Lefebvre, Gustave: Recueil des Inscriptions grecques-chrétiennes d’Égypte. Gr. 4°, xl-176 p.
(Le Caire, imprimerie de l’Institut français d’Archéologie orientale 1907)
Compte rendu par Louis Jalabert, Revue Archéologique t. 13 (4e série), 1909-1, p. 164-167
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Recueil des Inscriptions grecques-chrétiennes d’Égypte, par Gustave Lefebvre, inspecteur en chef du Service des Antiquités de l’Egypte. Le Caire, imprimerie de l’Institut français d’Archéologie orientale, 1907. Gr. 4°, xl-176 p. Prix : 50 fr.


     La première initiative d’un recueil général des inscriptions grecques-chrétiennes est due à M. Homolle (1898) ; sept ans plus tard, le projet fut soumis à un nouvel examen au Congrès d’Athènes et de la discussion sortit un plan plus net, ainsi qu’un ensemble de règles pratiques destinées à régir toute publication de textes épigraphiques chrétiens (Byz. Zeitschrift, XV, p. 496[-]502). Enfin, après une longue attente, voici le premier recueil régional, on peut dire le premier fascicule du Corpus provisoire des inscriptions grecques-chrétiennes.

     Commencé, il y a six ans, présenté comme mémoire à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, repris, accru, mis d’accord avec les principes adoptés à Athènes, le volume de M. L. vient à propos pour témoigner de la valeur de la méthode nouvelle. On peut dire, sans paraître téméraire, qu’il en justifie pleine­ment la sagesse ; car, pour n’insister que sur un point, il suffit d’avoir parcouru quelques douzaines de ces inscriptions barbares, où la langue et l’orthographe sont également estropiées, pour juger de l’erreur pratique qu’il y aurait à vou­loir accentuer des textes aussi défigurés. Le principe de la transcription brute semble donc s’imposer en fait, bien qu’on puisse continuer de le discuter (1).

     Le recueil de M. L. comprend deux parties : une Introduction et les Textes.

     L’introduction (p. xv-xl) se compose de huit paragraphes destinés à suppléer le commentaire dont les textes ne sont pas accompagnés ; ils ont permis également de simplifier les indices. Après une copieuse bibliographie qui montre avec quel soin M. L. a dépouillé la volumineuse littérature de cette pauvre épigraphie égyptienne, vient une étude rapide de l’histoire du christianisme en Egypte avant le schisme copte. Tout l’essentiel est condensé dans ces quatre pages ; cependant je m’étonne de ne point y rencontrer de référence à l’excellent chapitre de Harnack (Ausbreitung2, II, p. 132-149). Vient ensuite la ques­tion de la chronologie : sur 800 textes, il n’y en a guère qu’une trentaine de datés et qui se répartissent entre 374 (2) et 1173 ; les textes les plus récents, à deux exceptions près, proviennent tous d’Assouan, de Philae (3) et du Soudan ; l’ère employée est celle des martyrs (parfois combinée avec celle des Sarrasins), dont les Égyptiens — contrairement à l’affirmation de Letronne, reprise par Révillout — connurent l’usage avant la conquête arabe ; un certain nombre d’autres textes peuvent se dater à quelques dizaines d’années près, mais la grande majorité demeure sans date. Comme une grande quantité d’inscriptions transportées dans les collections ne portent pas d’indication précise de prove­nance, M. L. s’est attaché à en fixer l’origine : les formules dont on connaît le caractère essentiellement régional, les symboles, l’ornementation, la nature de la pierre lui ont fourni des types assez caractérisés : types du Fayoum, d’Akh­mîm, d’Herment, d’Esnéh, de Nubie et justifient la localisation d’environ deux cents stèles dépaysées (4).

     Le contenu des inscriptions, généralement extrêmement pauvre, se réduit à des formules liturgiques et des acclamations dont M. L. a retrouvé l’origine dans l’Écriture (5), les liturgies et le formulaire de l’épigraphie chrétienne des autres pays. Très souvent le texte est accompagné de sigles (ΧΜΓ, XΘ, AX[,] ΘΒ) (6) et de monogrammes que M. L. décrit et étudie avec beaucoup de oin [sic].

