, ἐν ὀνόματι Χριστοῦ ; p. 122, la Confarreatio ; p. 123, ὁ διὰ κόλπου θεός, anguem… per sinum ducunt (Firmic., De err., 10), Βακχεύς... ὑποκόλπιε (Hymn. Orph., LII, 11) ; il s’agit d’un simulacre d’union sexuelle ; p. 125, dans la formule éleusinienne citée par Clément, Protr., II, 21, Lobeck a eu tort de corriger ἐργασάμενος en ἐγγευσάμενος ; le verbe ἐργάζεσθαι est employé par euphémisme dans un sens obscène (cf. facere en latin) ; p. 127, le ἱερὸς γάμος était entendu au sens littéral ; M. D. cite (p. 132) un passage de la lettre de saint Jérôme à Eustochium où il dit à la mère de cette dernière socrus dei esse cœpisti, preuve que l’idée des fiançailles avec la divinité semblait encore alors autre chose qu’une métaphore (je n’en suis pas sûr, mais saint Jérôme a souvent bien mauvais goût) ; p. 135, la renaissance du myste, qui, en entrant dans le sanctuaire où il doit être initié, est qualifié par Firmicus d’homo moriturus (observation juste déjà faite par Maass et Frazer,peut être plus ancienne encore) ; p. 147, la paternité attribuée à l’initiateur, d’où les prohibitions édictées par l’Église à l’égard du mariage des parrains et des marraines avec celles ou ceux qu’ils ont tenus sur les fonts (p. 153) ; p. 156 la doctrine johannique ἐγὼ καὶ ὁ πατὴρ ἓν ἐσμεν est déjà dans Chrysippe, περὶ θεῶν · ἅπαντα τ’ ἐστὶν αἰθήρ, ὁ αὐτὸς ὥν καὶ πατὴρ καὶ ὑίος ; p. 171, discussion de la formule ἔριφος ἐς γάλα ἔπετον (je n’aperçois pas la conclusion de l’auteur, qui renonce tacitement à son ancienne explication, d’après laquelle γάλα était la Voie lactée) ; p. 203, l’idée du voyage céleste de l’âme vers Dieu est égyptienne et orphique ; p. 213, réunion très utile des fragments qui nous sont parvenus des liturgies antiques.

          Cet ouvrage trouvera des lecteurs et les instruira ; mais il ne me semble pas très bien composé, ni toujours clairement écrit. M. Dieterich n’a pas encore donné le pendant qu’on est en droit d’attendre à son beau livre de jeunesse, Nekyia.

                                               Salomon Reinach