Enlart, Camille: Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance. 1re partie. Architecture. In-8, xx-816 p., avec nombreuses planches et gravures dans le texte.
(Paris, Picard 1902)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 1 (4e série), 1903-1, p. 91-92
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Camille Enlart. Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance. 1re partie. Architecture. Paris, Picard, 1902. In-8, xx-816 p., avec nombreuses planches et gravures dans le texte.


          Le succès de ce livre, dès le jour de la mise en vente, a démontré combien il venait à point. En vérité, le règne de Caumont avait assez duré ; le public réclamait avec insistance un guide dont l’information fût plus exacte et dont les théories fussent en accord avec les progrès de la science depuis cinquante ans. M. Enlart était particulièrement qualifié pour le fournir, non pas seulement parce qu’il est érudit, mais parce qu’il possède, sur les questions d’architecture, une compétence toute personnelle. Il a déjà montré comment cette compétence, éclairée par la curiosité du savant et du voyageur, conduit à de belles découvertes ; il suffit de rappeler ses travaux sur l’architecture gothique en Italie et sur les monuments de l’architecture française dans l’île de Chypre.

          Ce premier volume, consacré à l’architecture religieuse, comprend 7 chapitres. 1° Les éléments de l’architecture, la construction, la condition des ouvriers et des architectes ; 2° Les édifices chrétiens des premiers siècles, églises, basiliques, confessions, cryptes ; 3° Les édifices carolingiens ; 4° L’architecture romane, principes et éléments constitutifs de ce style ; 5° L’architecture gothique, tant en France qu’à l’étranger ; 6° L’architecture de la Renaissance française et ses principaux représentants ; 7° Les accessoires de l’architecture religieuse, autels, tabernacles, piscines, jubés, chaires, fonts baptismaux, monuments funéraires, etc.

          Chaque chapitre est suivi d’une bibliographie très ample, où les auteurs sont énumérés suivant l’ordre alphabétique, mais avec des subdivisions qui facilitent les recherches. M. Enlart a pensé que ces riches bibliographies le dispensaient d’indiquer ses sources au bas des pages. J’avoue, pour ma part, ne pas comprendre un Manuel où l’origine des renseignements mis en oeuvre n’est pas exactement indiquée. Depuis quelques années, en Angleterre et en Amérique, on applique dans les ouvrages de ce genre un système très pratique, qui dispense des répétitions fastidieuses de titres. La bibliographie étant dressée, chaque ouvrage reçoit un numéro d’ordre et ce numéro est répété, soit dans le texte, soit au bas des pages, là où il est à propos d’indiquer qu’on se fonde sur telle ou telle publication. On pourrait même, sans augmenter d’une feuille le volume d’un Manuel, inscrire ces chiffres dans les marges. Je me permets d’espérer que M. Enlart, auquel on ne tardera pas à demander une nouvelle édition de son livre, voudra bien prendre en considération le procédé que je lui suggère et qui n’a pas encore, que je sache, été appliqué chez nous.

          Dans un ouvrage consacré à des questions aussi litigieuses et d’une si haute importance pour notre passé, j’aurais voulu que l’histoire des doctrines tint plus de place. Des hommes comme Caumont, Quicherat, Viollet-le-Duc, Courajod, ont été de rudes jouteurs, épris de leurs idées, ne craignant pas de propose [sic] des systèmes et de les défendre avec passion. Combien un Manuel de philologie ou d’archéologie classique serait incolore s’il n’y était pas question des thèses opposées d’un God. Hermann et d’un Bœckh, d’un Letronne et d’un Raoul Rochette ! Pour tout ce qui touche à l’histoire et à révolution des doctrines, M. Enlart est d’une discrétion désespérante. J’ai cherché dans son livre un écho des grands éclats de Gourajod, mais je n’ai rien entendu. La préface abonde en compliments adressés à des morts et à des vivants ; mais rien ne caractérise avec précision l’activité des uns et des autres. J’ajoute que j’ai été péniblement impressionné par cette phrase (p. xv) : « Je me suis fait une loi de ne jamais nommer ceux de mes confrères vivants que j’ai cru devoir contredire ». Est-ce un excès de courtoisie? Il est permis d’en douter. C’est plutôt le fruit de mœurs non pas raffinées, mais brutales, d’une époque où les expressions des Halles étant employées, dans une certaine presse, pour qualifier ceux qui pensent autrement que nous, un homme de la valeur de M. Enlart en vient à craindre qu’il ne puisse contredire un vivant sans l’offenser. La libre discussion serait-elle donc morte en France, tuée par ceux qui ont abusé de la liberté ?

                                               S[alomon] R[einach]