     L’avant-dernier paragraphe, le plus intéressant, groupe les renseignements divers qui nous sont donnés par ces textes, malheureusement trop brefs et trop stéréotypés : ils nous font connaître la profession d’un petit nombre de défunts et ces indications jettent un certain jour sur quelques-unes des classes de la société parmi lesquelles le christianisme a fait ses conquêtes (7) ; plus intéressants et plus nombreux sont les documents qu’ils nous fournissent sur l’organisation du clergé (8) et sur l’état monastique ; là se trouve une des caractéristiques les plus marquées de la vie chrétienne en Égypte. Enfin, un dernier article est consacré à la grammaire et à la langue, grammaire déconcertante et langue plus que barbare, « amas de bizarreries qui s’expliquent plus par le caprice et l’ignorance individuelle que par les lois naturelles d’une langue en voie de transformation ».

     Ce résumé rapide donnera une idée bien imparfaite de cette étude conscien­cieuse, claire et sobre, qui rendra les plus grands services et dont pourront se contenter tous ceux qui voudront avoir une idée nette de l’épigraphie chrétienne en Égypte, sans s’imposer la tâche fastidieuse de parcourir ces centaines de textes rebutants.

     Si barbares et si peu attrayants qu’ils soient, — car l’encyclique de saint Athanase et l’inscription du roi Silco (9) sont, dans la foule, de rares exceptions, — ces textes n’ont pas découragé M. L. et l’édition des Fragments de Ménandre n’a point porté préjudice à l’étude des graffites des scribes ignares de l’Égypte et du Soudan. Chaque texte est l’objet d’une notice très soignée : indications diverses contenues dans le lemme, bibliographie, établissement du texte, témoignent d’une conscience tout à fait méritoire ; de plus, une grande partie des inscriptions ont été revues sur les originaux (10). Materiam superabat opus ! Aussi trouve-t-on à peine quelques détails à relever. Les nos 30, 34, 35, 36, 54, 70 (?), 165, sont des textes païens fourvoyés dans ce recueil chrétien ; πυγίζω, dont le sens obscène est connu, suffit à faire douter du christianisme du n° 30 : εὐψύχει et même les palmes se retrouvent sur les textes païens ; πρ(εσϐύτερος) n’est pas spécifiquement chrétien ; enfin, la ἱερὰ σύνοδος n’a rien à voir avec l’Église ; sur ces confréries païennes, cf. v. g. Archiv f. Papyr., IV, p. 167 et 238, 211 ; Z. f. aegypt. Spr., XLII, p. 111 ; Dittenberger, Orientis graeci, 713. — N° 3, αρτοκοπαδιου « mot inconnu » ; sans doute nom de métier appartenant à la boulangerie ; sur κοπάδιον, cf. Sophoclès et Du Cange. — N° 19, ἄπρατος est interprété par dom Leclercq : « à vendre » ; j’y verrais plutôt le sens d’« inaliénable », cf. Bull. de Corr. hell. 1905, p. 55 ; Rec. d’Archéol. orient., VI, p. 357. — N° 31, [ὑπὲρ αὐ]τῆ(ς) εὔχ[ε]σθυ (= εὔχεσθε) ? ; s’il ne s’agit pas d’une femme, on peut lire différemment ; τῇ εὐχ[ῇ]σου. — N° 43, διατάκτωρ, il faudrait une note sur ce mot et également sur σακ(κ)οφόρος, (n° 45), cf. Sophoclès. — N° 64, il manque à la bibliographie l’indication du commentaire de Dittenberger, Orientis graeci, 722. — N° 65, ἐ(γ)γόνιον est un diminutif qui se retrouve dans les inscriptions, cf. Rev. critique, 18882, p. 143 (Jaffa) et Rev. Biblique, I, p. 247 (Arsouf). — N° 120, ηρπατη = ηρπα(σ)τη (ἡρπάσθη) [Grégoire] ou ἡρπά[γ]η (Wilcken, Archiv f. Papyr., IV, p. 242). — N° 148, μικανες = μηκανεύς (Mil­let) me semble bien douteux, d’autant que ce mot est précédé de ειος (υἱός), plutôt n. pr. — N° 152, il serait plus normal de n’y voir qu’une seule épitaphe, celle de Ταρη (η) και Λαπετης. — N° 155, Πρωυ[ν] = πρώην ; plutôt n. pr. Πρωυ[ε], cf. Προυε (n° 147). — N° 237 lig. 1, suppléer la leçon εὐδοκία qui a en sa faveur, outre d’assez nombreux manuscrits, le témoignage d’une inscription de Syrie, (Prentice, n° 196). — N° 593, la lecture : παρεχόν[των] est certainement erronée, lire ; παρεχομ[ένων], le M est très net sur une photographie prise lors de la découverte de l’inscription. Enfin, il manque à l’index : Επιφανιος n. pro (n° 43), Κελε... (n° 204), Κτιστης (n° 392), Τυκωτεο (n° 485). Il me semble aussi que l’index des n. pr. eût gagné en commodité si M. L. y avait fait figurer tous les noms incomplets ; c’eût été appeler sur eux l’attention et en faciliter l’iden­tification. J’aurais aimé aussi une pratique plus constante dans le report à l’index des noms mal orthographiés : M. L. les catalogue tantôt sous la forme correcte et tantôt sous la graphie défectueuse ; il y a là un petit inconvénient : qui songera par exemple que le chiffre 207 accolé à Ευφημια renvoie en fait à Εηφμια ?

