Prentice, W. Kelly: Publications of an American archaeological Expedition to Syria in 1899-1900. Part III : Greek and Latin Inscriptions. In-4°, xiv-352 p. avec de nombreuses illustrations dans le texte.
(New-York, Century Co. 1908)
Compte rendu par L. Jalabert, Revue Archéologique t. 12 (4e série), 1908-2, p. 436-439
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Publications of an American archaeological Expedition to Syria in 1899-1900. Part III : Greek and Latin Inscriptions, by W. Kelly Prentice. Published by the Century Co., New-York, 1908. In-4°, xiv-352 p. avec de nombreuses illustrations dans le texte En vente chez W. Heinemann, 21 Bedford Str. London. Prix: 78 fr. 75 net.


          Il n’a pas fallu moins de huit ans à M. Prentice pour préparer l’édition des textes recueillis par lui et ses collègues, au cours de l’expédition archéologique envoyée en Syrie, en 1899-1900, par quelques Mécènes américains. C’est dire avec quelle conscience le savant professeur de l’université de Princeton s’est acquitté de sa tâche. Cette tâche, d’ailleurs, ne manquait point de difficultés : les textes grecs orientaux sont, en effet, souvent d’une orthographe si barbare, d’une syntaxe si fantaisiste et si riches en abréviations que le déchiffrement en est très laborieux ; ajoutez à cela l’onomastique sémitique aboutissant en grec à des graphies étranges, qui compliquent d’autant les lectures et découragent les tentatives de restitution. Il faut tenir compte de toutes ces difficultés pour apprécier à sa juste valeur le travail de M. P. On y reconnaîtra vite des qualités de premier ordre : une méthode rigoureuse, une sagacité très clairvoyante, beaucoup d’ingéniosité mais surtout une connaissance approfondie des anciennes liturgies chrétiennes et de l’épigraphie syrienne.

          Les textes réunis dans ce somptueux recueil (1) proviennent de quatre régions. La première comprend trois massifs montagneux (Dj. il-῾Alâ, Dj. Bârishâ et Dj. Halakah) qui courent approximativement dans la direction N.-S. entre Alep et le grand coude de l’Oronte et dont l’extrémité N.-E. est formée par le Dj. Shêkh Berekât et le Dj. Sim῾ân. Un peu plus au sud, la seconde région est celle du Dj. Rîhâ ; on y a annexé Apamée. La troisième groupe les districts de Selemîyeh et de Kinnesrîn, ainsi que les massifs du Dj. il-Hass et du Dj. Shbêt ; on y a joint une série d’inscriptions de provenances diverses : Ba’albek, Tell Nebî Mindô, Hamâ, Palmyre, etc. Enfin la quatrième région couvre un secteur important du Haurân, comprenant il-Haiyât, Shakkâ, Mushennef, Shebhâ, Kanawât, Sî῾, etc.

          M. P. s’étant proposé de présenter une série complète des inscriptions grecques et latines du Dj. Rîhâ, du Dj. il-῾Alâ, du Dj. Bârîshâ et de la partie du Dj. Halakah qui ferme, au N. et à l’O., la plaine de Dânâ, et de grouper autour des textes nouveaux, publiés dans les chap. IV et V, les inscriptions déjà connues qui peuvent avoir une connexion spéciale avec les textes qu’il a relevés, c’est tout au plus si des 478 textes publiés la moitié sont inédits ; mais la lecture de beaucoup d’inscriptions déjà connues est confirmée ou modifiée par de nouvelles copies. Il faut signaler comme particulièrement intéressants : les ὅροι ἀσυλίας d’un sanctuaire de saint Etienne (28-29), de celui du martyr Kérykos (298), de l’église de la sainte Vierge et des saints Côme et Damien (350) ; les inscriptions de Burdj Bâkirbâ (Διὶ Βωμῷ) et du temenos du temple des dieux Madbachos et Sélamanès (48 et 100-108 a) ; les inscriptions d’Apamée (Kal῾at il-Mudîk), dont onze sont inédites (125-143) ; la série complète des inscriptions du tombeau d’Eusebios et d’Antoninos (157-170) ; celles du monument d’Abedrapsas (242-247) ; trois sentences curieuses sur la vanité de la vie (227, 230-231) ; l’inscription de Phocas et de Léontia (319) ; une bonne photographie du texte de Khân il-Abyad (355) ; une dédicace aux deux Philippe (400) ; la-mention d’un σύvδικος νομάδων (383), de l’εὐνοῦχος τῶν Κερζιλάνου (387 et 389), etc.