     Un examen très attentif ne m’a pas permis de relever autre chose que ces infiniment petits. C’est dire avec quelle conscience M. L. s’est acquitté de sa tâche ; on ne peut donc que se féliciter d’avoir enfin entre les mains un instru­ment de travail aussi parfait. Il y a bien à augurer du Recueil des inscriptions grecques-chrétiennes, quand on voit à quelles mains il est confié.

L[ouis] Jalabert

 

(1) Il y aura même sur ce point des opposants convaincus et je vois que M. H. Grégoire est du nombre ; mais il concède du moins qu’en pratique il est nécessaire de s’en tenir à une discipline commune et que celle-ci en vaut bien une autre. Cf. Revue de l’Instr. publ. en Belgique, t. 51 (1908), p. 197 et suiv.

(2) On verra plus loin que j’élimine les nos 34 et 54, datés de 158/9 et 148/9 J.-C.

(3) Par des calculs très ingénieux, M. G. a montré que les nos 596 et 597 ne seraient pas datés de 796 et 785, mais seraient respectivement de 518/9 et 508/9 J.-C [sic] en admettant que les deux dates, 512 et 501, se réfèrent à un com­put chrétien de l’Incarnation en retard de 6 ans sur le nôtre. Cependant il ne considère pas la démonstration comme certaine et admet, comme également probable, l’hypothèse d’une ère locale dont le point de départ n’est pas connu.

(4) Le n° 593, comme le conjecture M. L., provient réellement de Philae : j’en possède une photographie prise sur place en 1904 ou 1905.

(5) Le texte si fréquemment cité : Ὁ Θεὸς τῶν πνευμάτων καὶ πάσης σαρκός, que M. L. croit inspiré de saint Paul, est en réalité emprunté à l’A. T. ; Nombres, 1622, 2716 cf. Jér., 39 (32)27. Cf. Grégoire, loc. cit.

(6) La bibliographie du ΧΜΓ (p. xxxii, n. 2) est bien incomplète ; mieux eût valu se contenter du renvoi à Perdrizet ou se référer à l’article de dom Leclercq (Revue Bénédictine, XXII (1905), p. 439) ; XΘ n’est point spécial à l’Egypte et se retrouve également en Syrie.

(7) Il est très probable que les n° 276 et 559 sont des épitaphes de soldats ; στρ(ατιῶται) et non στρ(ατηγοί) ; c’est également l’avis de M. G. De plus, la note sur la répulsion des premiers chrétiens pour le métier des armes serait à corriger par l’impression assez différente qui se dégage des textes réunis par Harnack : Militia Christi. Die christliche Religion u. der Soldatenstand in den ersten drei Jahrhunderten, 1905.

(8) A propos du titre d’évêque métropolitain (archevêque), outre les deux exemples d’Asie Mineure, citer au moins quatre exemples syriens : Waddington, 1916 (cf. Rec. d’Archéol. orient., VII, p. 180) ; Pal. Expl. Fund, 1895, p. 350 ; Echos d’Orient, III, p. 238-9 ; Rev. Biblique, 1905, p. 600 (cf. Rec. d’Archéol. orient., l. cit., cf. encore Dict. d’Archéol. chrét., s. v. Archevêque.

(9) Cf. maintenant les inscriptions de Ταμάλας et Ἰσεμνέ (de même provenance). Selon M. J. Maspero qui les publie (Bulletin de l’Institut français d’Archéol. orient., t. VI), Ἰσεμνέ serait peut-être le roi blemmye vaincu par Silco.

(10) La plus grande partie des collations est due à M. L. ; mais il a trouvé dans M. Seymour de Ricci un collaborateur empressé, et nombreuses sont les fiches, qu’il doit à son obligenace désintéressé [sic].