          Le commentaire de M. P. est excellent. Il a eu de plus l’heureuse idée de grouper en un chapitre spécial (The character and purpose of the Inscriptions of northern central Syria, p. 1-25) les faits principaux qui se dégagent de l’étude des textes des deux premières régions (chap. II et III), de celles justement dont, il a tenté de donner une sorte de Corpus provisoire. En groupant les textes datés, il arrive à constater que l’épigraphie chrétienne apparaît dans ces régions à la fin du premier quart du IVe siècle ; pendant près de 300 ans (324-609), les textes datés se multiplient et nous renseignent sur la situation, la vie, les mœurs, les croyances des populations chrétiennes qui habitaient les 2 ou 300 villes dont les ruines s’éparpillent dans ces montagnes aujourd’hui désolées et attestent, par leur caractère monumental et leur confort, le luxe et le raffinement des cités qui y florissaient entre le milieu du Ier siècle et la moitié du VIIe. Revenant sur un sujet qu’il a été le premier à mettre en lumière, il y a quelques années, M. P. précise la parenté de nombre de ces inscriptions chrétiennes, formées de lambeaux de textes scripturaires, avec la liturgie de l’époque. Après un examen très minutieux de ces précieux témoignages, antérieurs à toute tradition manuscrite, il conclut (p. 10-11) que le rituel usité dans le nord de la Syrie, entre le IIIe et le VIIe siècle, ressemblait davantage à la liturgie de saint Jacques ou à celle de saint Basile, dans la forme sous laquelle elles nous ont été conservées, qu’à aucune autre liturgie parvenue jusqu’à nous. Mais une question se pose : pourquoi ces textes liturgiques ou scripturaires sont-ils gravés un peu partout et notamment sur les linteaux des portes ou des fenêtres de toute sorte d’édifices (églises, étables, pressoirs, boutiques) et en particulier des maisons d’habitation ? M. P. leur assigne un rôle prophylactique : ils sont là pour écarter les mauvais esprits. Le fait est certain dans un nombre de cas assez restreint (menaces à Satan), très probable dans nombre d’autres, vraisemblable dans le cas des textes qui se présentent sous forme de cryptogrammes isopséphiques ; l’est-il toujours ? Je n’oserais l’affirmer et je crains que M. P. n’ait un peu exagéré la thèse du caractère magique de la plupart des so-called christian inscriptions.

          Voici maintenant quelques observations suggérées par une première lecture : n° 9, mauvaise leçon, cf. Rev. archéol., 19072, p. 288, n° 7 ; — n° 14, lire Γ[η]ρίων(ος) Γ[ά]βρων(ος), cf. n° 66, et Μέ(ν)ανδρος, à moins qu’on ne doive préférer l’ancienne copie (Rev. archéol., ibid., p. 287, n. 1) ; — n° 18, la lecture ἵνα συνβαστάζωσι τῇ κωμήτας a déjà été proposée et justifiée par Fröhner, Mélanges d’Epigr. et d’Archéol. xi-xxv, p. 32 ; — n° 41, le texte est complet, lire Μ(ά)λχος, en supposant une ligature ; — n° 48, le n. pr. qui accompagne ἐποίκιον, dans les inscriptions du type ἀπὸ ἐποικίου Μεὶθου, me semble être généralement un n. pr de personne, cf. ἀπὸ ἐποικίου Γεννέου (= Γενναίου) , C. I. L., V, 8728 ; α. επ. Σεκλᾶ (= Σε(ί)λα ?), C. l. L., V, 8730 ; α. επ. Χρησιμιανοῦ, Mélanges de la Fac. orient. de Beyrouth, III, p. 314 ; cependant [ἀπὸ ἐ]ποικ(ίου) Ἀδδάνων (C. I. G., 9875) pourrait faire difficulté; — n° 51, : lire ἐπ(οιη)σάμ(η)ν au lieu de ἐπ’ Υσαμιν ; — n° 86, Μάνλαίος ( = Manlius), plutôt  Μαν(ν)αῖος ; — n° 113, lu par Fröhner (loc. cit., p. 32) ; Ἐρωτᾶ (n. pr.) καταχθ(ονίου ?) ; — n° 126, n’est pas une dédicace à un Antonin, mais bien à Julia Domna, dont le début devra être restitué ainsi : [Ἰουλίαν Δόμναν Σεβ.] | [ μητέρα τοῦ κυρίου] | [ἡμ]ῶν Α(ὐ)τοκ[ρ. Μ. Αὐρ.] | Ἀντωνείνου, etc. ; — n° 135, lire : Succ(e)sso, (vicario) Gemelli, (servi) A(uli) Larcii Lydi et Σουκκέσῳ Γεμέλλου, Ὤλου Λαρκίου Λύδου ; — n° 336 a, la trilingue de Zebed se trouve, depuis 1904, au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles (cf. Bulletin des Musées royaux à Bruxelles, 1905, p. 58-59) ; Dussaud, qui a revu récemment l’original, atteste (Les Arabes en Syrie avant l’Islam, p. 169 n. 2) que les lectures (lig. 4), ΜΑΡΑΒΑΡΚΑΔ (lig. 5), sont certaines. Je crois impossible d’admettre la lecture proposée par P. : ἔκτι(σαν) σὺν Συμεῶν[ι], Ἀμράᾳ, Ἠλίᾳ, Λεοντὶς ἀρχ(ι)π(άρ)θ(ενο)ς (2) ; — n° 352, meilleure lecture de Puchstein et Sobernheim dans les Mitt. d. vorderasiat. Gesellschaft, 1905, 2, p. 17-20, cf. Rec. d’Archéol. orient., VII, p. 13-14 ; — n° 356, lire (π)ρόμοιρος ; — n° 406, Αὔξονι μάκαρι : c’est  Μακάρι(ο)ς qui est le n. pr. ; sur la formule  αὔξει, αὐξόνι (= αὐξάνει) cf. Rec. d’Archéol. orient., V, p.368 ; VI, p. 298 ; VII, p. 210 ; Bull. de corresp. hellén., XXIV, p. 293 n. 9.

         M. P. se plaint (p. xiii) de l’insuffisance des bibliothèques américaines, on ne saurait donc lui tenir rigueur de quelques lacunes dans son information ; je m’étonne cependant de ne voir citer, dans le chap. I, ni le Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, publié par dom Cabrol et dom Leclercq, ni les Momumenta Ecclesiae liturgica des mêmes savants bénédictins ; dom Leclercq a consacré également à l’épigraphie liturgique de la région d’Antioche un article intéressant, dans une revue malheureusement peu accessible (Revue Bénédictine, XXII (1905), p. 429 et suiv.).

        N’ayant pu faire tous les dépouillements nécessaires, M. P. s’est trouvé exposé à donner comme inédits des textes déjà publiés au moins partiellement (nos 130, 132, 134, 210, 270, 371, 372, 394, 416, 426) ou à écourter la bibliographie de textes réédités par lui (nos 344, 345, 348, 352, 364a, 392a, 393, 402, 431, 432a, 433) ; je donnerai ailleurs les suppléments nécessaires. Enfin, comme M. P. n’a pu utiliser, en cours d’impression, les anciennes copies de textes syriens, publiées par Seymour de Ricci (Rev. archéol., 19072, p.281-294), il sera peut-être utile d’en donner ici la concordance avec les textes de Prentice, en suivant l’ordre des numéros de la publication américaine : nos 8 (10), 9 (6), 14 (1), 20 (3), 22 (5), 57 (18), 60 (19), 61 (20), 87 (14), 89 (13), 98 (24), 100 (23),102 (21), 104 (22), 110 (31), 111 (27-28), 112 (26), 113 (30), 116 (25), 119 (32).

       Ces menues observations, — est-il besoin de l’ajouter ? — n’enlèvent rien à la valeur scientifique de la publication de M. P. ; toute œuvre de ce genre est destinée à conserver, quels que soient le soin et le savoir de son auteur, de ces petites imperfections de détail ; mais, ici, c’est à peine si le critique peut en relever quelques-unes et toutes sont légères.

                                                                              L. Jalabert

 

(1) Pourquoi faut-il que les savants, dont la bourse est souvent légère, paient la rançon de tout ce luxe inutile ? N’aurait-on pas pu supprimer la dorure, le papier glacé, diminuer les marges pour rendre le prix du volume abordable ?

(2) Comme je le montrerai ailleurs, il faut lire avec A. Kugener (Journal asiat., 19071, p. 509-524 et Rivista degli studi orientali, I, p. 582-586) ; ἒκτισ[α]ν ….. ἀρχιτ(έκτονες). ΘX (= ἀμήν).